Entre Sarkozy et Fillon même les apparences ne sont plus sauves. Chacun tire dorénavant dans sa propre direction, donnant cette étrange impression d'un exécutif politique à deux têtes. Pour que Jean-Pierre Raffarin, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac, puisse donner des conseils de loyauté à François Fillon à l'égard de Nicolas Sarkozy, c'est que le fossé entre les deux hommes doit être béant et la mésentente épaisse. Jean-Pierre Raffarin venait d'accompagner Nicolas Sarkozy dans sa brève escapade sino-japonaise et sa sortie sur Fillon reflétait largement l'humeur présidentielle à l'encontre de son Premier ministre. Il règne donc comme un parfum de cohabitation entre Nicolas Sarkozy et François Fillon. Pas de celle qui avait opposé dans le temps François Mitterrand à Jacques Chirac mais plus proche de celle qui avait mis en scène François Mitterrand et son Premier ministre socialiste Michel Rocard. Les tempéraments et les styles s'affirment de manière opposée, les ambitions divergent, les envies de tuer le parrain s'aiguisent… Autant d'éléments qui d'un compagnonnage réussi en 2007 finissent par se transformer en guerre froide de tranchée entre deux ego. La situation devient politiquement inflammable lorsque les sondages, baromètre de l'humeur des Français, commencent à voir François Fillon plus qualifié pour porter les couleurs de la droite lors des prochaines présidentielles que Nicolas Sarkozy, président sortant. Non seulement les sondages accréditent l'incapacité de l'actuelle président à se succéder à lui-même, mais provoquent des remous au sein d'une famille politique qui commence à douter ouvertement de son champion. Entre Nicolas Sarkozy et François Fillon même les apparences ne sont plus sauves. Chacun tire dorénavant dans sa propre direction, donnant cette étrange impression d'un exécutif politique à deux têtes. A leurs relations traditionnellement glaciales de l'hyper président qui écrase son Premier ministre, s'est ajoutée une série de divergences qui ont aggravé la situation. Entre les deux tours des cantonales, les deux hommes se sont ouvertement déchirés sur la stratégie à suivre et la consigne de vote à donner aux militants. Au «Ni Front national, Ni Front républicain» de Nicolas Sarkozy s'est opposé le «Tout sauf le Front National» de François Fillon. Et tandis que Nicolas Sarkozy s'accroche, comme à une bouée de sauvetage, à son débat sur la laïcité et Islam, François Fillon rejoint la cohorte des personnalités qui dénoncent une entreprise visant à stigmatiser les musulmans de France. Dans une configuration classique, ces deux divergences auraient valu à François Fillon un renvoi immédiat dans sa Sarthe bourgeoise comme aurait dit Fadela Amara. Mais le Premier ministre peut se permettre tous les écarts. Nicolas Sarkozy est dans l'impossibilité de le changer. Il avait en novembre dernier l'occasion de le faire, mais tel un cheval hésitant, il s'est cabré à la dernière minute et a renoncé. Par ailleurs en termes de calendrier, il serait politiquement suicidaire de changer d'équipe gouvernementale à la veille d'une échéance présidentielle. Nicolas Sarkozy est donc condamné à boire François Fillon jusqu'à la lie. Ni les froncements de sourcils, ni les coups de poing sur la table accompagnés de coups de gueule mémorables, ni les tentatives de séduction entre deux portes capitonnées ne paraissent suffisants pour mettre le François Fillon au pas. La tâche est dure. Un Premier ministre qui croit à sa bonne étoile, convaincu que son heure était venue plus vite que prévu.