L'avènement de l'intelligence artificielle et ses capacités de génération de textes sèment le doute. Cette dissertation, cet article de presse, ce livre ou encore les multiples posts ont-ils un auteur humain ou sont-ils le fruit d'une IA ? Comment faire la différence ? L'émergence des intelligences artificielles génératives, comme ChatGPT ou DeepSeek, bouleverse aujourd'hui notre rapport à l'écriture. Bien avant leur apparition, structurer une pensée, rédiger un texte ou argumenter demandait un effort intellectuel considérable. Aujourd'hui, quelques mots-clés avec une bonne formulation suffisent pour obtenir un contenu rédigé en quelques secondes. Cette automatisation soulève des questions de fond : la créativité et la réflexion individuelle risquent-elles de s'éroder ? Sommes-nous en train de déléguer trop facilement une tâche qui, au-delà des mots, forge notre esprit critique ? Aux USA, point d'ancrage de ces innovations qui changent notre monde, le média en ligne américain Vox, dans une tribune, s'interrogeait sur une histoire qui a choqué le monde universitaire. Selon Vox, « Jebar King, un jeune homme de 31 ans vivant à Los Angeles (Californie), a été chargé par sa famille de rédiger la nécrologie de sa grand-mère décédée. Lui qui n'avait jamais été confronté à un tel exercice ne savait pas par où commencer… Après avoir fourni à ChatGPT quelques éléments de contexte sur la vie de sa grand-mère, l'outil lui a donné la base pour l'un des textes les plus personnels qu'il ait jamais écrits. » « Je savais que c'était une belle nécrologie et qu'elle rendait hommage à sa vie. Peu importe qu'elle provienne de ChatGPT », confie Jebar King à Vox. Lire aussi | Menaces de l'intelligence artificielle : la fascination et l'inquiétude [Par Charaf Louhmadi] Au Maroc, l'intérêt pour ces outils est particulièrement marqué. Une étude publiée par Invest.Billionaire classe le pays parmi les plus gros consommateurs de ces technologies, témoignant d'une adoption massive qui ne manque pas d'interroger sur ses implications à long terme. Jusqu'où pouvons-nous faire confiance à ces intelligences artificielles ? « Les IA sont désormais parmi nous et font partie de nos pratiques quotidiennes. Pour un romancier, elles seraient néfastes pour sa carrière si celle-ci vacillait et se fragilisait à mesure que les interconnexions s'intensifient et que les frontières disparaissent. Or, jusqu'à nouvel ordre, rien au monde ne modifiera la donne qui prouve que les aventures entreprises et les émotions exprimées par un humain ne sont pas encore en péril. Certes, la concurrence sera âpre, mais c'est au marché de faire la différence entre un humain et un humanoïde. Entre les deux, la lutte sera rude et la partie difficile à gagner, mais le public sera le juge de paix », prévient l'écrivain Fouad Souiba. Et de poursuivre : « À présent, il existe aussi l'option pour le romancier d'additionner son imaginaire à celui de la machine pour n'en faire qu'un. Dans mon prochain roman, j'aborde cet univers passionnant des IA avec une approche complémentaire, mais jamais belliqueuse, car c'est toujours l'humain qui a et aura le dernier mot. » Comment faire la différence ? Les robots de l'IA paraissent très intelligents. En moins d'une minute, cette intelligence est capable de répondre à nos questions dans le format demandé : un commentaire de texte, une recette, un article scientifique, un roman... Pourtant, ChatGPT et ses concurrents ne sont pas des créateurs et n'ont pas de rigueur scientifique comme les écrivains, les journalistes ou les chercheurs. Et surtout, ne donnent pas d'âme aux mots. Ils utilisent les bases de données sur lesquelles ils ont été entraînés et les probabilités pour générer le texte qu'on leur demande. Ils enchaînent des platitudes et des poncifs sans jamais sortir des sentiers battus ni émettre d'avis tranché sur le sujet. Ils ne donnent pas d'exemple personnel et ne citent pas de sources fiables. En somme, le contenu est très structuré et cohérent, mais il est déshumanisé, dépossédé de ce petit truc que chaque lecteur perçoit dans l'écrit d'une personne réelle. ChatGPT le reconnaît lui-même lorsque nous l'interrogeons directement sur la platitude de ses contenus : « Mes textes peuvent sembler plats, car je privilégie la clarté, la neutralité et la cohérence. J'évite les digressions, les émotions trop marquées et les formulations subjectives pour rester universel et compréhensible. » Lire aussi | Intelligence Artificielle. Faire monter le Royaume en gamme Et au-delà de la platitude, certains mots sont révélateurs du style de l'IA. Très attachée à fournir un texte bien structuré et cohérent, elle multiplie l'emploi des connecteurs logiques. Par ailleurs, ces textes sont très académiques et annoncent leur plan d'article dans l'introduction sans style. « Reconnaître une intelligence artificielle, aujourd'hui, ne relève plus uniquement de l'analyse du fond, mais aussi de la compréhension du contexte technologique. Une IA génère des contenus souvent cohérents, rapides, mais sans vécu, sans aspérités humaines. Pour les identifier, il faut combiner des approches techniques (détection de patterns linguistiques, outils d'analyse sémantique) et critiques (pertinence du propos, profondeur, ton). Ainsi, il est important d'accompagner les entreprises à intégrer l'IA de façon responsable, en formant à la fois à son usage et à la lecture fine de ses productions. L'enjeu n'est plus seulement de savoir si un contenu est généré par une IA, mais de maîtriser ce que l'on en fait, stratégiquement et éthiquement », nous confie Omar Benmoussa, Managing Partner Maltem Academy. Les limites de ces solutions Le président de l'APEBI, Redouane El Haloui, a quant à lui mis le curseur sur les limites de cette technologie. « Pour la fédération, l'IA est un outil puissant, mais l'intelligence reste humaine. Les intelligences artificielles comme GPT et DeepSeek ont certes profondément transformé notre manière de produire et de consommer l'information. Mais ces modèles ne sont rien sans les données fournies par les humains. Aujourd'hui, nous assistons à un phénomène inquiétant : l'information tourne en boucle, sans réelle innovation. » L'illusion de la créativité artificielle « Prenons l'exemple de Stack Overflow, une plateforme autrefois essentielle pour les développeurs. Elle était un véritable puits de connaissances, alimenté par des échanges humains dynamiques. Pourtant, depuis l'explosion des IA génératives, l'activité sur Stack Overflow a chuté drastiquement, certains estimant que la plateforme est revenue à un niveau de contribution similaire à celui de 2008. » « Pourquoi ? Parce que les développeurs préfèrent aujourd'hui interroger l'IA plutôt que de poser des questions à leurs pairs. Résultat : l'IA régurgite des informations existantes, et l'innovation stagne. Si ces outils permettent un gain de temps considérable, ils ne créent rien de réellement neuf. La créativité reste l'apanage de l'homme. Les modèles d'IA commencent timidement à proposer du contenu plus sophistiqué, mais nous sommes encore loin d'une intelligence véritablement créative. » Pour ce dernier, « l'IA ne doit pas être un substitut à la réflexion humaine, mais un outil au service de notre intelligence collective. Il faut veiller à ce qu'elle ne devienne pas un miroir déformant, où nous nous contentons de recycler d'anciennes idées au lieu d'en créer de nouvelles. » Le Maroc s'engage dans cette voie en investissant dans ses propres capacités numériques et en encourageant un usage responsable et éthique des technologies d'IA. L'objectif est clair : ne pas subir l'IA, mais l'intégrer intelligemment pour renforcer notre autonomie technologique.