Le décor était bien planté, la mosquée imposante, le protocole huilé. Mais la symétrie était brisée. Là où l'harmonie aurait exigé un alignement parfait, on a vu une dichotomie frappante : d'un côté, les fidèles en pleine prosternation ; de l'autre, un aréopage de dirigeants aux visages fermés suspendus entre l'agenouillement et la verticalité, dans un entre-deux gênant. Comme si la prière était un spectacle et non un acte spontané. Comme si l'essentiel n'était pas d'être en communion avec le divin, mais en conformité avec une image préfabriquée. Dans la vaste enceinte de Djamaâ El Djazaïr (bâti par les Chinois), la prière de l'aïd El-Fitr s'est déroulée dans un cérémonial millimétré. Au premier rang, Abdelmadjid Tebboune qui, entouré de hauts responsables de l'Etat comme Salah Goudjil, président du Conseil de la nation (CN) depuis 2019 et Saïd Chengriha, le chef d'état-major de l'armée, a pris place pour ce moment supposé de ferveur collective. Mais une image a retenu l'attention : alors que l'assemblée des fidèles se prosternait dans l'unisson du rituel, les dirigeants vieillissants, eux, sont restés assis. Si la prière est d'abord un acte de foi, elle est aussi, au sommet de l'Etat algérien, une mise en scène politique. Dans un pays où la relation entre le pouvoir et la religion est scrutée de près, chaque geste compte. Ce recueillement en position assise n'est pas attribué à l'âge ou à des considérations médicales. Il traduit l'obsession d'un régime précaire qui veut apparaître au-dessus des contingences ordinaires. Cette posture incarne l'imitation méthodique d'un modèle extérieur appliquée avec la maladresse de ceux qui empruntent sans comprendre, qui singent sans assumer. Le pouvoir algérien s'est contenté d'une reproduction approximative, sans âme, d'un rituel exceptionnel vu ailleurs. Ce n'est pas la première fois que l'Etat algérien s'emploie à copier les codes d'une gouvernance étrangère qu'il critique souvent. Depuis des décennies, le régime oscille entre des références héritées du passé et des emprunts ponctuels à des modèles qui le fascinent. Or, la fascination ne suffit pas à faire illusion. Encore faut-il en maîtriser les subtilités, comprendre que la simple imitation d'un geste ne garantit ni l'adhésion populaire ni l'efficacité symbolique. Dans ce cas précis, l'opération frôle l'absurde. Car ce qui fonctionne dans un cadre précis, avec une histoire et des références propres, devient un pastiche une fois transposé maladroitement sur un terrain qui n'a ni les mêmes codes ni la même culture politique. Le résultat, au lieu d'inspirer le respect ou de conforter l'image présidentielle, ne fait que souligner le fossé grandissant entre une élite déligitimée en quête d'inspiration extérieure et une population qui peine à s'identifier à ces mises en scène artificielles. Une communication politique qui vacille Cette prière sous haute surveillance médiatique devait être un moment de communion, une démonstration de piété. Mais à force de vouloir s'approprier des traditions qui ne lui appartiennent pas, le régime s'expose à un effet inverse : celui du décalage criant entre l'image qu'il tente de projeter et la réalité perçue par le peuple. Dans un pays où la jeunesse aspire à une identité politique renouvelée où la société évolue plus rapidement que son pouvoir, ce genre d'exercice apparaît non seulement dépassé, mais aussi contre-productif. Il trahit une absence de vision propre, un besoin compulsif de validation extérieure qui en dit long sur les incertitudes du régime. Car si l'imitation est parfois un hommage, elle devient une faiblesse lorsqu'elle est servile et mal maîtrisée. Dans cette prière assise, plus qu'un symbole de stabilité, c'est l'image d'un pouvoir hésitant, suspendu entre des références empruntées et une incapacité chronique à produire une identité politique qui lui soit propre, qui s'est donnée à voir.