Ceci est le résumé d'une discussion ouverte avec un professeur universitaire, familier des centres de décision et grand défenseur de la théorie affirmant que les élections doivent être et rester sous contrôle, pour ne pas laisser la bride sur le cou des acteurs de la scène politique, car le royaume chérifien a encore besoin d'être cadré, que le Marocain n'est pas encore véritablement mûr et qu'il ne se comporte pas comme un électeur français, britannique ou suédois qui sanctionne une majorité et en consacre une autre suivant les programmes et les idées. Notre ami estime que l'Etat marocain a encore et toujours sa particularité et que la monarchie doit y préserver son hégémonie et sa domination, qu'elle doit aussi maintenir sa tutelle, même envers l'opinion du monarque. Notre ami pense également que la constitution de 2011 fut un dérapage qui ne doit pas se reproduire et que, aujourd'hui que ce texte est effectif, il doit être interprété dans un sens présidentiel et non parlementaire. Pour ce faire, il est primordial de garder les équilibres entre partis mais avec une nouvelle vision et une nouvelle méthode de gestion qui mettrait l'ensemble des cartes entre les mains du palais… Voici donc le résumé d'une longue discussion entre l'auteur de ces lignes, le journaliste, et l' « analyste » dont nous tairons le nom par respect de sa volonté d'anonymat, sachant que de toutes les façons, dans ce genre de débat, les noms importent peu, importent moins que les idées développées et que les plans concoctés par l'esprit « conservateur » de l'Etat… pour ne pas émettre un jugement de valeur en usant de termes comme « makhzénien », « autoritaire », « figé » ou encore « réactionnaire »… L'analyste : Avez-vous bien écouté le dernier discours royal ? Il s'agit d'un message clair à l'adresse de Benkirane et de son parti, un message disant que l'Etat a repris les choses en mains et que désormais et pour l'avenir, le palais ne fera plus de concessions au PJD… une sorte de rappel à l'ordre. Le journaliste : Oui, j'ai bien suivi le discours du roi et j'y ai relevé de nombreux messages, dont les plus importants concernaient Benkirane, lui indiquant qu'il était important qu'il change sa manière d'évoquer le roi. Mais d'autres messages étaient adressés aussi bien au PAM qu'à l'ensemble des partis politiques, leur signifiant que le roi est celui de tous les Marocains, qu'il n'appartient à aucune formation politique particulière, et que la supervision politique et juridique des élections est entre les mains de trois responsables, en l'occurrence le chef du gouvernement, le ministre de l'Intérieur et celui de la Justice. Cela revient à dire que la responsabilité du succès du scrutin incombe à tous. L'analyste : Le discours est un carton rouge brandi à la face de Benkirane et le message principal est que le palais n'a aucun problème avec le PJD, mais avec son chef. N'avez-vous donc pas lu cet article du magazine Jeune Afrique, rapportant des propos d'un proche du palais selon lequel le mandat de Benkirane à la tête du PJD est achevé et qu'il n'a été prolongé que pour gérer cette étape électorale et non la phase politique qui suivra ?… Le journaliste : Oui, j'ai lu et vu tout cela mais ce que vous dites n'est que « tactique éphémère » et non « une stratégie d'étape ». Ne construisez pas une analyse globale pour les mois qui viennent sur la base d'un grand malentendu… Le palais a des calculs plus généraux et plus complexes que ceux des acteurs politiques, jusques-y compris les plus proches, car le roi a des responsabilités plus larges et plus sérieuses. Le proche avenir de Benkirane, savez-vous, sera conditionné par d'abord et avant tout ses résultats électoraux du 7 octobre prochain. S'il engrange un grand nombre de voix et de sièges parlementaires, il se garantira 80% de chances pour rempiler à la tête du gouvernement. Mais si son parti fait élire moins de députés qu'il n'en a aujourd'hui, alors Benkirane s'en ira de lui-même chez lui. Et n'oubliez pas ceci : que l'on soit d'accord avec lui ou non, cet homme est devenu un leader politique de premier plan et sa situation actuelle diffère totalement de celle d'el Youssoufi ou de celle d'Abbas el Fassi, qui ont été prématurément remerciés. L'analyste : Vous semblez ignorer ce qu'est le makhzen et vous semblez ne pas connaître son histoire… Personne ne lui résiste, et il fait et obtient ce qu'il souhaite, toujours. A mon avis, le parti de Benkirane se classera premier en octobre, mais avec moins de députés qu'aujourd'hui. Le roi chargera son SG de former un gouvernement, et celui-ci fera la tournée de toutes les formations sans qu'il puisse dégager une majorité ; le RNI, le MP et l'USFP diront non… et l'alliance avec l'Istiqlal et le PPS ne permettra pas d'obtenir une majorité absolue. Benkirane retournera alors vers le roi et lui fera part de son échec, avant de s'en aller. Deux scénarios se dégageront alors : 1/ Le roi chargera le parti arrivé second de former sa majorité (et tout porte à croire que cela sera le PAM). Je ne pense sérieusement pas que cela se fera car le PJD irait alors dans l'opposition, ce qui serait dangereux dans la situation actuelle. 2/ Le palais expliquera à Benkirane que les partis ne refusent pas l'alliance avec le PJD, mais avec lui, Benkirane… et alors le roi chargera quelqu'un d'autre, du même parti, après de larges concertations, de former un gouvernement, Aziz Rabbah ou Saadeddine Elotmani… Et c'est là que les choses se joueront car le PAM entrera dans la coalition gouvernementale dirigée par le PJD. Et ainsi, le palais fera d'une pierre trois coups : éloigner Benkirane, maintenir la légalité constitutionnelle avec le PJD à la tête du gouvernement et, enfin, conférer une légitimité institutionnelle au PAM. Le journaliste : Ce scénario est entièrement fondé sur le recul de la popularité de Benkirane et de son parti aux prochaines élections, alors même que les précédentes, celles du 4 septembre 2015, disent le contraire. Le PJD avait obtenu 600.000 voix de plus qu'en 2011. Après quatre ans de gouvernement, non seulement la popularité de Benkirane n'a pas baissé, mais elle a augmenté… alors comment pouvez-vous penser que les résultats du PJD ne seront pas au rendez-vous alors même que ce parti tient toutes les grandes villes du pays où habitent les classes moyennes du pays (Casablanca, Rabat, Salé, Fès, Meknès, Marrakech, Tanger, Agadir, Tétouan, Mohammedia, Temara, Kenitra, Beni Mellal…) ? Et n'oubliez pas non plus qu'il existe une véritable démocratie interne au sein du PJD, contrairement à toutes les autres formations. Cela signifie que la cooptation de Rabbah ou d'Elotmani devra passer par des discussions internes qui pourraient aboutir à la scission du parti, surtout si les membres du parti ont comme perspective une alliance avec le PAM… Et gardez aussi à l'esprit que la tradition veut que le roi nomme comme chef du gouvernement le patron du parti choisi pour diriger l'exécutif. De son temps, le défunt roi Hassan II avait attendu qu'el Youssoufi revienne de son exil cannois avant de le désigner comme Premier ministre, et à cette époque-là, je vous le rappelle, rien n'obligeait le roi – comme aujourd'hui – à confier les rênes du gouvernement au parti arrivé premier aux élections… Enfin tous ces scénarios sont construits sans tenir compte de la volonté du peuple et des électeurs.