Cette photo remonte aux années 60. Elle montre trois personnes aux parcours riches et différents. A gauche, Yahia Bouabdeslam, originaire de Tlemcen dont le nom va intégrer le cinéma marocain dès ses débuts. C'est lui qui assura le son d'un nombre incalculable de films, courts et longs, de fiction et documentaires, noir et blanc et en couleurs. Cela nécessitait des déplacements à travers tout le pays, dans la plaine et en montagne, en été et en hiver, dans le nord et dans le sud, comme le montre si bien cette photo prise à Imilchil pour le besoin d'un film exhortant les coutumes singulières de la région en matière de noces :"Les fiancés d'Imilchil". Pour tendre la perche ou enregistrer les sons et les dialogues, il faut etre présent lors des tournages. Yahia Bouabdeslam était, par sa fonction, l'incontournable technicien. Pendant longtemps, il fut le seul maître du son, réclamé par toutes les équipes. Sans formation académique, il a appris les techniques et assimilé les spécificités du son chez les derniers rescapés des techniciens-colons, aux studios Souissi et au C.C.M. Constamment présent, Bouabdeslam s'est vu attribuer des roles dans un bon nombre de films. Il se débrouillait merveilleusement bien en tant qu'acteur non professionnel. Sa bonhomie, son physique trapu, sa nonchalence vont livrer un personnage hors du commun notamment dans "Retour aux sources", "Le mirage","Le grand voyage". Au bon milieu de la photo surgit un autre personnage: Abdelaziz Ramdani, peu connu hélas dans le milieu. Et pourtant, il est de la première génération de l'I.D.H.E.C., réalisateur de plusieurs films dont le long métrage "Quand murissent les dattes" en 1968 avec son collègue Larbi Bennani. Auparavant, on lui doit l'émergence et le développement, en tant que réalisateur du "cinéma de vulgarisation" dont le C.C.M. faisait son cheval de bataille pour confirmer son cinéma marocain enseigné dans la pure tradition coloniale ou presque. Tazi, Bennani, Lahlou, Afifi, Benchekroun, avec Ramdani, se sont avérés les maîtres du genre durant cette période postcoloniale. Fatigué, et avec l'arrivée de jeunes cinéastes aux visions fort différentes, Ramdani va se replier sur la gestion administrative en tant que secrétaire général du C.C.M. jusqu'à la fin de sa carrière, oubliant et oublié par le milieu. Allongé sur la photo à "histoires", on reconnait Saleh 3arrassi, plus connu sous le nom de Ba Saleh. Au teint basané, originaire du Sud, doté d'un regard perçant, Ba Saleh, paradoxalement, n'était nullement une brute des tournages. C'est un humble personnage érigé en technicien multi-fonctions par la force des choses. Sa filmographie compte une centaine de films, marocains et étrangers de tous genres pour lesquels il a assumé tous les postes. C'est l'un des premiers freelances de l'histoire du cinéma marocain. Dès sa prime jeunesse, il va investir le cinéma, prêt à tout faire. De forte corpulence, on va le retrouver machiniste ce qui va le familiariser avec les caméras, les projecteurs, les rails, les groupes électrogènes et autre artillerie des tournages. Plus tard, il va se faire une spécialité enfin: chef éléctro dont il garde fièrement le titre. Il constitue aujourd'hui une légende vivante, car durant sa carrière, Ba Saleh a cotoyé les grands du cinéma mondial, aidé à la fabrication de grands classiques du cinéma sans pour autant mérité l'attention qu'on doit aux grands de notre Histoire. On constate qu'il n'a bénéficié d'aucun hommage louant ses précieux services au cinéma marocain au moment où des hommages fastidieux sont consacrés à des techniciens-artistes à peine sortis de leurs couches.