Alors que le ministère de tutelle estime avoir répondu à toutes les revendications du staff éducatif dans le nouveau Statut unifié, certaines catégories d'enseignants continuent de le contester. De quoi exaspérer Chakib Benmoussa. Décryptage. Il semble que le ministre de l'Education Nationale, Chakib Benmoussa, peine à en finir avec le casse-tête de l'héritage sulfureux que lui avait laissé son prédécesseur. Sa volonté de clore le dossier des enseignants dits "contractuels" se heurte à une polémique qui persiste de façon étrange. Alors qu'on croyait le dossier clos après l'accord du 14 janvier avec les syndicats et la sortie du nouveau Statut unifié, ce dossier continue de diviser le corps des enseignants qui ne sont pas tous satisfaits du nouveau décret, adopté par le gouvernement et publié dans le Bulletin Officiel. Un statut qui devrait en principe régler définitivement le problème des enseignants dits "contractuels" qui ont été recrutés par les Académies régionales. Théoriquement, le ministère de tutelle estime que le dossier est clos du moment qu'il n'y a plus de distinction entre cette catégorie et le reste des fonctionnaires de l'Education nationale. C'est ce qu'a expliqué le ministre qui s'est rendu, mercredi, à la Commission de l'Enseignement à la Chambre des Représentants. Au moment où plusieurs enseignants haussent le ton en multipliant les critiques et les sit-in, le ministre de tutelle semble ne pas comprendre les raisons de cette colère puisque le nouveau Statut unifié est censé répondre favorablement à la majeure partie des revendications du corps d'enseignants. Benmoussa n'a pas manqué de hausser le ton lors d'une interview accordée le même jour à 2M, où il s'est montré intransigeant et satisfait du nouveau statut entré désormais en vigueur. "Il n'y a plus de contractuels", a-t-il asséné.
Pourquoi une telle incompréhension ?
usqu'à présent, la question de la contractualisation demeure une véritable source d'incompréhension. Là subsiste un grand malentendu qui donne l'impression qu'on est dans un dialogue de sourds. En fait, le ministre a officiellement révoqué les 12 statuts intermédiaires des enseignants-cadres des Académies régionales (AREF). Ceci dit, les "contractuels" sont désormais intégrés dans le statut unifié au même titre que le reste des fonctionnaires de l'Education nationale. Sur ce point, Benmoussa a beaucoup insisté lors de son interview avec 2M sur le fait que ces derniers ont désormais les mêmes droits et obligations et sont traités sur le même pied d'égalité avec les autres. Ceci dit, les 140.000 enseignants recrutés par le passé par les Académies régionales, moyennant contrat, seront donc automatiquement titularisés. Le Statut les considère désormais comme des "ressources humaines". "La preuve, c'est qu'ils seront payés par le Trésor de la même façon que les autres", a précisé le ministre qui est convaincu qu'il a satisfait à toutes les revendications des syndicats.
Ce message rassurant ne trouve pas d'écho chez certaines Coordinations représentatives d'enseignants qui continuent de se considérer "contractuels". Noureddine Othman, enseignant et membre de la Coordination à Casablanca, estime que le nouveau statut ne fait pas l'unanimité chez les représentants de cette catégorie pour la simple raison qu'il existe, selon lui, un flou juridique au niveau de l'article 1. "Le statut mentionne toujours à la fois les fonctionnaires et les cadres des AREF comme s'il y a toujours une sorte de distinction alors qu'elle ne devait pas avoir lieu", précise notre interlocuteur, qui estime que ledit article pose problème tant que subsistent deux catégories. "Certes, il y a une intégration dans le statut, mais il n'y a pas d'intégration dans le statut de la Fonction publique", poursuit notre interlocuteur. C'est là où le dialogue de sourds s'installe.
Pour sa part, le ministère de tutelle ne cesse de répéter que les cadres des AREF et les fonctionnaires auront désormais les mêmes droits. En effet, ces derniers auront la possibilité d'avoir une retraite comme ils ont droit aux promotions d'échelle, notamment à l'échelle 11, avec effet rétroactif pour les enseignants en service depuis 7 ans. A cela s'ajoute le droit à la mobilité au même titre sans distinction.
