On a tort de croire que «voir» une oeuvre est une opération aisée. L'œuvre n'émeut pas seulement notre œil mais tous nos sens à la fois, tout notre être. En fait, nous ne voyons pas simplement ce qui se trouve devant nous, mais aussi ce que nous portons en nous, notre culture, notre conscience et notre expérience privée. L'œil n'est finalement qu'un organe intermédiaire qui permet de communiquer ce que nous voyons à l'aire visuelle (ou cortex visuel) de notre cerveau. Nous ne voyons pas «avec» nos yeux mais plutôt à «travers» eux. Serais-je hors sujet si je rappelais que Gauguin «fermait les yeux pour pouvoir voir» ? Ce que nous avons à l'intérieur influence notre perception. Qu'il s'agisse d'une œuvre ou d'un objet quelconque, on a l'impression qu'il est très facile de voir objectivement, mais c'est ce qu'il y a de plus dur. L'œil s'habitue tellement à «voir» qu'il perd progressivement la faculté d'être critique ou d'être émerveillé. En fait, on ne voit plus un objet de manière complète et précise, tel qu'il est réellement. Avec le temps, on ne le voit plus qu'à travers l'image ou le concept que l'on s'en fait. Voir objectivement signifie être conscient que l'on utilise tous ses sens, tout son intellect et ses émotions. L'œil aime la répétition et il s'agit d'éviter qu'il s'ennuie, l'entraîner à mieux voir. Il aime les choses familières et il faut l'exciter, le surprendre. Il y a quelques jours, je regardais une émission sur Arte. On y parlait de l'aire visuelle dans le cerveau humain en expliquant toute la complexité de cette magnifique faculté qu'est la vue. L'aire visuelle occupe l'arrière du cerveau et est chargée de traiter les informations visuelles que l'œil reçoit. Elle est la plus massive de toutes les aires cérébrales ! Ses limites restent cependant imprécises car elles dépendent de chaque individu, peuvent évoluer dans le temps, et ne sont pas assignées à un rôle fixe ou unique. L'étude du cortex visuel en neurosciences a aussi montré qu'il est hiérarchisé et a permis de le découper en plusieurs sous-régions fonctionnelles qui traitent, chacune ou en groupe, diverses informations telles que formes, couleurs, mouvements, etc. Une destruction de la sous-région qui traite les couleurs, par exemple, rend le patient «aveugle» aux couleurs tout en gardant parfaitement intact le reste de sa vision ! Je pense –et je pourrais me tromper- que la complexité de la vue vient du fait que l'aire visuelle est liée à toutes les autres aires cérébrales. Par exemple, bien que les informations visuelles et tactiles soient recueillies de façon indépendante, les scientifiques prouvent que la vision et le toucher sont intimement liés. Ainsi on a démontré que lorsqu'un aveugle-né lit en touchant des caractères en braille, l'aire visuelle s'active ! Notre perception du monde est donc multimodale et nous utilisons tous nos sens à la fois pour simplement «voir». On dit qu'il faut voir pour croire, mais en art, j'ai envie de dire qu'il faut croire pour voir !