Dans un essai audacieux mêlant analyse littéraire, aphorismes philosophiques, fragments et récits personnels, le professeur et écrivain Mustapha Fahmi s'attaque à une question intemporelle : celle de la beauté. Et c'est à travers la figure de Cléopâtre qu'il choisit de l'explorer. Reine d'Egypte, femme de pouvoir et d'influence, Cléopâtre s'impose ici non seulement comme un personnage historique, mais comme un mythe vivant, une allégorie du style comme manière d'habiter le monde. Pour Fahmi, sa beauté ne réside pas dans des canons figés, mais dans une manière d'être - une « danse du monde » qui transcende les siècles. Une symphonie de Mozart « C'est un chef-d'œuvre suprême et -c'est difficile à définir-, comme si l'on tente d'expliquer une symphonie de Mozart », confie Mustapha Fahmi. « Shakespeare, dit-il, décrit tout ce qu'il y a autour de Cléopâtre : son navire, les voiles, son odeur, son parfum, ... mais rien sur la dimension physique de Cléopâtre. D'ailleurs, Shakespeare ne décrit jamais la beauté dans ses écrits, il décrit l'effet de cette beauté sur les autres. Pour lui, la beauté est un phénomène culturel, et ce qui est beau pour une culture ou une époque, ne l'est pas forcément dans une autre culture, alors décrire la beauté selon les critères esthétiques de son époque, c'est la condamner à la mort ». L'auteur s'appuie notamment sur une lecture érudite de Antoine et Cléopâtre de Shakespeare pour ancrer ses propos. Mais loin de se limiter à la littérature, il navigue avec aisance entre l'Egypte antique, la philosophie allemande du XIXe siècle et les rues québécoises de son quotidien. Une juxtaposition audacieuse qui témoigne de sa volonté de faire dialoguer les époques et les disciplines. Si quelques fragments ou aphorismes tirés de son expérience personnelle peuvent parfois ralentir le rythme de l'essai, la maîtrise stylistique de l'ensemble et la richesse de la réflexion maintiennent l'attention du lecteur. Le texte, hybride et exigeant, invite à une véritable méditation sur notre rapport à l'apparence, au regard et à l'identité. Mais qu'on ne s'y trompe pas : parler de la beauté de Cléopâtre n'a ici rien de réducteur. Avec Nietzsche en filigrane, Fahmi rappelle que « la poursuite de la beauté est une poursuite de liberté, d'authenticité et d'affirmation de soi ». Un idéal que notre époque semble parfois avoir relégué au second plan, et que ce livre invite à redécouvrir. « On ne peut contrôler ni notre naissance ni notre mort, on peut juste faire en sorte que notre voyage ne soit pas fait en vain. Le but de la vie ce n'est pas de vivre confortablement avec des ressources autour, le but c'est de s'affirmer, de s'exprimer et de réveiller ce talent en nous, c'est la seule façon de donner du sens à son existence ». Fahmi rappelle la nécessité pour un auteur de développer un style. « C'est ce que Nietzsche nous dit et ce que Shakespeare démontre dans Cléopâtre, on prend nos qualités et nos défauts, nos forces et nos fragilités et rassembler tout cela à l'intérieur d'une forme artistique. Quand on développe un style et qu'il est réussi, même nos défauts deviennent charmants. Donc, une vie réussie c'est finalement une vie qu'on choisit soi-même et le fait de développer un style, c'est qui donne un sens et une cadence à notre existence », conclut-il. Un philosophe des temps modernes Né à Casablanca, Mustapha Fahmi est professeur de littérature anglaise à l'Université du Québec à Chicoutimi, dont il a été le vice-recteur de 2012 à 2017. Spécialiste de Shakespeare de renommée internationale, il a donné des conférences partout dans le monde, y compris au prestigieux Shakespeare Institute de l'Université de Birmingham. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et de trois recueils de poésie. Parmi ses publications Shakespeare's Poetic Wisdom, The Purpose of Playing, Dwelling in the Forest of Arden, La leçon de Rosalinde (prix du meilleur livre de sa catégorie lors de 54e édition du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 2018). Sur le plan académique, il a été nominé au Prix d'excellence du réseau des Universités du Québec (2008 et 2012). Il a reçu le Prix Distinction littéraire 2019 décerné par le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. La beauté de Cléopâtre est son troisième roman.