Le nouveau Statut unifié des fonctionnaires de l'Education nationale suscite une forte opposition des syndicats, dont la colère paraît incompréhensible aux yeux du ministère de tutelle. Youssef Saâdani, conseiller de Chakib Benmoussa, qui connaît si bien les coulisses des négociations, répond aux griefs des centrales syndicales. Salaires, perspectives de carrière, sort des « contractuels », M. Saâdani éclaircit, dans cet entretien, les malentendus. -Les syndicats contestent toujours le nouveau Statut unifié bien qu'il y ait eu un long parcours de discussions et, à la clé, un accord de principe. Pourquoi une si grande incompréhension entre le ministère de tutelle et les centrales syndicales ? Il y a eu, au départ, deux éléments déclencheurs : l'incompréhension du contenu du Statut et beaucoup de contre-vérités qui ont circulé abondamment. Il faut savoir que le Statut n'a retiré aucun droit et, au contraire, n'a apporté que de nouveaux acquis sociaux et des avantages aux enseignants. Il est étonnant d'entendre que le Statut ne leur est pas bénéfique. Ces avantages ont été revendiqués par les syndicats de très longue date et ont été conçus et accordés en concertation avec eux. Par ailleurs, n'oublions pas que cet accord va coûter extrêmement cher à l'Etat. C'est un investissement massif et impératif dans l'éducation, et ce, dans un contexte économique très difficile. Malheureusement, le Statut s'est résumé chez quelques-uns à une revendication salariale et une hausse inconditionnelle. Ce qui est archi faux. Au contraire, le Statut a une vocation plus large et ne peut être résumé à une simple plateforme de négociation salariale. Celle-ci concerne la Fonction publique en général et est négociée au niveau central. Le Statut est un cadre qui offre un parcours professionnel pour les fonctionnaires de l'Education nationale, fixe les conditions de travail et les perspectives de carrière. Je rappelle, à ce sujet, que les salaires ne figuraient pas dans l'accord initial du 14 janvier 2023.
-Ces organisations reprochent au ministère d'avoir adopté le Statut sans que les discussions soient achevées. Pouvez-vous nous plonger dans les coulisses des négociations ? Ce Statut a fait l'objet d'un mois et demi de discussions. Les premiers pourparlers, menés en 2022, ont conduit à l'accord du 14 janvier dernier avec les syndicats, lequel a établi un cadre de référence pour le dialogue dont il définit les thématiques majeures et une méthodologie de travail. En gros, le Statut a apporté plusieurs nouveautés. On a unifié le parcours professionnel des enseignants en mettant fin aux douze Statuts des enseignants-cadres des AREF. Après s'être entendu sur les contours du Statut et ses objectifs généraux avec les syndicats, le ministère a commencé à travailler intensivement sur le texte à partir de février 2023.
Cinquante réunions ont eu lieu depuis lors pour élaborer le Statut et la quasi-totalité des dossiers mentionnés dans l'accord du 14 janvier ont été traités. Nous avons même répondu favorablement aux demandes des syndicats qui n'étaient pas incluses dans l'accord initial. J'en cite la question du grade « hors échelle » qui met fin à la problématique de promotion des enseignants bloqués à l'échelle 11 qui sont d'ailleurs très nombreux (80.000).
A cela s'ajoutent la prime annuelle des enseignants des écoles pionnières et l'intégration des enseignants dits contractuels. Le 20 septembre, les syndicats ont fait quelques commentaires sur quelques dossiers qui furent d'importance relativement mineure, dont un concerne quelques centaines de retraités de l'Education nationale. Ce dossier n'a pas été traité dans le cadre du Statut puisqu'il concerne d'autres intervenants dont la Caisse marocaine de retraites (CMR). Mais le ministère s'est dit disposé à trouver une solution.
