La Constitution marocaine de 2011-Analyses et commentaires est le titre du nouveau livre initié et réalisé sous la direction du Centre d'Etudes Internationales* (CEI), paru aux éditions LGDJ le 24 avril 2012 et dont la commercialisation au Maroc aura lieu prochainement. Dans cet ouvrage collectif, François-Paul Blanc** commente, à la lumière de la nouvelle Constitution marocaine, la place de la région dans la nouvelle organisation territoriale du royaume. Par ailleurs, il analyse la situation spécifique du Sahara marocain dans l'hypothèse où le Projet Marocain d'Autonomie serait adopté. Au Maroc, la régionalisation sera amorcée sous le Protectorat et développée à partir de l'indépendance. Les articles 135 à 146 de la Constitution de 2011 en sont la dernière avancée. L'Initiative marocaine pour la négociation d'un statut d'autonomie de la région du Sahara en propose un nouveau modèle. La création des régions est fondamentalement liée au besoin de tout pouvoir central de disposer d'un relais pour administrer le territoire dès lors que celui-ci atteint certaines dimensions. Les autorités du Protectorat furent ainsi conduites à créer des régions dont le nombre, le découpage et les missions ont évolué jusqu'à ce qu'elles prennent leur forme définitive autour des années 1940. Leur fonctionnement sera subordonné au respect des traits qui marquent leur originalité et se traduisent dans une hiérarchie de pouvoirs déconcentrés. Au lendemain de l'indépendance, les régions disparaissent et sont remplacées par un nouveau relai territorial de moindre amplitude, les provinces. Dans les années 1960, la nécessité de mettre en place une politique destinée à rééquilibrer le développement de l'ensemble du territoire national va provoquer la création de sept régions économiques qui procèdent également de la technique de la déconcentration. Le but de cette seconde régionalisation était de mettre en marche un processus d'élaboration des programmes régionaux de développement sous la direction des autorités déconcentrées, les gouverneurs représentant le pouvoir central, avec le concours d'une représentation des forces vives de la région au sein d'une assemblée consultative régionale dont la vocation était d'être un maillon important dans la préparation du plan et de la politique d'aménagement du territoire. La Constitution du 4 septembre 1992 introduit les régions parmi les collectivités locales et celle du 13 septembre 1996 dispose, dans son article 101, que « Les gouverneurs exécutent les délibérations des assemblées ( ) régionales dans les conditions déterminées par la loi ». Son article 102 rappelle de même que les gouverneurs « ( ) représentent l'Etat et veillent à l'exécution des lois. Ils sont responsables de l'application des décisions du Gouvernement et, à cette fin, de la gestion des services locaux des administrations centrales ». Bien qu'il s'agisse toujours des sept régions économiques, il y a, au niveau de la norme fondamentale, une amorce de décentralisation, tempérée cependant par un contrôle étatique qui traduit la persistance d'une centralisation à laquelle le pouvoir ne parvient pas à renoncer. Cette tendance se traduira dans la charte régionale promulguée par le dahir du 2 avril 1997 qui illustre le caractère très encadré de cette décentralisation. Cette loi de 1997 impose un nouveau découpage en 16 régions. Il ne s'agit plus de « régions économiques » comme par le passé - celles-ci sont expressément supprimées par l'article 69 de la loi - mais de « véritables sous-ensembles de la nation », dotés de pouvoirs et susceptibles de constituer des relais de l'autorité centrale aussi bien que des espaces de gestion autonomisés, comme semblent l'indiquer les textes constitutifs. Le droit régional fondé sur ce dahir de 1997 constitue toujours le droit positif des régions en attendant que la loi organique prévue par l'article 146 de la Constitution de 2011 soit élaborée par le parlement. Dans son discours adressé à la nation le 9 mars 2011, le roi définira les fondamentaux de ce que l'on va appeler la régionalisation avancée et, en attendant la loi organique appelée à les mettre en œuvre, la nouvelle Constitution dans ses articles 135 à 146 les constitue en normes. Il importait donc - et c'est le premier principe posé dans le discours royal - de « Conférer à la région la place qui lui échoit dans la Constitution, parmi les collectivités