Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme. Bouteflika chargera aussi les dirigeants palestiniens Yasser Arafat et Hawat-meh de la même mission auprès du président. Pendant dix années entières Bouteflika fut non pas l'opposant de Chadli, mais son obligé. Bouteflika cherchera à retrouver les bonnes grâces de Chadli d'abord par le biais de la famille de l'épouse du président, les Bourokba. Tout au long de sa fameuse « traversée du désert », il tentera avec persévérance, et en « opposant » très singulier, de s'en attacher les faveurs.Abdelkader Dehbi, pour l'avoir assidûment fréquenté dans les années 1980, se rappelle de certains épisodes pas très flatteurs pour l'ancien ministre des Affaires étrangères : « Un jour de 1984, Bouteflika, apprenant que je devais rendre visite au beau-père de Chadli, Mohamed Bourokba, à la clinique Hartmann de Neuilly où il était hospitalisé, insista pour m'accompagner.Connaissant la nature des rapports entre Chadli et Bouteflika, j'en étais très gêné. J'ai néanmoins cédé à la condition qu'il ne rencontre Bourokba qu'avec l'accord préalable de ce dernier. Bouteflika s'est alors présenté à la clinique avec un immense bouquet de fleurs en espérant que Mohamed Bourokba acceptât de le recevoir. Le malade n'ayant pas vu d'inconvénient, Bouteflika en fut fort ravi. Quelques minutes après, il se lamentait sur son sort d'opprimé devant Bourokba, lui demandant, sans vergogne, d'intercéder auprès de son gendre président pour qu'il recouvre sa place dans le système. Il prendra l'habitude de rendre visite au beau-père de Chadli en se passant volontiers de ma compagnie.» Bouteflika aura la même prévenance envers le propre frère de Chadli, Abdelmalek Bendjedid, hospitalisé à la même clinique. Il ira plusieurs fois s'enquérir de sa santé, multipliant des visites intéressées au cours desquelles il évoquait avec zèle le passé d'officier de l'ALN du frère de Chadli, vantant ses mérites de directeur de l'Ecole militaire de Guelma et ceux de commandant adjoint de la 1re Région militaire. Il n'oubliait évidemment pas de solliciter, au passage, l'obligeance du frère de Chadli pour qu'il plaidât son cas auprès du chef de l'Etat. Dans sa frénésie à vouloir s'introduire coûte que coûte au sein de la famille de Mme Bendjedid dont il présumait de l'influence auprès de l'époux président, Bouteflika ira jusqu'à faire plusieurs pèlerinages à la zaouïa des Bourokba. Il s'y fera inviter pour la première fois en 1987 et séjournera plusieurs jours de suite à Mazouna, Relizane et Sidi Khetab, localités de la zaouïa. « La zaouïa Bourokba était assez liée aux gros propriétaires terriens de la région et ne faisait pas mystère de son aversion pour la politique collectiviste de Boumediène, se souvient Abdelkader Dehbi qui eut à accompagner parfois Bouteflika dans ses pèlerinages à Mazouna. Ils se faisaient alors forts de critiquer Houari Boumediène en des termes peu aimables et en présence de Bouteflika. Ce dernier laissait faire sans réagir. J'ai fini par lui en faire la remarque, lui soulignant qu'il se déconsidérait aux yeux des gens de la zaouïa par son silence. Je me rappelle de sa réplique : “Ya Si Abdelkader, l'essentiel est de pénétrer la famille Bourokba.” Il ne perd jamais le sens de ses intérêts. » Bouteflika s'intéressa même à une des filles Bourokba dont il apprit qu'elle était encore célibataire. «Il me chargea d'en savoir plus sur la demoiselle et je crois qu'il prévoyait sérieusement de faire alliance avec les Bourokba en y prenant femme», affirme Dehbi. Ménager l'humeur de Chadli ne fut pas sans bénéfices pour l'opposant Bouteflika. Il obtint du président clémence et appuis de toutes sortes, entre 1981 et 1990, dont l'indulgence suprême : l'impunité dans le dossier des reliquats de budgets d'ambassades placés illégalement sur des comptes particuliers en Suisse et qui avait pourtant fait l'objet d'un arrêt accablant de la Cour des comptes. « Sans l'intervention magnanime de Chadli, Bouteflika aurait fait plusieurs années de prison pour détournement de fonds publics », confirme Ahmed Taleb Ibrahimi, qui était dans l'entourage de Chadli en qualité de ministre conseiller à la Présidence puis de ministre des Affaires étrangères à partir de 1984. Chadli Bendjedid, qui n'aime pas évoquer cet épisode, se contente d'une formule miséricordieuse : «Ce n'était pas dans ma nature d'enfoncer d'anciens collaborateurs en mauvaise passe. J'ai fait ce qu'il fallait faire envers Bouteflika.» Il fallait bien de la miséricorde présidentielle, en effet, pour sauver Bouteflika d'une affaire très mal engagée pour lui. Dans son arrêt définitif du 8 août 1983, la Cour des comptes donnait, en effet, un verdict sans appel: « M. Abdelaziz Bouteflika a pratiqué à des fins frauduleuses une opération non conforme aux dispositions légales et réglementaires, commettant de ce fait des infractions prévues et punies par l'ordonnance n° 66-10 du 21 juin 1966 et les articles 424 et 425 du Code pénal. » La Cour des comptes évaluait à «plus de 6 milliards de centimes» le montant dont Bouteflika restait redevable auprès du Trésor, un montant qui, ramené à la parité de 2003, avoisinerait les 100 milliards de centimes. Comment le ministre Bouteflika s'y est-il pris pour détourner pareille somme d'un Trésor public pourtant vigilant ? La Cour des comptes donne des détails précis sur la façon dont ces sommes ont été dévoyées: «Agissant alors en qualité de ministre des Affaires étrangères, M. Abdelaziz Bouteflika avait successivement ordonné aux chefs de missions diplomatiques et consulaires, par instructions n° 20 du 14 février 1966, n°33 du 1er décembre 1966, n° 36 du 1er mai 1967, n° 68 du 1er octobre 1969 : - en 1966, de conserver au niveau des postes les soldes disponibles qui devront faire l'objet d'instructions ultérieures particulières ; - en 1967, d'ouvrir des comptes particuliers devant abriter ces disponibilités ; - en 1969, enfin, de procéder au transfert des reliquats disponibles vers deux comptes bancaires ouverts auprès de la Société des banques suisses, les reliquats des exercices ultérieurs devant désormais avoir la même destination. »