Premières en leur genre en Afrique du Nord et en Méditerranée du Sud, des traces de pas d'Homo-sapiens datant de plus de 90.000 ans ont été découverts dans la région de Larache. Des hommes, des femmes et des enfants qui ont vécu du côté de Larache il y a plus de 90 millénaires continuent à nous livrer des informations précieuses sur notre Histoire, à travers les traces de pas fossilisées qu'ils ont laissées derrière eux. La découverte, que beaucoup qualifient de majeure et considèrent comme la plus importante depuis le fameux Homme d'Irhoud, a été révélée à travers un article scientifique publié ce 22 janvier 2024 dans le média « Scientific Report » affilié à la prestigieuse revue scientifique « Nature ». Derrière ce travail, une équipe internationale dirigée par Mouncef Sedrati, enseignant-chercheur au laboratoire Géosciences Océan, de l'Université Bretagne Sud en France, qui a travaillé en collaboration avec des Universités marocaines, allemandes et espagnoles. Les 85 traces qui ont ainsi été soigneusement répertoriées et étudiées sont considérées comme plus anciennes en Afrique du Nord et au Sud de la Méditerranée.
Des traces qui parlent D'aucuns pourraient penser que les informations que la science peut extirper de simples traces de pas sont limitées. « Les empreintes de pas représentent un vestige pertinent fournissant des informations directes sur la biologie, la locomotion et le comportement des individus qui les ont laissées », détrompent les auteurs de la récente découverte dont la méthodologie de travail a largement capitalisé sur les avancées techniques et technologiques en matière d'ichnologie (science qui s'intéresse aux actions et aux déplacements des êtres vivants dans leur milieu naturel). Les traces, objet de la publication scientifique, sont « composées à la fois de pistes et d'empreintes de pieds isolées, réparties sur une surface rocheuse d'environ 2800 m2 », précise un communiqué du Laboratoire Géosciences Océan. Les empreintes ont été imprimées (à l'époque) sur des couches de sédiments compactés lors de conditions de faible houle puis ont été naturellement protégées de l'érosion par le mouvement de sable.
Témoignages de vie Les empreintes, soigneusement datées parla technique dite « OSL » (luminescence stimulée optiquement), témoignent d'une période cruciale de l'Histoire d'Homo-sapiens. Leur analyse s'est faite à travers la construction de modèles 3D qui ont permis d'étudier les caractéristiques anatomiques de ces marcheurs d'un autre temps. « Les empreintes mesurées correspondent à au moins 5 individus. Parmi ce minimum de 5 individus, il y a un jeune enfant (entre 1 et 4 ans), un enfant plus âgé (entre 4 et 8 ans), un adolescent ou un petit adulte (148,8–161,8 cm), un adulte de taille moyenne (162,9–175,9 cm) et un adulte de grande taille (176,2–189,0 cm) qui est probablement un homme », écrivent les auteurs. Contacté par nos soins, le Pr Abdelouahed Ben-Ncer, qui était à l'origine de la découverte de l'Homme d'Irhoud, estime qu'il convient de « saluer la qualité de l'approche scientifique des chercheurs qui ont démontré un haut degré de compétence en alliant science expérimentale et sciences exactes dans leur travail».
Jalon paléontologique « Ce travail ouvre une perspective nouvelle au niveau national, car nous disposons de 3500 km de côtes maritimes. En mettant en œuvre une exploration plus poussée, il n'est pas exclu de trouver d'autres traces du même genre. Sur un autre registre, cette découverte peut être considérée comme un nouveau jalon dans l'établissement de preuves de la présence continue des êtres humains dans le territoire de notre pays »,commente le paléoanthropologue. « Nous avons la présence d'Homo-sapiens attestée à Jbel Irhoud à 350.000 ans, nous avons également plusieurs sites au niveau national, dont les indices de présence humaine ont été datés à des périodes allant de 250.000 à 175.000 ans et maintenant nous avons une preuve de présence qui remonte à au moins 90.000 ans », détaille Pr Abdelouahed Ben-Ncer, notant par ailleurs que cette découverte permet également d'explorer pour la première fois d'une manière poussée un champ d'étude qui se rapporte aux traces (ichnologie). 3 questions à Pr Abdelouahed Ben-Ncer, paléoanthropologue « Le plus urgent est d'amorcer un classement du site où se trouvent les traces en question » * Quelle est votre perspective sur la récente découverte des traces de Larache ? Je pense qu'il convient d'abord de réitérer toute l'importance de cette découverte puisqu'il est tout de même question des premières empreintes de ce genre au niveau de l'ensemble de l'Afrique du Nord. Il faut également saluer la qualité de l'approche scientifique des chercheurs qui explique le privilège de voir ce travail publié dans une revue scientifique de renom, à savoir « Scientic Report » qui est supportée par « Nature ».