-Parlons des arguments des syndicalistes. Concernant les « ex-contractuels », nombreux sont ceux qui contestent l'Article 1 du Statut qui mentionne à la fois les fonctionnaires et les enseignants-cadres. Ils y voient une sorte de distinction qui contredit leur intégration. Qu'en pensez-vous ? Je veux être clair sur ce sujet. Techniquement, il n'y a plus de différences entre les enseignants-cadres des Académies et le reste des enseignants recrutés sous l'ancien régime. Absolument aucune. Ils ont tous les mêmes droits et les mêmes obligations. Pour nous, ce dossier est clos. Vous parlez de l'Article 1, là, nous sommes dans un débat sémantique interminable. Concrètement, changer un nom par un autre n'a aucune conséquence sur les nouveaux droits des enseignants. Ils ont la même retraite que les autres et inscrits à la CMR. Ils sont payés par la Trésorerie Générale. Ils ont un numéro de SOM. Ils ont également un décret qui acte leurs droits, ce qui est une garantie ultime de l'Etat. En plus de cela, ils ont aussi accès aux mêmes concours et au même parcours professionnel que les autres. Il serait désolant de mettre en péril une telle réforme pour une affaire de sémantique artificielle.
-Le salaire de base, qui tourne autour de 5000 dirhams, est jugé insuffisant. Qu'en pensez-vous ? Il est clair que les salaires des Marocains sont tous insuffisants en cette période d'inflation. Mais il ne faut pas confondre une réforme qui vise à améliorer les apprentissages avec les revendications salariales, aussi légitimes soient-elles. Chaque aspect a sa place et son cadre de discussion. Je rappelle, à ce sujet, que la réforme du Statut a pour vocation initiale de rendre le parcours professionnel des enseignants plus attractif pour qu'ils soient à l'aise dans l'exercice de leurs fonctions au bénéfice des élèves et de l'apprentissage. Sans doute, les enseignants portent-ils eux-mêmes cet idéal afin de permettre aux élèves de mieux apprendre. -Le débat porte également sur le « grade d'excellence » qui est l'une des nouveautés du Statut unifié. Combien faut-il d'années pour qu'un enseignant, en début de carrière, y soit éligible ? Aujourd'hui, il est possible de participer aux concours à partir de six ans d'expérience afin de passer à l'échelle 11. Passer à cette échelle signifie un gain de salaire de 2700 dirhams de plus et qui peut aller jusqu'à 3000 dirhams. S'ils ne passent pas les concours, l'échelle 11 est accessible après quatorze ans d'ancienneté. Là, la promotion est automatique. En gros, pour atteindre la hors échelle, il faut compter près d'une dizaine d'années. A quoi s'ajoutent d'autres opportunités de promotion avec les passerelles vers les concours d'inspecteurs, de directeurs...etc. En outre, il ne faut pas oublier la prime annuelle de 10.000 dirhams dans les écoles pionnières. C'est deux mois de salaires supplémentaires pour les enseignants. En définitive, ce Statut n'apporte que des avantages, il n'y a pas le moindre inconvénient. Recueillis par Anass MACHLOUKH Vers un nouveau système d'évaluation En échange des avantages susmentionnés, le ministère de tutelle exige plusieurs contreparties en termes de performance, surtout dans le cadre des écoles dites "pionnières". Youssef Saâdani explique que le ministère a tâché, à travers la réforme du Statut, "de rationaliser l'évaluation des enseignants qui s'est avérée, jusque-là, inefficace et désuète". "Le système, tel qu'il existait avant, ne permettait pas de distinguer les enseignants performants des autres. Il est évident qu'il y a ceux qui font des efforts plus que d'autres", précise notre interlocuteur, ajoutant "qu'il y aura une révision de la grille d'évaluation". Le nouveau mode n'aura pas une vocation punitive mais, au contraire, va permettre de mieux valoriser les efforts exceptionnels, rassure-t-il, rappelant que c'est une des vieilles revendications du corps professoral.
Concernant les primes annuelles, elles seront versées aux établissements qui obtiennent le label d'"école pionnière". Chaque établissement peut concourir pour ce label et se porter candidat. Le ministère fournit des moyens et notamment du matériel informatique, des supports pédagogiques, ainsi que des formations certifiantes pour le staff éducatif. Tout cela à condition de respecter quelques standards qualité.
En gros, Youssef Saâdani insiste beaucoup sur la vocation originelle du Statut unifié qu'il faut, selon lui, voir comme un instrument destiné à fournir aux enseignants un espace assez clair pour réussir dans leur mission. Une mission dont l'ultime finalité est « le redressement de l'école publique et l'amélioration de l'apprentissage ».