Donner un organe de son propre corps est, certes, difficilement concevable. Généralement, ceux qui se prêtent le mieux à cette éventualité sont ceux qui sont confrontés au quotidien aux souffrances de personnes qui leur sont chères : père, mère, enfant, frère, époux... A la longue, ils finissent par se résoudre à apporter l'aide qui permettra à l'être cher de se maintenir en vie sans souffrances. La greffe d'organe est, assurément, une tâche compliquée pour le donneur. Cela demande courage, générosité, persévérance et engagement. Mais il est impératif de toujours encourager le don d'organes et de tissus. Il faudrait oser le faire, pour une finalité des plus nobles, celle de préserver d'autres vies que la sienne. Au Maroc, jusqu'à présent, 142 greffes de rein ont été réalisées, ainsi que plus de 1500 greffes de cornée, 12 greffes de foie et une seule greffe de cœur. Ce qui est encore dérisoire, compte tenu des listes principales et des listes d'attente, qui s'allongent tout le temps. Outre le fait de prolonger l'espérance et la qualité de vie, la greffe est également porteuse, économiquement parlant. Sur 100 greffes réalisées par an, il y a une économie de 12 millions de Dh, en termes de financement de soins de santé. Le don d'oragnes, selon la loi N°16-98-art 5, est un acte de générosité. L'organe ou le tissu ne peut, en aucun cas et sous aucune forme, être rémunéré ou faire l'objet d'une transaction. Les prélèvements à but thérapeutique sont autorisés par notre religion, l'Islam, dans le but de restaurer la fonction régulière de l'organe ou du tissu défaillant. En faire la promotion et encourager à le faire, c'est, avant tout, sensibiliser sur le volet religieux (surtout), sur la mort clinique ou encéphalique et sur le côté légal. Mais aussi s'y atteler autrement, sur place, dans les hôpitaux et les cliniques, pour que cela devienne une chose courante. Le tabou religieux a été bel et bien éclairci, puisque cela fait plusieurs années que les réserves ont été levées dans le Monde musulman. Ces derniers temps, ce volet a pris plus d'ampleur, d'abord et surtout, avec le nombre de plus en plus croissant d'insuffisants rénaux chroniques, de malades qui vivent dans la souffrance, contraints de faire au moins trois fois par semaine des séances de dialyse. Ces maladies sont, incontestablement, le fruit de notre mode alimentaire, lequel pousse au diabète et à l'hypertension artérielle, des facteurs de risque, qui induisent une insuffisance dans le fonctionnement des organes et qui demandent, alors, l'implantation d'organes et de tissus vivants. D'importants progrès ont été réalisés en matière de l'extension de l'offre de soins et de la prise en charge des patients souffrant de la maladie rénale chronique. Si le besoin se ressent surtout pour le don de reins, dans le monde, de nos jours, on greffe le rein, le cœur, le foie, le pancréas (pas encore au Maroc), les poumons (non plus) et même l'intestin (là encore il faut attendre), pour ce qui est des organes. S'agissant des tissus, on peut greffer la cornée, la moelle épinière, les os et les vaisseaux, mais pas la peau, ni les valves cardiaques d'ailleurs. Autrement dit, non seulement le nombre des greffés est en dessous des normes, mais certaines transplantations ne se font toujours pas dans notre pays. En donnant un organe, on préserve une vie, en remplaçant l'organe défaillant du malade par celui du donneur mort ou vivant. Le rein ou le foie peuvent être prélevés à partir de donneurs vivants et la majorité des autres organes sont prélevés de sujets déclarés en état de mort encéphalique. Il est primordial de savoir que la mort encéphalique n'a rien à voir avec le coma profond. Si le cerveau est détruit irrémédiablement dans le premier cas, avec un cœur qui peut assurer ses fonctions, la mort encéphalique est due à des traumatismes crâniens provoqués par un accident grave de la circulation, par une hémorragie ou par manque d'oxygène dans le cerveau, ce qui entraîne automatiquement la mort. Le coma profond est, par contre, dû à des intoxications, à des baisses de température ou à des lésions partielles du cerveau, mais n'entraîne pas automatiquement la mort. Certains chiffres sont alarmants, selon la présentation de M. Benyounes Ramadani, président du Conseil consultatif de don et d'implantation d'organes et de tissus, lors d'une journée de sensibilisation sur le sujet. On comptabilise moins de 10 implantations par an (25 greffes ?) pour un million de citoyens marocains en 2014 (les statistiques ne sont pas actualisées). Soit 0,4 donneur pour un million de Marocains, alors que plusieurs progrès ont