Pour cette raison, les quatre syndicats représentatifs semblent rassérénés et moins critiques. Dans une lettre de propositions d'amendements envoyée, le 22 septembre, au ministre, la question des contractuels ne faisait pas l'objet des griefs des quatre centrales les plus représentatives qui ont seulement proposé de modifier l'appellation du statut en la remplaçant par "Statut unifié des fonctionnaires de l'Education nationale". Les Coordinations estiment qu'il faut appliquer cet avantage nouvellement accordé avec effet rétroactif en remontant jusqu'à 2011. Ceci n'est pas à l'ordre du jour puisque ceci non convenu entre le ministère et les syndicats les plus représentatifs. Pour sa part, l'Union Marocaine du Travail est montée au créneau, dans un communiqué au ton dur, publié le 15 octobre, en s'en prenant au ministère sur l'aspect relatif à la rémunération et le nouveau système d'indemnisation qu'elle ne trouve pas à la hauteur.
Grade d'excellence : un dossier clos ?
Le grade d'excellence qui a été finalement reconnu par la nouvelle loi cristallise le débat. Désormais, ce grade est accessible aux enseignants des cycles primaire et secondaire ainsi qu'au personnel de l'administration pédagogique, soit les deux tiers des effectifs du corps éducatif dans son ensemble.
Aux yeux du ministère, l'application de ce degré devrait répondre aux revendications salariales d'une grande partie des enseignants, dont la promotion était limitée à l'échelle 11. Maintenant, ces derniers peuvent aller au-delà de ce plafond. Grâce à cela, 80.000 bénéficieront d'une hausse de 2700 dirhams qui s'ajoutent au salaire de base (5000 dirhams) à l'horizon de 2027. D'ailleurs, sur ce point, les Coordinations appellent à intégrer aussi les enseignants titulaires d'un doctorat qui sont toujours à l'échelle 10. Concernant les enseignants de l'échelle 9, ils auront la possibilité d'atteindre rapidement, dans une première étape, l'échelle suivante.
Les revendications salariales sont nombreuses. Les contractuels estiment que le salaire de départ de 4800 dirhams à l'échelle 10 ne suffit plus dans le contexte de l'inflation. Chakib Benmoussa en a convenu lors de son interview mais a rappelé que son département veut remédier à cela en accélérant les promotions vers l'échelle 11. Le ministère propose d'autres incitations telles que les primes annuelles dont le montant peut aller jusqu'à 10.000 dhs et qui bénéficient au staff éducatif des écoles pionnières.
Outre cela, le nouveau statut a accordé des "indemnités complémentaires" qui peuvent augmenter de 80% à 325%. 40.000 fonctionnaires y sont éligibles depuis début septembre 2023. Autant d'avantages accordés au corps d'enseignants qui incitent le ministre à rester inflexible face à la contestation.
Trois questions à Abdennasser Naji -La réforme du Statut des ressources humaines contribuera-t-elle à accroître la cohérence et l'efficacité ?
Il est certain que l'unification des parcours professionnels entre cadres d'académies et fonctionnaires contribuera grandement à assainir le climat de travail au sein de l'école marocaine. Le Statut unifié a le mérite de mettre sur le même pied d'égalité, en matière de gestion de carrière, ces deux catégories longtemps traitées d'une manière différentiée, source d'un malaise général qui a paralysé le secteur de l'Education national par des grèves interminables. Redonner confiance aux « contractuels » est de nature à les impliquer davantage dans la mise en œuvre de la réforme de l'Education, et partant de les inciter à redoubler d'efforts en faveur d'une efficacité accrue de notre système éducatif.
L'efficacité serait également renforcée à travers la formation initiale et la formation continue qui sont désormais obligatoires pour tous les jeunes qui désirent intégrer la noble profession d'enseignant. En plus, la formation continue sera comptabilisée dans l'évaluation des performances professionnelles, ce qui en fera un levier incontournable de l'amélioration des compétences des enseignants et des autres ressources humaines de l'éducation dans un domaine qui fait l'objet de mutations et de bouleversements accélérés.
