L'autonomie est l'expression d'un degré d'enchevêtrement et de séparation entre le central et le local. La portée de l'autonomie territoriale régionale est tributaire de la sensibilité et de la délicatesse de cette démarcation. Celle-ci ne concerne traditionnellement pas le domaine des affaires étrangères, souvent reconnues comme compétence exclusive des seuls Etats. Autonomie régionale et relations extérieures semblent donc à première vue antinomiques. La reconnaissance internationale et la capacité d'exercer la souveraineté tant interne qu'externe sont indéniablement des éléments clés de la définition des Etats modernes. De ce point de vue, le Projet Marocain d'Autonomie (PMA) pour le Sahara, présenté le 11 avril 2007 au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Ban ki-Moon, établit, dans ses points 12 et 14, les compétences qui seront exercées respectivement par la région autonome du Sahara et par l'Etat. Néanmoins, le PMA a réparti ingénieusement les compétences internationales. Celles-ci sont à la fois une exclusivité de l'Etat et un champ d'intervention de la région autonome du Sahara. Cela peut sembler paradoxal ou surréaliste. Toutefois, une lecture approfondie des dispositions du projet d'autonomie démontre la volonté du Maroc de faire de la compétence internationale un élément de souveraineté et donc d'unité nationale, une et indivisible, mais aussi une expression poussée de l'autonomie régionale du Sahara. Les relations extérieures : Fondement de l'unité nationale Traditionnellement, les relations extérieures sont la compétence exclusive de l'Etat, le domaine réservé du pouvoir central. Il s'agit là d'un standard international immémorial. Le PMA ne semble pas faire figure d'exception sur ce registre. Le point 14 de l'Initiative marocaine énumère les compétences que l'Etat compte conserver et exercer à titre de responsabilité exclusive. Il est question en l'occurrence : « - (des) attributs (traditionnels) de souveraineté, notamment le drapeau, l'hymne national et la monnaie. - (des) attributs liés aux compétences constitutionnelles et religieuses du Roi (…). - (de) la sécurité nationale, la défense extérieure et de l'intégrité territoriale. - (des) relations extérieures. - (ainsi que de) l'ordre juridictionnel du Royaume ». Cependant, cette exclusivité appelle deux types de remarques : Premièrement, l'exclusivité ne renvoie pas au monopole, mais plutôt à une garantie. L'Etat est par définition le garant de l'intégrité territoriale, de la sécurité nationale et des intérêts légitimes de la nation. Les gouvernements mènent leur politique extérieure au nom de l'intérêt national. De ce point de vue, l'Etat serait l'interprète de sa population. Ce qui représente une condition de l'unité nationale. Les autres personnes morales de droit international public sont aussi en droit d'avoir un interlocuteur national unique et unifié, censé exprimer et défendre les intérêts de son peuple et de son territoire. Deuxièmement, et dans le sillage du processus de démocratisation et d'ouverture que connaît le Maroc actuellement, l'exclusivité de la compétence internationale semble prendre de nouvelles dimensions. Toutes les Constitutions marocaines, de celle de 1962 à celle de 1996, mettaient en avant le rôle prépondérant du chef de l'Etat en matière diplomatique. La question des choix fondamentaux et stratégiques de la diplomatie marocaine relevait de la compétence du Roi en sa qualité de chef de l'Etat. Citons l'exemple de la nomination des représentants diplomatiques du Royaume. Ceci constituait un véritable champ réservé à l'institution monarchique. Aujourd'hui, la nouvelle Constitution de 2011 attribue cette compétence au Conseil des ministres. C'est dire qu'on assiste à une certaine démocratisation de l'exercice de la diplomatie nationale. Le gouvernement étant désormais l'émanation de la majorité électorale telle qu'exprimée par le suffrage universel auquel tous les Marocains, les Sahraouis compris, participent. Le scénario d'autonomie dans la région du Sahara fait partie du processus d'édification d'un Etat moderne et démocratique. Il est donc clair que l'Etat, symbole de l'unité nationale, se réserve les prérogatives régaliennes de la souveraineté, comme cela est de règle dans tous les régimes, en particulier la défense et la sécurité nationale, les affaires étrangères et les attributions constitutionnelles et religieuses du Roi. Toutefois, le PMA reconnaît une certaine compétence internationale à la région du Sahara. A l'exclusivité, se substitue désormais une certaine conception de partage, condition sine qua non de toute formule avancée d'autonomie territoriale. Les relations extérieures : Elément de l'autonomie régionale Nul doute que le PMA entend créer une région à statut dérogatoire et dont les compétences dépassent les attributions administratives classiques des collectivités territoriales. La région du Sahara aura certes les moyens, juridiques, financiers et institutionnels, de réaliser son essor économique et social dans l'intérêt de la population des provinces du Sud. Mais, le souci de mettre en place une véritable autonomie est tel qu'il reconnaît, au profit de la région du Sahara, et parmi ses compétences propres, celles qui relèvent du domaine des