Le débat transnational sur l'immigration marocaine "Al Monadara" qui s'est tenu à Rabat le 8, 9 et 10 décembre a été l'aboutissement d'un cycle de rencontres animées par un collectif d'association marocaine issues de l'immigration européenne pour l'essentiel. Le dernier épisode a donné lieu à un dialogue inédit entre d'anciens opposants et l'Etat Marocain "Le Makhzen". En effet, ces associations très critiques sur la politique migratoire du Maroc - alignée par défaut d'imagination et de volonté politique, sur ce que dicte l'Europe, même quand il s'agit des ses propre citoyens - ont opté pour une démarche constructive "mais sans se faire d'illusions". Nous avons rencontré Ali EL BAZ, coordinateur national de l'ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France), qui nous a livré sa vision. Entretien. Yabiladi - Quel est votre bilan de ce débat "Al Monadara"? Avez-vous l'impression qu'il a contribué à avancer les choses? En d'autres termes est ce une thérapie collective ou réelle volonté de dialogue? Ali El Baz - Le bilan va être réalisé avec les participants, nous prévoyons des réunions de restitutions et de perspectives. En région parisienne, une première réunion aura lieu le 5 Janvier. Elle sera suivie par d'autres réunions dans l'est, le sud et dans le nord de la France. Elles se concluront par une réunion européenne. L'aspect positif c'est l'échange entre les intéressés issus de divers pays européens, de diverses associations. L'aspect négatif dans ce genre de grande messe est le gouffre existant entre ceux qui maîtrisent le sujet et les dossiers et d'autres prônant le béni oui-oui comme réponse à tout. Nous avons eu également de belles empoignades entre jeunes qui s'apparenteraient à une lutte de classe entre d'une part certains jeunes, qui ne voient le Maroc qu'à travers le prisme du retour (faites une place à nos compétences et talents) et les jeunes de 2ème génération privilégiant le regard sur les discriminations qu'ils subissent sous le silence complice des autorités marocaines. Les préparatifs de cette rencontre ont donné lieu a une polémique sur l'attitude à adopter vis à vis des autorités marocaines. S'agit il d'une volonté d'indépendance ou la résurgence d'un reflex anti-makhzanien dont les milieux de l'extrême gauche détiennent le secret? La polémique est saine parce qu'elle procède du rapport de la société civile avec le pouvoir, l'ATMF a acquis son indépendance vis a vis des pouvoirs publics français. Nous n'allons pas la galvauder au Maroc, c'est une question de cohérence. D'autre part, nous refusons l'unanimisme (nous sommes tous des marocains!!) qui prête à confusion, nous sommes divers, porteurs de conceptions différentes sur la citoyenneté, sur l'égalité entre hommes et femmes, sur l'Etat de droit ; par conséquent nous refusons toute instrumentalisation par le pouvoir ou par les partis politiques. Alors si réclamer la séparation des pouvoirs et des sphères équivaut à l'étiquette d'extrême gauche, alors nous en sommes! Avez vous l'impression que les pouvoirs publics marocains ont enfin décidé de traiter sérieusement les questions liées à la communauté marocaine à l'étranger ? La présence de divers ministres et de haut fonctionnaires peut laisser l'impression de l'intérêt qu'ils accordent à cette question, mais « chat échaudé craint l'eau froide », le même discours nous a été débité par Rafik Haddaoui en qualité de ministre de la communauté marocaine à l'étranger en 1991, les mêmes assurances nous ont été fournies par Abderrahmane Youssoufi en qualité de 1er ministre en 1998 sans qu il y ait des suites. Donc, nous ne faisons pas d'illusions, nous jugerons sur pièce cette volonté de prendre à bras le corps ce dossier. En arrière plan de cette rencontre se profile la constitution du conseil supérieur de l'émigration, promis par le roi Mohamed 6, pensez vous que c'est une tentative de la part du CCDH (qui a financé cette rencontre) pour crédibiliser cette future instance en donnant la parole aux anciens opposants (ex-exilés politiques pour certains)? Le CCDH a plusieurs fois répété qu'il aiderait au financement de toutes les initiatives émanant d'autres sensibilités à part les amicales. Par ailleurs, ni le CCDH, ni le gouvernement marocain ne peuvent faire abstraction des associations démocratiques qui ont l'expérience de la revendication vis-à-vis des autorités marocaines mais aussi européennes. Nous sommes des associations de terrain et non de salons, et c'est justement cette vérité qui fait que nous sommes incontournables. Pour l'ATMF, le haut conseil qui n'est que consultatif ne doit pas être un palliatif qui remplacerait une politique d'immigration digne de ce nom, sinon ce ne serait qu'une énième structure à côté d'autres telles que les fondations, institutions et ministères. D'un autre côté, sommes nous condamnés à une communauté minée par l'ambition personnelle (la guerre des places), l'incurie des politiques et le marketing de transit ? Que proposez vous à l'ATMF pour sortir de l'impasse? L'ATMF ne possède pas la bague de Sidna Souleiman pour changer cette amère réalité, que vous décrivez d'ailleurs à juste titre, cela est la conséquence d'une politique d'arbitraire, de favoritisme, de répression et de corruption, agrémentée d'analphabétisme digne d'un Etat du tiers monde. Pour sortir de cette impasse, il faut fixer les règles d'un Etat de droit avec une séparation des pouvoirs, cela permettra d'une part, de responsabiliser les acteurs mais également d'évaluer et de contrôler leur travail pour pouvoir les sanctionner si besoin L'ambition politique est légitime du moment qu'elle s'accompagne d'une éthique, de compétences et que les règles de concourir soient connues et égales pour tous. Concernant l'ATMF, quel est votre chantier majeur pour 2007 ? Poursuivre la lutte pour l'égalité des droits entre les anciens combattants devant les tribunaux -à ce sujet nous avons 460 dossiers-, dénoncer la politique d'assignation à résidence qui lie des droits- tels le minimum vieillesse, l'accès aux soins- à une résidence en France de 9 mois, interpeller et faire pression sur les partis politiques sur les questions d'égalité des droits y compris le droit de vote et d'éligibilité en France mais également au Maroc puisque en 2007 les deux pays rentrent en campagne électorale.