Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme. La Cour observait que « le gel de cette importante trésorerie, qui a notamment profité à un établissement bancaire étranger, n'a donc obéi à aucun texte législatif ou réglementaire et sa gestion échappait totalement au contrôle du Trésor ». Bref, aux yeux de l'instance judiciaire, Abdelaziz Bouteflika a donc bien détourné ces sommes de 1965 à 1978. Le ministre accusé s'est maladroitement défendu contre tous ces griefs, accumulant dérobades, confusions et bévues. Il refusa obstinément de se présenter à Alger devant la Cour des comptes, obligeant les magistrats instructeurs à se déplacer à Paris et à Genève pour l'entendre. L'idée de se soustraire à la justice n'était pas pour inciter les juges à de clémentes dispositions à son égard. Sid-Ahmed Ghozali, qui l'a beaucoup fréquenté entre 1981 et 1986, s'en rappelle : « Belaïd Abdesselam, Bouteflika et moi avons été traduits en même temps devant la Cour des comptes, mais seuls Belaïd et moi avons été entendus à Alger et avons revendiqué nos responsabilités. Bouteflika recevait le juge en Europe. Et il lui donnait invariablement la même réponse : “Moi j'occupais un poste politique. Ces histoires d'argent, c'est une question technique, mineure.” Il disait cela pendant que ses plus proches collaborateurs, comme Senouci ou Boudjakdji, injustement mêlés à cette histoire de fuite de capitaux, payaient pour lui et croupissaient en prison à Alger. » Bouteflika se fourvoya ensuite dans des explications contradictoires pour justifier les placements occultes des fonds des Affaires étrangères sur des comptes suisses. En privé, il soutenait que l'argent devait alimenter « une caisse noire indispensable aux financements secrets de certains mouvements de libération ». Aux magistrats de la Cour des comptes, il donna une toute autre version, invoquant la construction d'un nouveau siège du ministère des Affaires étrangères pour laquelle il destinerait la trésorerie amassée sur les comptes suisses. Un argument aussi léger ne pouvait que l'enfoncer davantage. Dans son arrêt, la Cour des comptes se fit d'ailleurs une joie de le démolir sans ménagement : «Ce motif fallacieux ne peut être pris en considération, sachant qu'une opération d'investissement obéit à des règles bien précises qu'aucun ordonnateur ne peut ignorer et que l'éventuelle construction d'un nouveau siège du ministère des Affaires étrangères doit être financée par des crédits normalement inscrits au budget de l'Etat. » Bouteflika acheva de se discréditer en procédant à des remboursements partiels qui, loin d'aboutir à l'extinction des poursuites, renforcèrent au contraire les griefs portés contre lui. Il négligera de les accompagner de justificatifs qui les auraient validés aux yeux du Trésor public, comme le lui demandait Chadli Bendjedid. Cette carence allait précipiter le déclenchement de la procédure judiciaire. Le 5 janvier 1979, soit une semaine à peine après le décès de Boumediène, Bouteflika remet au Trésor public un chèque libellé en francs suisses d'une contre-valeur de 12.212.875,81 DA tiré de la Société des banques suisses à Genève. Il ne rapatriera pas d'autres sommes, ce qui irritera fortement les autorités qui s'estimaient fondées à considérer ces légèretés comme une marque de mépris à leur endroit. Le chèque remis par Bouteflika était, en effet, loin de correspondre aux chiffres que détenaient les services de renseignements de Kasdi Merbah : Bouteflika aurait «oublié» de s'expliquer sur la disparition de 58 868 679, 85 DA. La Cour des comptes le lui rappellera dans l'arrêt qui sera prononcé le 8 août à son encontre et qui, précisément, « met en débet Abdelaziz Bouteflika pour une somme dont la contre-valeur en dinars représente 58 868 679, 85 DA et qui reste à justifier ». La Cour explique que ce montant « est l'aboutissement des longues investigations de l'institution tant au niveau de la Trésorerie principale d'Alger qu'à celui du ministère des Affaires étrangères, et tient compte notamment du rapatriement par M. Abdelaziz Bouteflika au Trésor public de la contre-valeur en dinars de la somme de 12 212 875,81 DA. » Bouteflika ne remboursera pas les sommes réclamées. Il sera quand même acquitté. Chadli a fait « ce qu'il fallait faire envers Bouteflika ». Les collaborateurs de Bouteflika impliqués dans le détournement ont passé quatre années en prison, mais le principal accusé en a totalement réchappé. Bouteflika obtint de Chadli l'assurance qu'il pouvait rentrer au pays sans être inquiété à son arrivée à Alger. « Il a envoyé plusieurs messagers à Chadli en 1984 pour en arracher la promesse qu'il pouvait rejoindre l'Algérie sans risque, soutient le général Benyellès. Chadli m'a dit, et je peux en témoigner, de transmettre à Bouteflika qu'il pouvait rentrer sans problème. “Je lui en donne ma parole”, a-t-il ajouté. Chadli ne voulait pas que Bouteflika ait des ennuis. » Les mesures conservatoires prises à son encontre dans le cadre de l'enquête judiciaire seront levées une à une. Son passeport diplomatique lui fut rendu sur instruction de Chadli, qui lui rétablit en outre son traitement de haut fonctionnaire. Bouteflika négocia ensuite avec succès la restitution de sa villa de Sidi Fredj confisquée par le wali de Tipaza et gendre de Chadli, Kaddour Lahoual, qui prévoyait d'en faire un bâtiment administratif. Il ne s'arrêtera pas là. L'étrange «opposant» Bouteflika bénéficiera ensuite d'une somptueuse demeure de 22 chambres située sur les hauteurs d'Alger, Dar Ali Chérif, en compensation d'une villa qu'il occupait avant que l'Administration ne l'affectât à Messaoudi Zitouni, ancien ministre et président de la Cour des comptes. L'épisode Dar Ali Chérif est illustratif des mœurs marchandes de Bouteflika et de celles du sérail. L'ancien ministre s'est emparé, en connaissance de cause, d'une demeure qu'il savait incessible pour faire partie du patrimoine de l'Etat et dont, de surcroît, les propriétaires originels étaient toujours vivants. Pis, il en a bénéficié en substitution d'un bien qui ne lui appartenait pas. La maison qu'a occupée Zitouni est, en effet, une propriété des Affaires étrangères, utilisée comme maison d'hôtes privée. Les délégations du Golfe y venaient notamment passer des soirées en charmantes compagnies. Bouteflika en a fait son bien propre et en a tellement persuadé le pouvoir qu'il s'en est fait octroyer une autre en dédommagement ! « Quand je l'ai rencontré en France, je lui ai dit : “Pourquoi tu triches comme cela, pourquoi tu dis que la villa qu'occupe Zitouni est la tienne?” raconte Chérif Belkacem. Il sait que je connaissais le statut de cette villa. Il ne s'est pas démonté et m'a avoué son arrière-pensée : “Tu sais Djamel, c'est une carte qui me sert à négocier ma situation.”Ce qui d'ailleurs se vérifia: il fut réhabilité dans ses biens et dans ses droits. C'est un garçon qui n'applique qu'un seul postulat dans sa vie : négocier. » Durant sa vie d'« opposant », Bouteflika a considérablement enrichi son patrimoine immobilier en puisant dans les biens de l'Etat : 3 villas (une au bord de la mer, une sur les hauteurs d'Alger attribuée à sa mère et la demeure Dar Ali Chérif), 4 appartements formant deux étages dans un immeuble qui appartenait à la Présidence de la République sis à El Biar, un grand appartement à El Mouradia attribué à la plus jeune sœur du président.