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Forces Armées Royales : L'âge d'or de la logistique militaire [INTEGRAL]

L'efficacité de l'intervention des FAR durant le séisme d'Al-Haouz est indubitablement le résultat d'une révolution intellectuelle et organisationnelle dans le domaine de la logistique, entamée il y a plusieurs années.
Le terrible séisme du 8 septembre a été l'une des épreuves les plus difficiles de l'Histoire récente du Maroc. La violence des secousses, l'étendue des zones sinistrées et les difficultés d'accès ont rendu l'opération de sauvetage extrêmement complexe. Malgré ces défis, les Forces Armées Royales (FAR) ont réussi à déployer en un temps record d'importants moyens techniques et humains, ce qui a permis de secourir et de porter assistance à des milliers de personnes.

"Nous avons reçu l'ordre de déploiement peu de temps après le tremblement de terre. Dix-huit heures plus tard, le campement militaire à Amezmiz était installé et opérationnel", nous raconte un militaire présent sur les lieux. La rapidité avec laquelle les FAR ont réussi leurs missions s'explique principalement par une grande maîtrise du volet logistique. Les différentes acquisitions de matériels et l'expérience accumulée ces dernières années ont contribué à une montée en compétences dans ce domaine, jusqu'à atteindre le stade de "maturité logistique", terme utilisé dans les milieux de la défense nationale.

Cette maturité n'a pu être obtenue qu'après un important effort de modernisation du matériel logistique. Les récents achats de camions multi-essieux et d'hélicoptères H135 auprès d'Airbus en sont la parfaite illustration. L'armée marocaine a ainsi pu combler certaines lacunes dans son système logistique, tandis que d'autres subsistent, comme l'insuffisance d'aéronefs de transport lourd.

La leçon russe

La guerre russo-ukrainienne nous fait constater que c'est l'efficacité logistique, et non le nombre de soldats et de canons qui détermine l'issue d'une bataille. "La redécouverte du défi logistique n'est pas forcément liée directement à la guerre en Ukraine, mais celle-ci a accéléré cette prise de conscience", nous explique Roland Pietrini, ex-officier du Renseignement militaire français et expert en questions de défense.

A peine quelques jours après le déclenchement de l'opération militaire spéciale en Ukraine, la mécanique russe s'est grippée, laissant les observateurs stupéfaits. La deuxième plus grande puissance militaire au monde a été incapable de faire plier son adversaire, en raison d'une logistique mal préparée. "Cette guerre est un retour aux différents fondamentaux de la logistique militaire telle qu'elle a été construite à l'issue de la Seconde guerre mondiale", résume Benoît Roullet, ancien directeur Supply Chain au sein du ministère français des Armées.

L'électrochoc du Sahara

Les FAR avaient pris conscience de la nécessité de développer la fonction logistique bien avant cela. La guerre du Sahara marocain (1975-1991) avait mis en lumière l'insuffisance et la vulnérabilité des lignes d'approvisionnement. "Les forces marocaines étaient fréquemment prises au dépourvu par des attaques visant les convois de ravitaillement, non seulement dans les régions reconquises, mais également dans le Sud du Maroc qui n'était pas contesté", écrit Mohamed Seddik Maâninou dans son livre "La bataille de l'existence".

Cet électrochoc a poussé les stratèges militaires à remettre la logistique au centre de leur réflexion. La discipline a été introduite dans la formation des officiers, avec un cours de logistique interarmées au niveau de l'Ecole Royale du Matériel (ERM) de Benslimane. Le cours a été actualisé en 2018, nous apprend une source militaire.

Un nouveau modèle a également été mis en place, tenant compte des spécificités de chaque région. Dans la zone Sud, la logistique incombe aux Unités et Formations de Soutien Régionales déployées à Agadir. Tandis que dans la zone Nord, ce sont les unités issues des organes pourvoyeurs de l'Etat-Major Général (EMG) qui se chargent de cette mission.

