Un nouveau responsable de l'administration territoriale vient d'être nommé aux commandes de la wilaya du Grand Casablanca. C'est l'ingénieur Ponts et Chaussées, Mohamed Bousaid. Quelle sera sa stratégie ? Sa vision globale ? Comment parviendra-t-il à sortir la mairie du chaos dans lequel elle plonge ? Comment coordonnera-t-il les politiques de la métropole ? Ce sont les questions que se posent les habitants de cette ville mouvementée et nombre d'observateurs. Les dossiers sont volumineux, les problèmes sont innombrables et les dysfonctionnements sont en cascade. Proximité mise à mal D'aucuns indiquent que le nouveau wali se pencherait sur le dossier de la gestion de la chose locale. Proximité oblige. La mairie est pratiquement paralysée depuis presque deux ans. Les comptes administratifs au titre des deux exercices précédents n'ont pas été validés par le Conseil de la ville comme le stipulent les dispositions de la charte communale, alors que le maire continue de gérer la ville dans une opacité totale. Dans ce registre, la gestion déléguée de la distribution de l'eau, l'électricité et l'assainissement liquide (Lydec), la collecte des ordures ménagères et les transports publics en commun, sera fortement soulevée. Au niveau de la Lydec, la révision du contrat est d'une brûlante actualité, mais comment parviendra un conseil complètement effrité à négocier dans ce sens. S'agissant de la collecte des ordures ménagères, le conseil a revu à la hausse le montant réservé aux entreprises chargées de cette gestion déléguée (plus de 50 milliards), alors que la situation du secteur va de mal en pis. Pour ce qui est du transport public en commun, l'entreprise ayant la charge du secteur viole les clauses du cahier des charges, surtout en matière d'investissement et du renouvellement du parc. C'est d'ailleurs ce qui a été soulevé par les élus à plusieurs reprises lors des précédentes sessions de la commune urbaine. Il faut dire que la mairie est en panne. Et du coup, c'est la politique de proximité qui est mise à mal sur toute la ligne. Incontestablement, c'est d'une véritable mascarade qu'il s'agit à la commune urbaine de Casablanca. La démocratie locale est enterrée. La transparence fait défaut sur toute la ligne. Les lois de la charte communale ne servent plus à rien. Les violations de cette charte tendent à devenir monnaie courante à la Commune. Et les autorités de tutelle demeurent aux abonnés-absents. On dirait que c'est la fin de l'Etat de droit en suivant avec angoisse ce qui se passe au Conseil de la ville de la plus grande agglomération du royaume, capitale économique du pays, de surcroît. «Il va falloir faire un diagnostic et dévoiler les pouvoirs occultes qui bloquent la ville et en tirent profit. Ensuite, il faudra mettre de l'ordre au niveau de la planification urbaine et opter dans ce cadre pour une approche participative, en associant les acteurs politiques et la société civile dans la gestion de la ville», souligne Abderrahim Bansar, secrétaire régional de la Région du Grand Casablanca du parti du progrès et du socialisme (PPS). Et d'ajouter qu'il faudra débloquer le fonctionnement des institutions de la ville qui plongent dans une situation de blocage. Bref, conclut A. Bansar, «il faut attaquer la mafia qui ruine la ville et opter pour une nouvelle approche de gouvernance, en associant les politiques et la société civile et informer la population». Habitat anarchique La ville de Casablanca détient le record en matière de l'habitat anarchique et insalubre. Il suffit de faire une tournée aux quartiers de Makanssa, Tkalia, Drabna et autres localités anarchiquement bâties dans l'arrondissement de Aîn Chock. Des fiefs électoraux ont été créés et verrouillés. Personne n'y accède. La sécurité fait défaut et le désœuvrement fait des ravages. Un baron de l'habitat anarchique y fait ses lois au vu et au su de tout le monde. Et d'ailleurs, la zone, indiquent des habitants de Casablanca, non sans humour, est représentée au Parlement. En plus de ce fléau, l'opération de recasement des bidonvillois piétine dans toutes les zones concernées et des bidonvillois alternent sit-in et mouvements de protestation dénonçant ce qu'ils qualifient d'irrégularités ayant entaché l'opération de leur recasement. Spéculation immobilière C'est un fait. Des spéculateurs immobiliers ont réussi à faire main basse sur la ville de Casablanca, depuis belle lurette. Et ils ont toujours été à la taille de cette grande métropole mouvementée. Depuis l'ère de