été réalisés pour ce qui est des lois, de la formation et de l'organisation (gestion). Le don d'organes et de tissus permet la survie dans de meilleures conditions de santé, mais aussi, après une greffe de cornée, de recouvrir la vision. Le coût des charges de la santé publique diminue, les maladies et les morts cardiaques régressent, autant d'atouts majeurs aussi bien pour les citoyens que pour l'Etat. Aspect légal La loi 98-16 qui régit le don et la greffe d'organes, bel et bien instaurée dans le Bulletin Officiel depuis 1998, insiste sur la gratuité (sans aucune contrepartie), avec consentement du donneur, qui ne devrait être connu par le receveur, c'est-à-dire avec respect de l'identité du premier cité. Plusieurs réformes ont été faites, notamment au niveau de l'article de loi 16/98, avec ses 6 décisions, pour ce qui est du développement du don et de la greffe d'organes. A savoir qu'il y a une commission qui gère la liste nationale des receveurs et la distribution des organes. Pour ce qui est du Conseil consultatif de greffe d'organes et de tissus, l'article 34 lui attribue certaines prérogatives, telles que le bon déroulement de la collecte des membres et de la greffe, ainsi que l'encouragement et la promotion du don. Aspect organisationnel Certains hôpitaux publics sont plus habilités que d'autres dans ce genre d'exercice: les CHU Ibn Sina de Rabat, Ibn Rochd de Casablanca, Hassan II de Fès, Mohammed VI de Marrakech, ainsi que l'hôpital militaire et l'hôpital Cheikh Zaïd de Rabat. Il y a, également, certaines cliniques qui ont été autorisées à effectuer des greffes. Pour ce qui est de la moelle épinière, la prise en charge s'effectue au centre de transfusion de sang de Casablanca. Les réalisations 36 greffes de rein d'un donneur vivant en 2012, 37 en 2013 et 46 en 2014. Pour les greffes d'un donneur mort, elles étaient de 7 en 2012, de 6 en 2013 et de 10 en 2014. Toujours est-il que la greffe du rein a augmenté depuis 2010 (28 greffes), 2011(19), 2012 (36), 2013 (43), 2014 (46). Entre 2007 et 2013, 17 enfants ont bénéficié de greffes. En 2014, une greffe de foie a été réalisée grâce à un donneur vivant et 4 à travers des donneurs morts. Pour ce qui est de la greffe des tissus, 372 greffes de cornée ont été effectuées en 2012, 399 en 2013, 370 en 2014. 12 cornées ont été prises en 2014, 12 en 2013, 322 en 2012. 358 cornées ont été importées en 2014, 387 en 2013 et 350 en 2012. Quant aux cellules souches hématopoïétiques, 57 cellules de moelle épinière ont été greffées en 2014, 28 en 2013 et 16 en 2012. Malgré la grande campagne de promotion de don d'organes et de tissus 2013-2016 du CHIS, pour assurer la disponibilité des organes et des tissus à greffer, les résultats sont encore très faibles. De 1984 à 2015, on est passé, au niveau national, d'un unique centre d'hémodialyse à plus d'une centaine. En janvier 2016, d'après l'allocution du ministre de la Santé, lors du lancement officiel du régime d'assurance maladie obligatoire de base des étudiants, M. Lhoussine El Ouardi a spécifié que, jusqu'à maintenant, on a réussi à réaliser 142 greffes de rein, plus de 1500 greffes de cornée, 12 greffes de foie et une première greffe de cœur, réalisée il y a quelques semaines au profit d'une petite fille de 12 ans. Ce qui est encore dérisoire, compte tenu des listes principales et des listes d'attente encore longues. Ajoutant que la banque de tissus du CHIS (Centre hospitalier Ibn Sina) de Rabat, implantée à l'HER (Hôpital d'enfants de Rabat), est opérationnelle et performante. Le CHIS prévoit de réaliser, en 2016, entre 200 et 250 greffes par an. Listes d'attente 75 personnes sont inscrites, en 2014, au niveau des listes principales de Rabat et de Casablanca, pour ce qui est de la greffe du rein, 230 dans la liste d'attente au niveau de Rabat, Casablanca et périphérique. Pour ce qui est du foie, 5 citoyens sont inscrits dans la liste d'attente à Rabat. En début 2014, 5 greffes de cœur sont en attente à Rabat et 900, en 2014, dans la liste de la cornée. Quant à la greffe de poumon et du pancréas, ce n'est pas encore connu. En gros, si 7410 malades attendent une opération de greffe de rein, c'est qu'il y a manque de sensibilisation et d'information, mais aussi de conscientisation sur l'ampleur de la problématique, que ce soit au niveau des ministères, des administrations, des sociétés, des familles, dans les lieux publics. D'autres entraves rentrent dans ce volet pour ce qui est du don d'organes d'un mort clinique, à savoir les charges avant la greffe, le tabou religieux et la méconnaissance de la définition d'une mort encéphalique. Difficultés