* Pensez-vous qu'il faille prendre des mesures pour préserver ces traces ? La conservation de ces empreintes est un aspect qui est bien évidemment fondamental. Au-delà des aspects strictement scientifiques, il y a la valeur patrimoniale et l'intérêt que cela suscite en termes de mise en valeur de la région où ces empreintes ont été découvertes et donc la nécessité d'engager toutes les procédures nécessaires, notamment de protection physique et juridique. Le plus urgent à mon sens est d'amorcer un classement du site où se trouvent les traces en question.
* Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ? Je continue à travailler sur la problématique de l'origine et de l'évolution de l'Homo-sapiens. Nous avons actuellement un nouveau programme à Rabat, où nous travaillons sur un site important qui est désigné sous l'appellation « Dar Sultan 2 » et dans lequel ont été trouvés des restes humains atériens. Il s'agit d'une civilisation qui était établie en Afrique du Nord à partir de 175.000 ans jusqu'à pratiquement 40.000 ans. Nous travaillons dans le cadre d'une équipe internationale composée de l'INSAP, que je représente, et de l'Institut Max Plank. Nous nous activons aussi bien à Dar Sultan 2 qu'a Jbel Irhoud. Pour l'instant, c'est un peu trop tôt pour nous prononcer en termes de nouvelles découvertes, puisque nous sommes encore à notre deuxième campagne. Cela dit, la publication des résultats de notre travail ne saura trop tarder. Ichnologie : Traces de pas fossilisées et tentatives d'interprétation sociale L'équipe de chercheurs qui a révélé la découverte de Larache a construit ses déductions en se basant sur des critères anatomiques tels que la forme du talon, la voûte plantaire, la longueur des orteils et la position du gros orteil. La constatation fondamentale de ce travail confirme que les « marcheurs » étaient sans aucun doute des Homo-sapiens. En extrapolant à partir de l'analyse des empreintes et de leurs orientations par rapport au site, les chercheurs ont par ailleurs avancé des hypothèses sur le mode de vie de ces populations anciennes. Bien que l'absence de structures d'occupation sur place suggère un site de passage plutôt qu'un site d'habitation permanent, l'occurrence d'empreintes qui semblent orientées vers la direction du large laisse imaginer des activités de recherche de ressources marines. La composition variée en termes d'âge des individus peut également indiquer une dynamique sociale complexe. C'est-à-dire un groupe composé de deux ou trois générations potentiellement affiliées à la même famille. Afrique du Nord : Une région centrale pour comprendre l'évolution des hominidés Depuis la découverte des pistes d'hominidés datant de 3,66 millions d'années à Laetoli en Tanzanie en 1976, les paléoanthropologues n'ont pas manqué de souligner l'importance des études d'empreintes de pas. Au cours des deux dernières décennies, un grand nombre de sites d'empreintes de pas d'hominidés ont été découverts sur différents continents. Malgré une augmentation du nombre de découvertes, leur distribution spatio-temporelle reste encore très hétérogène. Par exemple, en Afrique, elles sont principalement concentrées à l'Est et au Sud du continent. Les chercheurs à l'origine de la découverte de Larache soulignent cependant dans l'introduction de leur article scientifique que l'Afrique du Nord-Est est une région qui est « centrale pour la compréhension de l'évolution des hominidés. Occupée depuis 2,4 millions d'années, l'Afrique du Nord comprend également le site de Jebel Irhoud où les premiers restes d'Homo-sapiens ont été découverts ». Rappelons que la découverte de l'Homme d'Irhoud remonte à l'année 2017, quand Jean-Jacques Hublin, de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig, et Abdelouahed BenNcer de l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP) à Rabat avaient annoncé une nouvelle datation du plus ancien ancêtre de l'humain moderne (au moins 300.000 ans), dont les restes avaient été retrouvés à Jebel Irhoud à 50 km de la ville de Youssou a, détrônant ainsi Omo I et Omo II, découverts à Omo Kibish en Ethiopie et datés autour de 195.000 ans.