■ L'élaboration de la Loi de Finances 2012 sera le premier test du gouvernement. ■ Pour honorer même en partie les engagements électoraux de la majorité, il faudra diminuer les dépenses et augmenter les recettes publiques. ■ Moralisation, éducation, santé, emploi, croissance… il y a du pain sur la planche. ■ Jawad Kerdoudi, consultant économiste et président de l'IMRI, trace les grands défis qui se posent à court et long terme. ✔ Finances News Hebdo : Quel est votre sentiment de cette année 2011 que nous venons de vivre et de ce début de 2012 marqué par la nomination d'un nouveau gouvernement ? ✔ Jawad Kerdoudi : L'année 2012 a débuté avec un nouveau gouvernement marocain issu des élections législatives du 25 novembre 2011. Le printemps arabe a été doux pour le Maroc, dans la mesure où il n'y a eu ni violences ni effusion de sang. Ceci est dû aux grands chantiers économiques et sociaux lancés par le pouvoir royal depuis une décennie. Suite au Mouvement du 20 février 2011, véritable déclencheur du changement politique, le discours du Roi du 9 mars 2011 et la nouvelle Constitution adoptée le 1er juillet 2011 ont apporté une réponse qui a apaisé les esprits. Le gouvernement Benkirane issu des transactions avec les partis et le Palais, a certes donné lieu à un exécutif lourd, hétérogène, et comprenant une seule femme. Il faut espérer cependant que ce gouvernement puisse répondre aux nombreux défis de notre pays. ✔ F. N. H. : Une fois le gouvernement mis en place et après obtention du vote de confiance du Parlement, quelle sera sa première priorité ? ✔ J. K. : Le défi le plus immédiat est celui de la Loi de Finances 2012. On se rappelle que cette dernière avait été élaborée par le précédent gouvernement, puis retirée du Parlement sans explication. Le déficit budgétaire a été de 4,6% du PIB en 2010, et on s'attend à un déficit de 6% en 2011. Ce dernier déficit est dû principalement aux augmentations de salaires et au déséquilibre de la Caisse de Compensation qui a atteint en 2011 50 milliards de dirhams. Tout le problème de la Loi de Finances 2012 est de ne pas trop aggraver le déficit budgétaire, tout en satisfaisant même partiellement les promesses électorales. Rappelons que le programme économique du PJD, qui sera certainement amendé lors de la déclaration gouvernementale devant le Parlement, était très ambitieux. Il table sur une croissance de 7%, un déficit budgétaire de 3%, un SMIG mensuel de 3.000 dirhams, et la création de 250.000 emplois. Ce même programme prévoit sur le plan fiscal une baisse de l'IS à 25% et l'exonération de la TVA pour les produits alimentaires et les médicaments. ✔ F. N. H. : Dans ce contexte, comment pensez-vous que la majorité procédera pour honorer ses engagements électoraux ? ✔ J. K. : Pour réaliser même en partie ce programme, il est nécessaire de diminuer les dépenses et d'augmenter les recettes publiques. Pour réduire les dépenses, ce gouvernement aura-t-il le courage de geler les salaires et de réduire les prestations de la Caisse de compensation? Pour augmenter les recettes, établira-t-il un impôt sur la fortune, touchera-t-il à la dépense fiscale, et taxera-t-il lourdement les produits de luxe ? Autant de questions qui ne recevront de réponses que dans un ou deux mois. En tous cas, la Loi de Finances 2012 ne pourra se baser que sur un taux de croissance de 4,5 à 5%, étant donné la faible croissance de l'Union européenne (+1,8%), avec laquelle le Maroc opère les 2/3 de ses échanges. Il faut enfin s'attendre à une forte pression des partis d'opposition au Parlement qui connaissent bien les dossiers, et du Cabinet royal qui compte maintenant 11 conseillers de haut niveau. ✔ F. N. H. : Comment hiérarchisez-vous les autres priorités de cette année 2012 ? ✔ J. K. : Outre la Loi de Finances d'autres problèmes doivent recevoir une amorce de solution dès 2012, mais qui ne pourront être résolus qu'à long terme. Il s'agit tout d'abord du problème du chômage qui touche particulièrement les diplômés et les jeunes. C'est une question qui exige une mobilisation de tout le gouvernement, et une politique vigoureuse de formation pour répondre aux besoins du marché du travail. Autre problème préoccupant, le déficit de la balance des paiements qui s'élève à 5% du PIB, et qui ne permet plus que le financement de 5 mois d'importations. Le déficit est dû principalement au déséquilibre de la balance commerciale où les exportations ne couvrent que 48% des importations. Tenant compte de la conjoncture économique défavorable internationale et particulièrement en Europe, on peut craindre une baisse des investissements directs étrangers, des recettes du tourisme et des transferts des RME, qui contribuent grandement à l'équilibre de la balance des paiements. ✔ F. N. H. : Le PJD a fait de la lutte contre la corruption et de la moralisation une priorité de son mandat. Ne vous semble-t-il pas que c'est un grand défi à relever dans l'état actuel des choses ? ✔ J. K. : Lors de sa campagne électorale, le PJD s'est engagé à lutter contre le «fassad» c'est-à-dire la corruption, la spéculation, le népotisme et l'économie de rente, afin de moraliser la vie publique. C'est un combat de longue haleine qui exige beaucoup de détermination face à des lobbies puissants. Il s'est engagé également à réformer et améliorer les prestations des départements de l'Education, de la Justice et de la Santé. Malgré les plans d'urgence mis en œuvre, ces corps de l'Etat sont encore défaillants pour remplir leur mission. Nous avons besoin d'une éducation qui met fin à l'analphabétisme, et qui forme un citoyen respectueux des valeurs morales, et compétent pour exercer un métier. D'une Justice rapide, équitable, et intègre, et de services de santé qui permettent à toute personne là où elle se trouve, de se faire soigner efficacement. Les autres déficits sociaux concernent la couverture médicale qui n'est pas assurée à tous, et le logement social qui ne profite pas à toutes les catégories défavorisées de notre pays. En conclusion, les défis qui assaillent notre pays sont énormes. En tant que société civile, nous devrons aider autant que possible à résoudre les problèmes, et rester très vigilants sur la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des libertés individuelles et collectives. ■