Ce samedi 17 mai se clôturera en apothéose la grande exposition «Etincelles III», abritée pendant dix jours dans l'espace prestigieux de la galerie Eldon&Choukri. Manifestation culturelle à plus d'un titre, elle regroupe quelque 999 oeuvres qui traversent dix siècles d'histoire, du Xème au XXème, étincelante, une fresque impressionnante des arts du Maroc et du monde arabo-islamique que Abderrahmane Choukri a tenu à présenter au grand public. Il faut d'emblée souligner que cette manifestation est à but non lucratif, sauf le souhait exprimé par son promoteur de sensibiliser l'opinion publique à l'impératif de sauvegarder et de valoriser un patrimoine culturel et l'esprit des arts islamiques ayant contribué à la richesse des cultures universelles. Qu'elle soit intitulée «Etincelles», générique approprié, démontre en effet la volonté de donner goût et de susciter le vif intérêt du public pour accéder à une collection retraçant 50 ans d'histoire. C'est une sorte de kaléidoscope qui nous propose de rares et parfois exclusives oeuvres dont des manuscrits, des tissages, des textiles, des armes, des boiseries, de la dinanderie et de l'orfèvrerie, les céramiques et toutes créativités inscrites dans une sorte de mémorial impressionnant. Le public s'en extasie, et ne s'est pas empêché de se réconcilier avec la longue histoire culturelle et de revisiter l'héritage qu'il nous a légué. C'est peu dire que dans un mouvement d'émerveillement et de découverte guidée, on est convié à un exercice de partage, et dans la foulée au désir de transmettre. Les promoteurs soulignent que le «principal objectif de cette exposition est d'inciter les générations montantes à prendre conscience de l'importance et de la richesse de leur héritage, de leur patrimoine et de la nécessité de le protéger» ! Les oeuvres exposées illustrent cette vertueuse volonté en nous faisant découvrir la fameuse épée ayant été utilisée lors de la guerre Oued al-Makhazine (Bataille des trois Rois) de 1578, l'Aigle bicéphale du XVème siècle, la Cape de soie brodée de fils d'or et perles de corail, offerte par le Sultan Moulay Abdelaziz au Prince Corsini en 1905, des éléments de parure du Xème siècle, la grande jarre mérinide, la ceinture de soie nasride du XVème siècle, les céramiques inédites figurant papillons et escargots du XVIème siècle, l'armure ottomane du XVIème siècle provenant de l'Arsenal impérial de Hagia Irene, le coffre du XVème siècle, les tapis du Haut-Atlas, le Heikhal du XIXème siècle, l'ensemble de caftans en soie brochés d'or de Tétouan et Fès et de photos du XIXème siècle, les broderies de Tétouan, Azemmour, Rabat, Salé et Meknès dont les plus anciennes remontent au XVIème siècle, la paire de porte-Coran de Don Rafael Contreras Y Munoz, les tissages du Nord-Est du Maroc, un ensemble de poignards Moghols en jade, or, émeraude et rubis du XVIIIème siècle. C'est finalement une véritable pérégrination. Elle rafraîchit nos mémoires et nous laisse d'autant plus perplexe que la somme de pièces, d'archives matérielles, de témoignages matériels, encore vivants par leur substance et leur silence constituent une sorte de musée vivant qui nous interpelle, et en tout état de cause, nous tire de l'absurde cécité ! La réaction de Abderrahmane Choukri dont la vie a été et reste vouée à l'exploration, au décryptage anthropologique à travers les arts, à leur valorisation dont l'effort aussi de leur restituer leur âme, participe d'une volonté si rare de nos jours qu'elle a vite fait de nous alerter : l'histoire contemporaine s'incarne et se pense à travers le passé et la mémoire ! Cela fait de longues années qu'Abderrahmane Choukri s'est attelé à la rude tâche de réhabilitation de notre patrimoine et, au-delà, à celui des civilisations islamiques, à ouvrir le temple des richesses et de la production artistique, à partager enfin son savoir et ses connaissances, à créer le mouvement d'adhésion à son projet culturel inscrit dans un esprit de pédagogie. Il incarne aujourd'hui, et depuis plus de cinquante ans, l'explorateur des patrimoines, le sondeur des époques, l'historien sur les traces de plusieurs siècles de créativité, le curieux à toutes les dimensions artistiques, un voyageur dont le regard se renouvelle dans les pas des grands humanistes, le collectionneur insatiable et passionné qui partage... Président fondateur de l'Association nationale des antiquaires et brocanteurs il y a plusieurs années, il n'a de cesse de forger une conscience au devoir patrimonial qui est à chaque peuple ce que l'obligation citoyenne est à la démocratie et à la liberté. Il nous propose le voyage initiatique, celui qui nous plonge dans la découverte panoptique d'une civilisation à dimension universelle, de nous-mêmes et dans l'inconnu de nous-mêmes.