Selon nos informations, la logistique des FAR est organisée en plusieurs spécialités, dont l'approvisionnement pétrolier est l'épine dorsale. Les munitions sont confiées aux Bataillons de Soutien Munitionnaire (BSM), alors que la maintenance sur tout le territoire est du ressort des Compagnies Mobiles de Réparation (CMR) et des Sections Mobiles de Réparation (SMR).

La planification et la coordination dépendent du 4ème Bureau de l'EMG, qui dispose également de Bataillons de Soutien du Matériel (BSMAT) servant à assister, en cas de besoin, les unités engagées pour les besoins de réparation et de maintenance des équipements.

Une tâche à privatiser ?

Dans le cadre d'une opération militaire ou humanitaire, le déploiement d'un dispositif logistique complet s'avère une tâche complexe. Les moyens matériels et humains nécessaires font parfois défaut ou sont difficiles à mettre en place dans les délais impartis. D'où le recours de plusieurs armées au secteur privé, externalisant ainsi certaines missions de transport de matériels et de subsistances.

Pendant la Seconde guerre du Golfe (2003-2011), l'armée américaine a eu recours au secteur privé à une échelle sans précédent dans l'Histoire. L'Etat américain a ainsi alloué pas moins de 138 milliards de dollars à ces "contractors", dont une grande partie a été consacrée aux activités de transport de matériel, de distribution de nourriture et d'habillement pour les troupes, ainsi qu'à la livraison de carburant, de pièces de rechange, de services de blanchisserie et d'assainissement.

Plus récemment, l'armée française a fait appel au groupe Bolloré pour l'acheminement du fret de surface au profit des militaires de l'opération Barkhane (2014-2022). "L'externalisation permet de venir compléter ou pallier les capacités insuffisantes afin de conserver les capacités militaires en propre, là où elles produiront leurs effets", nous explique Benoît Roullet.

Au Maroc, le recours à de telles pratiques demeure limité, car les FAR privilégient l'utilisation de leurs propres moyens logistiques, éventuellement renforcés par ceux de la Société Nationale du Transport et de la Logistique (SNTL). Ce choix s'explique également par le fait que l'externalisation est principalement adoptée dans le contexte des opérations extérieures (OPEX), auxquelles l'armée marocaine ne participe que lors de missions de maintien de la paix (MINUSCA, MONUSCO...).

Logistique prédictive

Si l'utilité de l'externalisation est encore débattue au sein des milieux militaires, notamment en raison de préoccupations liées à la coordination et à la sécurité, un autre aspect pourrait avoir un impact significatif sur le domaine de la logistique, à savoir l'Intelligence Artificielle (IA). Plusieurs nations sont engagées dans des programmes intégrés visant à incorporer l'IA dans la planification, la prise de décisions en temps réel, la gestion des ressources et la logistique des opérations militaires.

Ces nouvelles technologies ouvriront la voie à l'ère de la logistique prédictive, caractérisée par une anticipation constante des besoins grâce à l'exploitation en temps réel de toutes les données des capteurs, des capacités d'IA, de l'apprentissage automatique (Machine Learning) et du traitement des données massives (Big Data). "Nous passerons d'un modèle de stocks de sécurité à un modèle de consommation du juste besoin permettant d'alléger les échelons de combat et de leur affecter les ressources au strict nécessaire", prédit Benoît Roullet.

3 questions à Roland Pietrini "L'armée marocaine est l'une des mieux préparées et équipées du Nord de l'Afrique"
Pensez-vous qu'une logistique efficace permet d'avoir une supériorité opérationnelle plus que l'armement, aussi redoutable soit-il, dans un conflit de haute intensité ?

Rien ne sert, et on l'a vu en Ukraine, d'avoir des centaines de chars sans avoir suffisamment de carburant pour les faire rouler, sans munitions pour qu'ils puissent tirer, et il en est ainsi pour tous les matériels terrestres, aériens ou maritimes. Mais posséder ces moyens dans des dépôts est une chose, les acheminer vers la zone de combat en est une autre. La cohérence consiste justement au dimensionnement des forces par rapport à la mobilisation des moyens censés les soutenir et à la possibilité de les mettre à disposition. La manœuvre logistique fait partie de la planification. Elle commence avant l'engagement et ne finit qu'après.