territoriales, et ce, dans le cadre de l'unité de l'Etat, de la nation et du territoire ( ) ». L'article 135, alinéa 1, de la nouvelle Loi fondamentale constitutionnalise ce principe, tandis que l'article 143, alinéa 2, confère à la région « ( ) un rôle prééminent par rapport aux autres collectivités territoriales ( ) ». La future loi organique pourrait rappeler, à l'instar de l'article 2 de la Charte régionale de 1997, que « La création et l'organisation des régions ne peuvent, en aucun cas, porter atteinte à l'unité de la Nation et à l'intégrité territoriale du Royaume ». La régionalisation proposée est d'essence démocratique. Le roi, dans son discours de mars 2011, demande au législateur de prévoir « ( ) la gestion démocratique des affaires de la région ». Or, gérer les affaires de la région implique que soient, au préalable, clairement circonscrits les pouvoirs des organes décentralisés et déconcentrés. En l'état, l'article 140, alinéa 1, de la nouvelle Constitution précise que « Sur la base du principe de subsidiarité, les [régions] ( ) ont des compétences propres, des compétences partagées avec l'Etat et celles qui leur sont transférables par ce dernier ». L'article 140, alinéa 2, leur attribue, « ( ) dans leurs domaines de compétence respectifs et dans leur ressort territorial, ( ) un pouvoir réglementaire ( ) ». La décentralisation traduite dans cette « régionalisation avancée » est par ailleurs fondée sur trois orientations fondamentales : l'élection du conseil régional, les pouvoirs de son président et la démocratie participative. L'Initiative marocaine d'autonomie propose une exception au droit commun ainsi défini. Elle emprunte aux systèmes adoptés par de nombreux Etats, soucieux de tenir compte dans leur organisation territoriale, de certaines spécificités des populations en leur permettant de s'exprimer dans un cadre régional doté d'une réelle autonomie. Ces solutions peuvent aller d'une décentralisation poussée jusqu'au fédéralisme en passant par une autonomie régionale accrue aboutissant à l'émergence d'une entité autonome. Le statut proposé par l'Initiative marocaine pour édifier la région autonome du Sahara repose sur trois principes fondamentaux : unité d'un « peuple », consacrée dans un cadre régional spécifique et librement adopté ; édification d'une véritable autonomie dont les limites sont clairement fixées par le partage de compétences prévu par le projet - l'Etat central conserve la compétence exclusive sur les attributs de souveraineté, sur les prérogatives religieuse du roi et dans les domaines relevant traditionnellement des ministères dits de souveraineté - ; et liberté de choix de la population sahraouie à qui rien n'est imposé et qui doit donc se prononcer librement par voie référendaire sur l'autonomie régionale proposée. Le statut, une fois adopté, « sera incorporé » dans la Constitution marocaine « ( ) comme gage de sa stabilité et de sa place particulière dans l'ordonnancement juridique national ». L'autonomie organique consentie à la future région - et qui est le reflet de son autonomie fonctionnelle - sera ainsi une exception topique au droit commun régional. C'est à travers le particularisme de l'autonomie organique que doit être saisie l'originalité de la région projetée : alignée sur la tripartition traditionnelle de la séparation des pouvoirs, la société démocratique proposée dans l'Initiative marocaine implique que « ( ) les populations du Sahara géreront elles-mêmes et démocratiquement leurs affaires à travers des organes législatif, exécutif et judiciaire dotés de compétences exclusives ». Le pouvoir législatif est représentatif d'une population composite. Le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire traduisent, quant à eux, le partage de compétence entre l'Etat central et la région. * Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. ** François-Paul BLANC est un spécialiste des droits africains francophones. Il est agrégé des facultés de droit, professeur émérite des universités, doyen honoraire de la faculté de droit de Perpignan, ancien professeur des facultés de droit du Maroc, fondateur du Centre d'études et de recherches juridiques sur les espaces méditerranéen et africain francophones (CERJEMAF - E.A. 1942), fondateur de la Faculté internationale de droit comparé des Etats francophones, et de trois revues internationales à comité de lecture.