La photo de Nadia Larguet, hormis d'être sublime, n'a rien de l'inédit. Elle n'est pas sans évoquer, sur le plan esthétique, celle de Demi Moore dans Vanity Fire dans son numéro d'août 1991. Et en termes d'audace, elle rappelle celle de Britney Spears sur la Une de Bazar. Ce qui, en revanche, est exceptionnel et sans précédant, c'est cette dose de courage et cette puissante détermination qu'a eues Nadia pour faire de son acte une première, sans pareille, dans un pays musulman. Voilà un geste qui participe du lexique de la révolution tranquille même si je n'y perçois, de prime abord, qu'une ode pour la maternité ainsi qu'un concentré de tolérance et d'amour dans un couple notoirement connu. La photo est belle comme la grossesse. Nadia y est nue comme la transparence. Dé-voilée comme la vérité. Vérité et transparence, c'est connu, incommodent les incultes et les obtus. A cela, ils opposent la grossièreté des réactions, spontanée comme l'instinct et bestiale comme la violence. J'en ai identifié trois catégories : Les plus primaires sont celles qui font une lecture obscène. C'est très masculin. Sous une fine couche de pudibonderie, on ressent le pornographe refoulé qui n'a jamais touché le corps d'une femme. On le pressent tellement débordant de désirs et d'hormones inassouvies qu'il n'a plus que les vociférations pour charger la femme, cet empire du mal, de toutes les turpitudes de l'univers. Les plus tordus sont ceux qui, pour critiquer la femme, accablent le mari. Non pas parce qu'il a une fonction officielle et importante mais parce qu'il a laissé faire. Le procédé minore la décision personnelle de Nadia mais nous signifie, dans le même temps, que c'est l'essence même de cette virilité marocaine, fantasmé à souhait, qui s'en trouve obérée. Il y a enfin les plus dangereux. C'est la police des mœurs et la maréchaussée de la vertu. Ce sont ces politiques qui ont intégré les règles de la démocratie politique pour, qu'à terme, la domestiquer mais qui ont du mal à domestiquer leurs rapports à la démocratie culturelle. L'art, la beauté, l'esprit et la poésie leur font peur. Ceux-là ont fait une lecture politique de la photo. Ils la prennent comme prétexte pour fusiller pêle-mêle la modernité, la mondialisation, la francophonie. Ils attaquent le mari comme ils l'ont attaqué hier pour CasaNegra ou pour Marock. Ils s'érigent, à chaque fois, en implacables censeurs et qui, prêches, sermons et éditos en bandoulières, veulent formater la cervelle des marocains pour annihiler leur diversité et jeter un foulard noir sur toutes les chevelures de nos femmes. Ce n'est pas la photo de Nadia Larguet qui est périlleuse pour notre culture. Au contraire. C'est le Maccarthysme prude qui constitue la vraie menace pour notre pays.