de recrutement des donneurs en état de mort encéphalique : craintes et peurs, position du défunt, méfiance par rapport aux médecins, manque d'information, prise en charge aux urgences.... autant de contraintes auxquelles il faut faire face. Des propos recueillis ici et là, à différents événements, de médecins, professeurs, acteurs religieux et légaux, estiment que le retard se ressent sur ce volet. Pour Pr Rahou Hakima, spécialiste des maladies rénales et de la transplantation rénale au CHU de Rabat, le retard est énorme en matière de transplantation d'organes au Maroc, comparativement à l'Europe, aux Etats Unis, mais aussi par rapport à nos voisins du Maghreb, l'Algérie et la Tunisie, sans parler de l'Egypte. Il y a tous les jours des personnes qui meurent à l'hôpital, suite à l'insuffisance de l'un des organes des malades, soit le rein, le cœur, le poumon ou le foie. Le manque d'organes est démesuré. Ce sont des organes qu'on ne peut ni importer, ni acheter, ni fabriquer. La seule issue, c'est le bénévolat, c'est-à-dire un corps humain, pour la plupart mort. Si les gens n'acceptent pas de faire don de leurs organes après la mort, on ne pourra jamais les avoir et sauver ces malades qui attendent depuis longtemps. Si le CHU fait des campagnes de sensibilisation, c'est pour que le citoyen marocain soit conscient de ces problèmes, pour qu'il ait une idée précise sur le don d'organes. Soit, une information de l'opinion publique, surtout qu'il a peur qu'on fasse commerce de ses organes, mais aussi pour des raisons juridiques et religieuses. Une clarification et de la transparence s'imposent à ce sujet. Il faut savoir qu'on distribue ces organes de façon légale. On a une liste d'attente de malades au niveau du ministère de la Santé et chez les directeurs des CHU, dont on dispose quand on est en possession de l'organe. On greffe un rein qui nous provient de Marrakech à une enfant de Rabat... Ce retard ne s'explique pas, puisque le Maroc dispose d'un staff médical compétent, d'hôpitaux universitaires qui peuvent faire face à ces soins, une loi marocaine intégrale qui a été établie en 1998-99, une position très claire de l'Islam. Ce qui manque, c'est la confiance entre les familles et le système de soins. Le problème, c'est que, pour prélever sur un donneur, il faut l'accord de la famille, laquelle a toujours peur du trafic d'organes et du non respect du corps. Or, légalement, comme stipulé par Saïd Sabri, chargé, au Tribunal de Rabat, de ce dossier de don d'organes et de tissus - avant la mort, après la mort et en état de mort clinique ou encéphalique et des séances en relation avec les dons, particulièrement des reins et une partie du foie - l'article 16-98 et ses clauses d'application, celles de 2002, actualisées en 2009, ont permis la protection du donneur : Y a-t-il volonté ou non ? Y a-t-il contrainte ? Est-ce qu'il n'y a pas de vente ou d'achat ? Même le code pénal marocain pénalise le commerce d'organes. D'ailleurs, le côté légal du don d'organes et de tissus a été entamé en 2002, date de la première greffe de rein, qui fût une réussite. Au niveau du CHU Ibn Sina, au service de néphrologie transplantation rénale, le travail de sensibilisation et d'information se fait à grande échelle. Il y a beaucoup de greffes qui ont réussi et les volontaires au sein de l'hôpital s'y prêtent efficacement. La plupart des donneurs sont de proches parents, surtout les conjoints, beaucoup de cas où la femme a donné à son mari. Il n'y a pas du tout de répercussions négatives, le donneur vit normalement et permet à son receveur de vivre normalement. II faut donner puisqu'il y a déficit d'organes à transplanter. Après la greffe, un travail pénible s'il en est, c'est un bonheur que de voir le patient se rétablir. Donner de l'espoir pour une vie normale est très important. Tout le monde partage ses sensations, praticiens, gestionnaires, partenaires de la société civile...qui s'engagent dans cette prise en charge médico-sociale. Par ailleurs, les efforts conjoints de la société civile ont permis de soutenir la politique du ministère de la Santé dans le renforcement des actions de la prévention et de dépistage, de la prise en charge des patients, avec le soutien des centres d'hémodialyse, la construction de nouveaux centres..., en particulier l'Association des néphrologues, qui ne cesse d'apporter son expertise pour améliorer la prise en charge des patients. Sur la base de ces résultats, il faut s'atteler à renforcer ces acquis, car, plus de 3000 patients, qui souffrent de la maladie rénale chronique, passent en stade terminal. Le pari n'est pas encore gagné.