relations extérieures. La scène internationale enregistre en effet l'avènement de concurrents de taille à la compétence diplomatique exclusive de l'Etat. Il s'agit de nouveaux acteurs qui ont développé ce qui est convenu d'appeler une para-diplomatie ou une diplomatie parallèle dont le rôle est de plus en plus incontournable et dont l'influence est sans cesse ressentie, voire requise. La société civile et les gouvernements locaux sont les fers de lance de cette nouvelle génération de diplomatie. Ils exercent leur nouveau rôle dans des organisations intergouvernementales ou non gouvernementales dont le nombre et les préoccupations ne cessent d'augmenter et de se diversifier. A la lecture du PMA, et notamment de son point 15, il est permis de déduire que la compétence internationale de la future région du Sahara est appelée à se développer dans deux sens : le premier est d'ordre consultatif ; le second relève de l'initiative propre et plus ou moins libre de la région. Du point de vue consultatif, le PMA invite le gouvernement central à consulter l'instance régionale en lui demandant son avis à l'occasion de la gestion des questions et des affaires internationales qui ont un rapport avec les attributions propres de la région autonome du Sahara. Une sorte d'approche participative qui consiste à associer la région au traitement des dossiers politiques internationaux la concernant. Cette formule consolide le principe d'une autodétermination démocratique. La région autonome peut exercer cette compétence internationale et « (…) en concertation avec le Gouvernement (…) ». En effet, le point 15 du PMA lui permet l'établissement de liens de coopération avec des régions étrangères afin de développer la coopération interrégionale, notamment en matière de coopération économique, institutionnelle et culturelle ainsi que dans le domaine des investissements étrangers. La future région est en droit de nouer tous types de partenariat avec les régions du monde, soit pour transposer localement les expériences réussies de bonne gouvernance, soit pour véhiculer le modèle marocain d'autonomie, soit enfin, pour acquérir des ressources financières supplémentaires à injecter dans le circuit du développement socio-économique régional. La compétence internationale de la région autonome a aussi un aspect culturel de premier ordre. Il s'agit de promouvoir le patrimoine culturel hassani et d'en faire un facteur de rayonnement culturel national. Ceci est d'autant plus vrai que la nouvelle Constitution marocaine a expressément reconnu la composante hassanie comme élément de l'identité culturelle nationale. Toutefois, cette compétence internationale propre doit s'exercer dans le respect de deux exigences : la première est l'obligation faite à la région autonome de mener sa compétence internationale en concertation avec le gouvernement central. Cette disposition est conforme aux nomes du droit international qui ne reconnaît aux instances infra-gouvernementales ni personnalité juridique sur la scène mondiale, ni représentation autonome dans les instances intergouvernementales. Les gouvernements locaux, partout dans le monde, sont des unités qui dépendent de leur Etat. La deuxième exigence est celle de mener une compétence internationale en harmonie avec celle du gouvernement central. Celui-ci est seul responsable pour définir les orientations de la politique internationale du pays. La région est appelée à agir suivant le cap tracé par les responsables nationaux. Dans ce domaine, le PMA établit entre l'Etat et la région autonome un rapport de complémentarité et non de concurrence ou de contradiction. On ne peut d'ailleurs imaginer une région, si autonome qu'elle soit, établir des relations de coopération et de jumelage avec une région relevant d'un Etat ennemi ou entravant les intérêts suprêmes de la nation. La prise en charge des responsabilités extérieures, telle qu'elle est harmonieusement prévue par le PMA, témoigne de la volonté de mettre sur pied une entité régionale autonome réelle et réaliste. Ceci crédibilise la proposition marocaine et renforce le statut de la future région du Sahara. Mais cela prouve aussi que la diplomatie n'est plus l'apanage des acteurs classiques, à savoir les Etats. La région autonome est désormais une force politique dont l'élan ne reconnaît plus le cadre géographique restreint et dont le statut s'adapte progressivement aux impératifs de la mondialisation et aux conséquences de la montée du terrorisme et de l'avènement de l'ère de la communication. De ce point de vue, les relations respectives de l'Etat et de la région autonome du Sahara en matière de relations extérieures s'annoncent comme un espace où est repensé le rapport du pouvoir central avec son territoire. * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI compte à son actif plusieurs supports électroniques dont, www.arsom.org, www.saharadumaroc.net et www.polisario.eu. * Professeur à la faculté de droit de Meknès Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, « ETUDES STRATEGIQUES SUR LE SAHARA » et « La Lettre du Sud marocain », le CEI compte par ailleurs à son actif plusieurs supports électroniques parmi lesquels figurent, www.arsom.org, www.saharadumaroc.net, www.polisario.eu et www.ibn-khaldoun.com.