L'Aïd Lakbir est là. Les signes apparents se font voir depuis quelques jours par des rues remplies de troupeaux de moutons, mais aussi de génisses et de caprins exposés à la vente en pleins quartiers d'habitation faute d'aménagement de marchés appropriés. L'urbain et le rural s'emmêlent, bonjour les désagréments. La ville de Casablanca se transforme pendant quelques jours en une immense étable. Même certains quartiers non habitués à ce genre d'intrusion se trouvent assiégés par les cheptels destinés à l'immolation. Pour être de sacrifice, le mouton constitue vraiment un grand sacrifice pour les familles marocaines qui n'épargnent aucun effort pour s'affranchir de ce rite. Pour le plus petit mouton qui a bouclé l'année, âge obligatoire selon la sunna pour être agréé en sacrifice, il faut compter pas moins de mille cinq cent, voire deux mille cinq cents dirhams. Selon des observateurs, durant la dernière semaine avant l'Aïd, on a enregistré une augmentation d'au moins cinq cents dirhams par rapport à l'an passé. Alors que pour les moutons vendus à la pesée, la différence ne serait que de trois DH / Kg de plus par rapport à l'année dernière. Enfin, cela dépend des villes. Le broutard de race Sardi se négociait entre 51 dh / kg et 53 dh. Le bergui se vendait entre 49 et 50 dh / kg. Mais cher ou pas, qu'on ait les moyens ou qu'on soit démuni, personne ne peut (ou ne veut? ) déroger à l'achat et au sacrifice du mouton. Surtout dans les familles avec des enfants qui ne peuvent supporter de voir les voisins acheter le mouton et eux pas. Ce n'est peut-être qu'un sacrifice, mais toujours est-il qu'il faut mettre les mains et les pieds pour avoir amener le mouton au foyer. On fait flèche de tout bois pour atteindre le but escompté. Quitte à commettre l'illogique en contractant un crédit, ce qui est en complète contradiction avec le principe même du sacrifice. Cela devient parfois une question d'orgueil et d'amour-propre. On s'attache à respecter la fête de l'Aïd coûte que coûte. Si, pour les uns, le respect du rite du sacrifice est dicté par une forte conviction, tant qu'il s'agit d'une sunna mouakkada (confirmée), pour d'autres, c'est l'aspect réjouissance et festivité qui prévaut. Un peu de joie une fois l'an n'est pas de refus. Quel que soit le prix à ...sacrifier. Cela dit, d'aucuns stigmatisent «l'aberration» à vouloir coûte que coûte respecter une sunna, par définition facultative, même quand on n'en a pas les moyens de la glorifier. Mais d'autres pensent que la vraie finalité de l'Aïd al Adha, au-delà du sacrifice du mouton, c'est la « silat arrahim » (littéralement, les liens utérins), la relance des attaches familiales, la rencontre en réjouissance avec les membres de la famille et l'entraide, les nantis secourant les démunis. Cher le mouton ! Cette année, le mouton est anormalement trop cher. De l'avis de certains éleveurs et autres vendeurs de moutons, il y aurait une augmentation de quatre cents à cinq cents dirhams par rapport à l'année dernière. « L'élevage du mouton pour les petits éleveurs n'est pas rentable, c'est tout juste comme un vice qu'on attrape et dont on ne peut pas se passer bien qu'on soit perdant », déclare un éleveur des Sraghna. Selon des vendeurs qui se disent simple éleveurs de bétail venant à Casablanca de différentes régions : Béni Mellal, Azilal, Settat, Rhamna, Serghna, la cherté du mouton est due principalement à la cherté des béliers achetés au début de l'année aux souks pour les engraisser pendant deux à trois mois avant l'Aïd. « Un broutard qui a bouclé l'année est acheté dans les souks au prix de mille cinq cents dirhams au moins et son engraissement pourrait coûter, pendant trois mois, jusqu'à mille dirhams, tous frais confondus », soutient un éleveur. Il paraît même que certains éleveurs-vendeurs, pour rentabiliser la vente de leur cheptel, aient recours à des produits d'engraissement illicites comme les déchets (fiente) de volaille pris dans des fermes. La qualité des viandes au niveau du goût se ressent aussi quand la nourriture est à base de produits d'alimentation industrielle, répète-t-on. D'autres facteurs influent à la hausse sur le prix élevé du mouton. Il s'agit des frais de transport et le coût de location des garages dans les quartiers. On assiste de plus en plus, ces dernières années, à la multiplication de locaux loués occasionnellement par les vendeurs de moutons, qui, rebutés par les frais élevés pour l'accès aux souks en plein air dans la périphérie de la ville et le transport quotidien, préfèrent s'installer dans des locaux au rez-de-chaussée d'immeubles ou dans des garages transformés en bergeries circonstantielles. « Le moindre petit local, c'est trois mille cinq cent dirhams pour dix jours», disent des marchands installés dans des quartiers périphériques de Casablanca. Des locaux de moins de cent mètres carrés ont été loués pour dix jours à dix milles dirhams, soit le prix de quatre moutons moyens. Le phénomène de sacrifice des génisses, de plus en plus en vogue, est observé avec entre sept mille dirhams pour des spécimens locaux et jusqu'à plus de dix mille dirhams pour des espèces d'origine hollandaise. Les caprins, sous prétexte qu'il y a des maladies (diabète et autre cholestérol), sont aussi visibles bien qu'en plus petit nombre avec des prix variant entre huit cents et mille dirhams.