Durant son mandat au gouvernement, le PJD a tenté à maintes reprises d'éloigner l'image du parti religieux qui lui collait, s'évertuant à bannir tout discours religieux dans les prises de parole de ses dirigeants, à l'exception de quelques dérapages dont les auteurs ont dû rendre des comptes pour avoir embarrassé le parti et lui avoir créé des problèmes. Et le voilà aujourd'hui qui, à la surprise de tous, voit sa direction investir à la prochaine élection des figures salafistes prédicatrices, dont certaines sont connues pour leurs positions extrêmes et ont même supplanté des cadres connus du PJD, ce qui a conduit plusieurs de ces derniers, déçus, à quitter leur formation. Quelles sont donc les explications et les indications de ces investitures ? Evoquent-elles, comme le prétendent déjà des observateurs, une forte inclinaison religieuse au sein du PJD qui a dirigé le gouvernement ces cinq dernières années sans jamais pouvoir atteindre le champ religieux ? Ou alors, à l'inverse, l'affaire se réduit-elle plus simplement à du pragmatisme, voire de l'opportunisme, politique ? A mesure qu'approchait la fin de cette législature, et l'heure du départ du gouvernement, le PJD pensait de plus en plus au moyen de préserver et de conserver son électorat, qui se constituait essentiellement des blocs suivants : 1/ Le bloc électoral formé par les partisans et les adeptes traditionnels du PJD, encadrés par l'aile prédicatrice du parti, en l'occurrence le Mouvement Unicité et Réforme. 2/ Le bloc constitué par les membres de la Jamaâ al Adl wal Ihsane, lesquels, et malgré leur hostilité et/ou opposition affichée au PJD et au « makhzen », étaient animés par la démarche du « soutien » dont bénéficiait le parti de Benkirane du fait de son appartenance à la grande mouvance islamique. Cette connivence de fait apparaît clairement à travers les réunions périodiques que tient Abdelilah Benkirane avec les chefs de la Jamaâ, avant chaque scrutin, pour sécuriser le vote de leur adeptes. 3/ Le bloc salafiste représenté par les courants de prédication sur le modèle wahhabite et les écoles coraniques, principalement à Tanger et à Marrakech. Ce bloc est moins politisé qu'al Adl wal Ihsane, et peut donc montrer un loyalisme moins solide au PJD si la politique d'islamisation de la loi et de l'Etat était jugée pusillanime ou hachurée. En effet, lors d'une précédente rencontre de Mohamed Maghraoui avec la Jeunesse du PJD, il leur avait clairement indiqué que le vote de son association pour ce dernier devait servir l'islam, ajoutant que « s'il n'y a pas d'islam, il n'y a plus qu'à se dire adieu ». La menace est on ne peut plus évidente. 4/ Le bloc formé par les familles aisées, résidant dans les quartiers huppés, et dont les membres ont toujours accordé leurs suffrages à l'USFP, mais qui ont décidé ensuite de sanctionner cette formation après le gouvernement d'alternance. Ce bloc n'est pas très sûr pour le PJD car il lui a affiché sa sympathie en raison de sa virginité politique et du fait qu'il n'avait jamais participé à un gouvernement avant 2011. 5/ Le bloc des électeurs vivant dans des quartiers populaires et à la marge des villes, et pour lesquels le PJD avait déployé son action, dans trois directions différentes : d'abord, la distribution de denrées alimentaires aux familles les plus précarisées, une opération présentée comme humanitaire et caritative, mais qui est en réalité électorale ; ensuite, l'action de proximité, par la présence et le financement d'événements familiaux (heurs et malheurs) ainsi que par le soutien auprès de l'administration pour certaines démarches et procédures. Enfin, l'usage des mosquées et des sermons y servis, pour inciter et conduire les fidèles, parce que « pieux et croyants », à voter PJD. Et donc, pour conserver les blocs de cet électorat, Benkirane a agi et usé de trois types de discours, différents : 1/ La victimisation, par l'évocation d'une force mystérieuse au sein de l'Etat, qui l'empêche de travailler comme il le doit. 2/ L'attaque contre des personnalités du palais ou de l'entourage roya,, dans l'objectif de se poser et de s'impoer en responsable politique courageux qui ose affronter le « makhzen », mais sans jamais trop approcher du patron, toujours dissocié de son entourage. 3/ La création, puis la diabolisation, d'un ennemi, en l'occurrence le PAM. Or, on constate que le grand absent dans le discours de Benkirane est le bilan de son gouvernement, son chef et ses amis étant conscients que c'est là leur point faible sur lequel ils seront attaqués par leurs adversaires ; c'est la raison pour laquelle les salafistes et autres prédicateurs ou prêcheurs ont été investis candidats, car ils n'ont aucun bilan ni action à leur actif, pas plus qu'ils n'ont d'expérience dans la gestion des affaires publiques ; certains de ces futurs candidats déroulent même des idées et des théories qui vont à l'encontre des institutions et des lois. Si on considère que les électeurs salafistes sont volatiles en absence de politique résolument islamique, comme l'avait affirmé Maghraoui, le fait de les investir pour les élections permettra au PJD de conserver leur électorat, qui votera donc salafiste plus que PJD. Or cela démontre l'opportunisme de ce dernier et le peu de cas qu'il fait de son expérience accumulée au sein du gouvernement et au service de la démocratie ; mais cela ne l'empêche pas de s'appuyer sur ses méthodes particulières pour amener les nouveaux arrivants à reconnaître les institutions et à travailler en leur sein afin d'éviter tout affrontement éventuel et ultérieur entre ces alliés futurs et le pouvoir, l'opposition et la société civile. Par ailleurs, il est évident que ce parti qui se veut modéré, et après 5 ans passés au gouvernement, essaiera de chercher un moyen d'affaiblir l'Etat et ses institutions, dont le renforcement n'est pas dans son intérêt car il n'irait pas dans le sens de ses objectifs véritables, à savoir le retour à l'Etat religieux en se servant des instruments démocratiques. Cela est confirmé par la facilité et l'aisance des relations nouées entre le parti de Benkirane et les salafistes (sur la photo, Benkirane et Maghraoui, en 2011). Il ne fait pas de doute que l'instrumentalisation politique de la religion nuit à la démocratie et brise l'action politique. Mais pour un parti islamique qui sent, ressent et pressent la baisse de sa popularité après un passage terne au gouvernement, il est nécessaire de revenir et de recourir au produit anesthésique habituel et habituellement utilisé en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, afin de détourner l'attention d'un bilan moyen d'une part et, d'autre part, de mettre en œuvre la solidarité confessionnelle, voire sectaire ; car, en effet, on ne soutiendra pas le PJD parce qu'il a réussi, ou qu'il se soit montré efficace, mais seulement parce qu'il est pieux. C'est là le degré zéro de la politique.