A écouter l'écrivain marocain lauréat du prix Goncourt, en l'occurrence Tahar Benjelloun, le cinéma et le roman, appartenant chacun à une catégorie d'expression, n'ont pas à établir des liens. En d'autres termes, il faut éviter d'adapter des romans au cinéma compte tenu de la spécificité littéraire du roman dont l'unité est le verbe tandis que le film repose sur l'image, deux modes d'expression diamétralement opposés. Les propos de Tahar benjelloun cachent une certaine amertume. Il est évident que ses romans portés à l'écran ont recueilli quelques déceptions de la part de l'écrivain. Voulant être fidèles à l'esprit du roman, les cinéastes ont fini dans une ambiguïté agaçante. Cependant, au moment où on enregistre ce désaveux fort compréhensible, on note la satisfaction presque totale d'un écrivain tel que l'Allemand Gunter Graas dont le roman "Le tambour" a été admirablement transposé à l'écran par son compatriote Volker Schloendorf. Le roman tout comme le film dégagent chacun sa propre narration voire sa propre spécificité. Schloendorf, tout en collaborant avec Graas lors de l'élaboration du scénario, s'est gardé de ne retenir que ce qui peut être filmé. Il est vrai qu'il faut une certaine prudence lors de l'adaptation d'un roman écrit par un écrivain célèbre. Les adaptations d'Anton Tchékov, Maxime Gorki, Thomas Mann, Marcel Proust, Jean Simenon, Umberto Eco, Dashiell Hammett... à l'écran, s'effectue par des cinéastes aussi célèbres, susceptibles d'éviter des critiques non fondées et surtout prenant au sérieux leur travail. On ne connaît pas de cinéastes de seconde importance s'aventurer à adapter un roman d'un si illustre écrivain. Quand on cite Orson Welles, dans ce domaine, on a vite à l'esprit "Le procès" de Franz Kafka. C'est un cas à part dans la catégorie de films adaptés de roman. A lire le roman, on ne peur s'empêcher de se demander si les propos sont vraiment filmables. Car Kafka, c'est tout un monde édifié dans la seule imagination de l'auteur, une vision singulière, un milieu opaque, peu commun. Welles avait fait preuve d'une réelle audace à s'intéresser à Kafka. Seulement Welles ne s'est pas contenté de reprendre les personnages kafkaens, à cerner leur psychologie, à définir leur philosophie individuelle. Il a écrit un scénario qui n'obéit pas à la narration originale en faisant suivre au personnage principal un itinéraire tout aussi tortueux mais différent. Il inculquait au film sa logique propre et des mécanismes intérieurs qui ne s'apparentent pas nécessairement au roman. Welles créait un nouveau monde de Kafka tout aussi différent de celui du romancier. Quitte à désapprouver l'approche de Tahar Benjelloun, le cinéma et le roman peuvent faire bon ménage si d'abord le roman est adaptable et si le cinéaste comprenne bien les spécificités du roman et sache traduire son contenu par l'image et par le son. Sinon, comment peut-on expliquer la notoriété d'un cinéaste tel que Alfred Hitchcock qui n'a travaillé que sur l'adaptation des romans parfois très insignifiants, mais qui enregistre à chaque fois un nouveau succès. Les auteurs de ces romans sont des romanciers de série B très peu connus qu'Hitchcock a sortis de l'ombre et même enrichis. Il démontrait qu'à partir d'histoires banales et communes, on peut en faire un film à grand succès critique et public. Mieux encore, Hitchcock est capable d'en faire un classique du cinéma mondial.