Le communiqué de démenti d'AQMI est troublant. C'est la première fois que la filiale d'Al-Qaida procède de la sorte. Les observateurs émettent des réserves sur la crédibilité de cette démarche. Une semaine après l'attentat de Marrakech, qui a fait 17 morts et une vingtaine de blessés, et au lendemain de l'arrestation du principal suspect, Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) a rendu public un communiqué diffusé par une agence de presse mauritanienne privée en ligne, l'Agence Nouakchott Informations (ANI), niant son implication dans cet attentat. C'est pour la première fois que cette organisation terroriste, dirigée par l'Algérien Abdelmalek Droukdel, publie un démenti. Les spécialistes des affaires terroristes et les observateurs s'interrogent sur la crédibilité de ce communiqué puisque Adil El-Atmani, principal suspect dans l'attentat de Marrakech, est fortement imprégné de l'idéologie jihadiste et a affiché son allégeance au réseau Al-Qaida, en plus de deux complices. A noter que Taib Cherkaoui, ministre de l'Intérieur, avait déclaré le lendemain de l'attentat qui a eu lieu, jeudi 28 avril, que le mode opératoire rappelait le «style utilisé d'habitude par Al-Qaida». «Nous démentons toute relation avec cette explosion et affirmons n'être aucunement impliqués dans cette opération», avait annoncé la branche régionale du réseau islamiste dans son communiqué. «Nous affirmons que nous nous employons à choisir le moment et le lieu qui ne seraient pas en contradiction avec les intérêts de la Nation et son action vers l'objectif de sa libération», avait souligné Aqmi. Selon les observateurs, le timing et les raisons de la publication de ce communiqué de démenti posent plusieurs points d'interrogation. En plus de mettre en doute la crédibilité de ce démenti, étant donné que les investigations sont toujours en cours à propos de l'attentat et que les détails de cette affaire n'ont pas été encore livrés, les observateurs s'interrogent, aussi, à propos des raisons qui ont poussé Aqmi à publier pour la première fois, depuis 2007, un communiqué de démenti. «Avant que le communiqué d'Aqmi ne soit publié sur le site d'Al-Qaida, la crédibilité du démenti a été mise en doute, et ce pour trois principales raisons. Premièrement, le communiqué en question a été rendu public par l'Agence mauritanienne d'information. On s'est posé, ainsi, des questions à propos de la source de cette agence. Deuxièmement, d'une manière générale, Al-Qaida ne dément pas des attentats qui lui sont attribués. Comme elle met généralement beaucoup de temps pour annoncer son implication dans un attentat déterminé. Par exemple, Al-Qaida n'avait pas rendu public un communiqué pour démentir ou confirmer son implication dans les attentats du 16 mai. En dernier lieu, le communiqué en question contient certaines contradictions, en disant qu'Aqmi ne serait pas en contradiction avec les intérêts de la Nation et son action vers l'objectif de sa libération. Or, Al-Qaida est au courant du fait que la dynamique que connaît le Maroc s'inscrit dans une marche vers la consécration de la démocratie et de la culture des droits de l'Homme. Donc, l'essence de cette dynamique est en contradiction avec les positions d'Al-Qaida. Ces trois éléments mettent en doute la crédibilité de ce communiqué», souligne Mohamed Darif, politologue, dans une déclaration à ALM. «Toutefois, ce communiqué n'a acquis une certaine crédibilité qu'à partir du moment où il a été publié sur le site d'Al-Qaida. La question qui se pose, ainsi, est celle de savoir pourquoi Al-Qaida a-t-elle réagi aux accusations formulées à son égard par le ministère de l'Intérieur et implicitement par la France. Pour comprendre cette position, il faut revenir à l'histoire. Rappelons-nous qu'en 2005, Aymen Al Zawahiri avait adressé une lettre à Abou Mousaab Zarkaoui en Irak l'incitant à ne pas cibler les civils et les innocents pour ne pas porter atteinte à l'image d'Al-Qaida. Cette lettre avait tracé une ligne de conduite pour les filiales d'Al-Qaida, notamment Aqmi créée en 2007. On a bien vu qu'en menant des attentats en Algérie, Aqmi dit toujours qu'elle ne visait que les supports de l'Etat et non les civils, contrairement aux accusations des autorités algériennes. C'est dans cette logique que s'inscrit le communiqué de démenti relatif à l'attentat de Marrakech. Aqmi, qui cherche à se légitimer et d'avoir plus de sympathie parmi les populations, refuse qu'on la qualifie d'organisation qui cible les civils», ajoute-t-il. «Le démenti d'Aqmi est une première. Auparavant, Aqmi ne rendait pas publics des communiqués de démenti. Il faut dire aussi que ce communiqué intervient peu de temps après un autre communiqué confirmant son implication dans une attaque contre des soldats algériens au Sud de l'Algérie. Donc, je dis que ce communiqué a une certaine crédibilité. D'ailleurs, les autorités marocaines ont bien affirmé que le principal suspect dans cet attentat n'est pas lié, du point de vue organisationnel, à cette organisation terroriste bien qu'il est imprégné de l'idéologie jihadiste», indique, pour sa part, Mustapha Khalfi, directeur de publication d'Attajdid, dans une déclaration à ALM. «Depuis longtemps, Aqmi multiplie les efforts pour perpétrer des attentats contre le Maroc, mais elle n'a pas réussi. Cette organisation aurait, ainsi, pu saisir cette occasion pour dire qu'elle a enfin réussi son objectif. Mais, Aqmi est très sensible à son image et à sa crédibilité», indique-t-il. Et d'ajouter que «le fait que cet attentat a été perpétré par une personne qui a agi à titre individuel met le Maroc devant de nouveaux défis sécuritaires. L'Etat est appelé, aujourd'hui, à lutter contre les origines du terrorisme et non pas attendre ses résultats. Nous devons traiter les causes d'ordre religieux, politique, économique et social du terrorisme pour pouvoir le combattre». M. Khalfi appelle aussi les autorités à mettre en place des stratégies plus globales et efficaces pour contrecarrer les desseins haineux des terroristes.