A votre avis, quels sont les délais prévus pour la mise en place complète du Statut unifié des enseignants, et quelles étapes devront être franchies pour y parvenir ?
C'est un décret qui est approuvé par le Conseil du gouvernement et qui est déjà entré en vigueur dès le premier septembre, avec même un effet rétroactif pour certains articles.
Pour ce qui est de l'échelonnement annuel des bénéficiaires du grade exceptionnel au titre de 2023, il s'agit de 4.000 enseignants à la retraite puisque la date d'effet est le 1er janvier 2023, plus de 27.000 seront concernés en 2024, plus de 20.000 en 2025, plus de 15.000 en 2026, et plus de 10.000 en 2027.
Concernant l'échelonnement des effectifs qui vont bénéficier des incitations relatives au projet des écoles pionnières, il sera réparti comme suit : 12.000 enseignants en 2023 et plus de 70.000 par an en 2024, 2025 et 2026.
Comment se déroulera désormais l'évaluation de la performance des établissements scolaires ?
D'après la feuille de route du ministère, un label qualité sera décerné aux établissements qui réalisent les performances escomptées. La réussite d'une telle démarche reste tributaire de l'élaboration du référentiel qualité stipulé dans la loi-cadre de l'Education. Espérons que le ministère sortira ce document indispensable avant de procéder à l'évaluation des établissements scolaires.
Propos recueillis par Safaa KSAANI
Statut unifié : Combien ça coûte ? Pour honorer l'ensemble des engagements pris dans le cadre du Statut unifié, le ministère de l'Education nationale doit passer à la caisse. Il lui faut au total 9 milliards de dirhams pour traduire toutes les mesures prises en réalité entre 2024 et 2027. Cela dit, le ministère doit allouer chaque année 2,5 milliards pour couvrir les dépenses liées au nouveau statut. A titre d'exemple, les promotions promises au staff éducatif nécessitent, à elles seules, 2,5 milliards chaque année. Le ministre insiste beaucoup sur l'effort budgétaire consenti par le gouvernement pour soutenir la réforme de l'école. En fait, le département de l'Education nationale a bénéficié d'une hausse de 6 milliards de dirhams en 2023. Il devrait y avoir une hausse similaire en 2024, selon les données du ministère. Une hausse jugée nécessaire pour réussir la réforme au moment où le nombre d'élèves qui rejoignent les bancs des écoles publiques est en constante augmentation (+15% en 2023). Performance : Travailler plus et mieux pour gagner plus La philosophie de Chakib Benmoussa est claire. La réforme qu'il porte vise à motiver les ressources humaines par des incitations salariales et des améliorations des conditions de travail en échange d'une meilleure performance au travail. En effet, même si le ministère a accordé des primes et des indemnisations complémentaires, le temps de travail n'a pas augmenté. En fait, selon les précisions de Benmoussa, le temps de travail est resté le même pour les enseignants du primaire qui travaillent 30 heures par semaine, tandis que ceux du collège ont une durée hebdomadaire de 24 heures et 21 heures pour ceux du secondaire. Le ministère de tutelle ouvre la voie aux heures supplémentaires qui seront rémunérées. Le mode de rétribution fera l'objet d'un décret qui sera publié prochainement, a fait savoir Benmoussa. Cela devrait être bénéfique pour les enseignants mobilisés dans les sessions de correction des examens, surtout les examens de fin de cycle. Beaucoup se plaignaient d'être mobilisés pendant des jours sans contrepartie digne de leur effort supplémentaire. Par ailleurs, en accordant ces avantages financiers, le ministère espère obtenir un gain de productivité. Raison pour laquelle le Statut unifié fixe de manière claire les missions des enseignants et surtout en conditionnant la promotion à la performance qui sera mesurée par des critères bien définis. Le mode d'évaluation prend en compte l'impact de l'enseignant sur l'apprentissage de l'élève.