■ L'actuel gouvernement n'a pas eu le courage politique de régler le problème de la compensation. ■ Le fait que le PLF soit retiré du Conseil de Parlement puis représenté sans fonds de solidarité, dénote une mauvaise gestion de la part du gouvernement. ■ Le point avec Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales. ✔ Finances News Hebdo : Les hypothèses ayant présidé l'élaboration du projet de Loi de Finances 2012 sont un taux de croissance de 4,8%, un taux d'inflation de 2%, un prix du baril de pétrole évalué à 100 dollars et un déficit budgétaire de 4% du PIB. Comment qualifiez-vous de telles hypothèses ? ✔ Jawad Kerdoudi : Ces hypothèses sont plausibles, à deux conditions. La première est que le prix du baril du pétrole ne dépasse pas les 100 dollars. Or, le marché du pétrole est très volatil et imprévisible. La seconde condition est que la zone Euro ne tombe pas en récession, car les deux tiers de nos échanges dépendent de cette zone. ✔ F. N. H. : À l'instar de la Loi de Finances 2011, la demande intérieure s'avère un moteur de croissance dans le PLF 2012. Est-ce que vous pensez que c'est réalisable si aucune mesure n'est prévue en faveur de l'amélioration du pouvoir d'achat, hormis la maîtrise du taux de l'inflation en amont ? ✔ J. K. : La demande intérieure est essentielle pour la croissance économique de notre pays, car les exportations ne vont pas beaucoup augmenter en 2012. Je pense qu'elle se maintiendra l'année prochaine, vu qu'il n'est pas prévu de nouveaux impôts qui frapperont les ménages, et que la Caisse de compensation continuera à jouer son rôle dans la maîtrise de l'inflation. ✔ F. N. H. : En parlant de compensation, elle constitue un des points de fragilité du budget de l'Etat. Le gouvernement a prévu la continuité dans les aides directes qui seront destinées aux populations les plus vulnérables. Est-ce que, d'après-vous, cette mesure a des chances d'amoindrir l'impact de la compensation sur le budget de l'Etat ? Ne s'agit-il pas là d'une patate chaude que l'actuel gouvernement lance au suivant ? ✔ J. K. : L'actuel gouvernement, malgré les promesses, n'a pas eu le courage de régler le problème de la Caisse de compensation. La solution ne peut être que le ciblage des populations les plus défavorisées par une aide directe. J'espère que le prochain gouvernement aura la volonté politique et technique de régler ce grave problème qui pèse très lourdement sur le budget de l'Etat. ✔ F. N. H. : Quelles seraient les mesures sociales prioritaires qui devraient s'inscrire dans le PLF 2012, surtout dans un contexte où les mouvements sociaux sont légion ? ✔ J. K. : Je pense qu'il faut être prudent en 2012 concernant l'augmentation des salaires, car beaucoup a déjà été fait en 2011, aussi bien pour le secteur public que pour le privé. Les priorités doivent être accordées à l'éducation, à la santé et au logement social où beaucoup de lacunes persistent. ✔ F. N. H. : Notre partenaire, l'Union européenne, vit aujourd'hui une crise sans précédent et dont les conséquences risquent d'être lourdes pour notre économie. En vue d'y remédier, quelles sont les mesures qu'il faut prévoir pour soutenir les opérateurs économiques et financiers ? ✔ J. K. : Comme déjà dit, nos échanges sont liés aux deux tiers à l'Union européenne qui connaît ces derniers années une croissance très faible par rapport à toutes les autres régions du monde : Afrique, Amérique, Asie. La seule solution à long terme est de diversifier nos échanges vers les autres régions de la planète afin de ne pas mettre «tous nos œufs dans le même panier». Pour ce qui est de nos relations avec l'Union européenne, il faut dynamiser davantage le Statut avancé qui n'a pas donné beaucoup de résultats à ce jour. ✔ F. N. H. : Les mesures inscrites dans la Loi de Finances 2011 en faveur de l'épargne (PEL, PEA, PEE) n'ont pas soulevé tout l'intérêt mérité. Est-ce que cela est dû au contexte qui n'était pas propice ? ✔ J. K. : Je pense qu'il n'y a pas eu une sensibilisation suffisante aux plans d'épargne qui ont été lancés en 2011, et que les avantages accordés n'ont pas été jugés très probants. Il faut analyser en profondeur les raisons du peu de succès de ces plans d'épargne et rectifier le tir pour 2012. ✔ F. N. H. : L'actuel gouvernement veille à une réduction du montant des dépenses. Ne serait-il pas plus judicieux de penser à la mise en place de mécanismes pour rationaliser le fonctionnement de l'administration ? ✔ J. K. : La masse salariale pèse 13% du PIB du Maroc, ce qui est trop élevé. Le meilleur moyen de diminuer les dépenses publiques est de réduire le nombre de fonctionnaires, et non de l'augmenter chaque année. Il faut prendre l'exemple du gouvernement français actuel qui, malgré toutes les pressions, parvient à réduire le nombre de fonctionnaires, notamment en ne remplaçant pas les départs à la retraite. Il faut ainsi que l'Etat réduise son train de vie pour tenir compte de la crise. ✔ F. N. H. : Il est fort probable que le PLF 2012 soit voté très tardivement. Pis encore, 2012 risque d'être une année blanche. Qu'en pensez-vous ? ✔ J. K. : Il est regrettable que le projet de Loi de Finances 2012, après son approbation par le gouvernement et son dépôt au Parlement ait été retiré, puis représenté à nouveau sans le Fonds de solidarité. Cela montre un défaut de bonne gouvernance gouvernementale. Deux scénarios sont possibles : soit l'actuel Parlement le vote avec la possibilité éventuelle d'une Loi de Finances rectificative qui sera présentée par le prochain gouvernement. Soit il n'est pas voté par l'actuel Parlement et le futur gouvernement présentera un autre projet de finances, après avoir ouvert par décret dès le 1er janvier 2012 les crédits nécessaires à la marche des services publics et à l'exercice de leur mission (article 75 de la Constitution). ■ Propos recueillis par S. Es-siari