l'urbaniste Ecochard, (1945-1953), jusqu'au début du vingt-et-unième siècle, aucun Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) n'a été respecté. Ecochard avait proposé un plan d'aménagement qui tenait compte de la croissance désordonnée de la ville. Ce plan prévoyait l'extension de la ville sur l'axe Casablanca-Mohammedia pour former un ensemble urbain, relié par un tissu industriel. Cette vision avait aussi pour but de préserver les terres agricoles à l'est de la ville. Mais, finalement, c'est pratiquement le contraire qui s'est produit. La brique a bouffé les terres agricoles, asphyxiant les poumons verts de la ville. En 1984, l'agence urbaine de Casablanca vit le jour et mis en place un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme pour une vingtaine d'années. Le sort de ce fameux schéma n'a pas été différent de celui d'Ecochard. Environ 80% des projets, (équipements, infrastructures, services publics, etc), prévus par ce schéma n'ont pas été réalisés. Pis encore, ce schéma est arrivé à échéance au début de ce millénaire et la porte a été grandement ouverte à la spéculation. On avait annoncé que le SDAU de la métropole verra le jour en mars 2008. Plus de quatre ans plus tard, les plans d'aménagement ne sont pas encore mis en place. Jusqu'à quand ? Phénomène de ruralisation C'est un constat hallucinant. Le phénomène de ruralisation est en train de noircir la ville blanche. Le spectacle des charrettes tirées par des baudets et même par des hommes est devenu une scène ordinaire dans les quartiers commerciaux, Derb Omar, Derb Ghallef, Kissariat Hay Mohammadi, Souk Dalas à Hay Hassani, Attacharouk et dans les zones périphériques de la métropole. Ces charrettes servent pour le transport des marchandises et même des êtres humains. Il fallait voir ces charrettes, s'arrêtant aux feux de signalisation en plein centre ville. Leurs conducteurs-tireurs respectent le code de la route, martèlent des visiteurs de cette ville mouvementée. Ces charrettes et les triporteurs partagent ainsi la chaussée avec les autres automobilistes, avec tout ce que cela comporte comme risque sur la vie des êtres humains et de ces animaux mis à leur service. Autre fléau qui ternit l'image de cette métropole est celui de ces mendiants et enfants de la rue. Portant des habits complètement maculés avec des regards chargés de souffrance et de détresse, ces personnes se faufilent entre les voitures à la hauteur des feux de signalisation quémandant durant toute la journée. Leur nombre va malheureusement crescendo en dépit des programmes de sensibilisation lancés, des mesures coercitives appliquées et des politiques de lutte contre la pauvreté mises en place. Il faut dire que la ville se ruralise au moment où ses décideurs ne cessent d'afficher l'ambition de lui assurer une réelle transformation digne des grandes métropoles. Casablanca est orpheline d'une élite Au sein des conseils actuellement en place, on a l'impression que Casablanca est orpheline d'une élite régionale, qualifiée, compétente et patriotique. Des responsables-élus n'ayant même pas le niveau du primaire, d'autres n'ayant jamais fréquenté l'école et certains mouillés jusqu'au cou dans des affaires de mauvaise gestion et de dilapidation de deniers publics siègent encore aux conseils élus de la plus grande ville du Royaume. Plus grave, des espaces publics gérés dans l'opacité totale servent de caisse noire pour financer les élections des «baltagias» et assurer leur présence à la Commune urbaine pour défendre les intérêts de leurs mentors. C'est le cas de la gare routière Ouled Ziane, Paradise à Aîn Diab, un espace public à l'Oasis et un complexe touristique dans la préfecture des arrondissements de Moulay R'chid Sidi Othmane. Il faut dire qu'une race d'élus a réussi à faire main basse sur la ville et sa région. Des briques à la politique. Du petit commerce à la présidence de l'arrondissement. De pratiques politiciennes, des manœuvres électorales et des clientélismes ayant prévalu lors des dernières élections n'ont pas permis un renouvellement des élites sur des critères de compétences et de représentativité. Plus grave, des profils compétents notamment de la gauche ont été écartés de la ville. Est-ce de cette manière que la capitale économique du pays donnera-t-elle une nouvelle impulsion au développement que connaît le pays ? C'est là l'équation que devrait résoudre l'artisan de l'opération des départs volontaires dans la fonction publique, le tout nouveau wali, Mohamed Bousaid.