La privatisation de la logistique dans les opérations militaires est-elle une bonne idée ?

Cela me fait penser aux taxis de la Marne. Faute de camions en 1917, les taxis parisiens ont participé au transport des renforts pour stopper la progression allemande. L'apport du privé ne peut pallier dans le cadre d'un conflit de haute intensité le manque des moyens humains et matériels immédiats dont les armées auraient besoin. Il faut donc aborder cette possibilité avec prudence, sans idée préconçue. Il n'est pas exclu que l'armée délègue, non pas une partie de ses missions, mais une partie de la gestion de ses ressources à des spécialistes de la logistique dans la profondeur stratégique, encore faudrait-il que cette profondeur existe !

En ce qui concerne des pays comme le Maroc avec des armées terrestres opérant dans leurs frontières, la logistique est-elle aussi décisive que dans les cas des armées qui se projettent à l'extérieur de leur territoire ?

L'armée terrestre marocaine est l'une des mieux préparées et équipées du Nord de l'Afrique. Pendant longtemps d'ailleurs, des officiers marocains venaient se former en France. Aujourd'hui, la politique a un peu changé, mais cela ne change rien aux sentiments d'amitié des deux peuples. Sur le long terme, le Maroc regardera de nouveau vers la France. Le fait que le Maroc gère un conflit particulier et latent dans le grand Sud ne change rien à la nécessité d'inclure les besoins aux moyens. Je suppose qu'elle s'en préoccupe dans le cas où un conflit plus violent éclate, mais aussi dans le cas où le Maroc s'engage comme allié d'une autre nation dans un conflit de haute intensité.

Recueillis par Anass MACHLOUKH
3 questions à Benoît Roullet "Dans un conflit, la logistique représente un facteur de supériorité indéniable"
Quelles sont les principales leçons que nous pouvons tirer de la guerre en Ukraine ?

Il est essentiel d'examiner les niveaux tactique, opératif et stratégique, pour évaluer les répercussions de la guerre en Ukraine. Au niveau tactique, nous revenons aux trois fonctions logistiques clés : le ravitaillement, le soutien à la maintenance et le soutien sanitaire. Ces trois fonctions doivent impérativement être assurées à tous les échelons tactiques, de la ligne de front jusqu'aux zones arrières, pour permettre aux unités de combattre. Au niveau opératif, les opérations en Ukraine ont mis en évidence l'importance cruciale de la zone arrière. Que ce soit du côté russe ou ukrainien, le maintien des lignes d'approvisionnement et la garantie de la sécurité des dépôts sont des enjeux majeurs. Enfin, au niveau stratégique, le nombre de destructions et les pertes majeures soulignent l'impératif de disposer d'une industrie de guerre solide ou d'alliés capables de pallier ces pertes en fournissant le matériel et les munitions.

Pensez-vous qu'une logistique efficace puisse conférer une véritable supériorité opérationnelle, potentiellement plus que l'armement, dans un conflit de haute intensité ?

Je pense que la logistique représente un facteur de supériorité indéniable. Quant à dire si elle est potentiellement plus importante que l'armement, cela reste difficile à affirmer, car l'art d'un bon stratège consiste à combiner judicieusement toutes les capacités disponibles pour prendre l'ascendant sur l'adversaire. Cependant, il est indéniable que la capacité à maintenir une logistique efficace est cruciale dans le cadre de conflits de haute intensité, car elle permet de se maintenir dans la durée.

Comment des technologies comme l'automatisation, les drones et l'Intelligence Artificielle pourraient-elles influencer la logistique militaire ?

Toutes ces technologies (et bien d'autres, telles que l'impression 3D, etc.) ont le potentiel d'accroître l'agilité de la chaîne logistique lors des opérations militaires. Leur utilisation est donc clairement bénéfique, à condition qu'elles soient intégrées de manière efficace dans la capacité opérationnelle et utilisées dans des scénarios où elles peuvent clairement améliorer les opérations. L'Intelligence Artificielle, en particulier, représente un atout indéniable. Cependant, il est essentiel d'adopter une approche critique envers les analyses générées par l'Intelligence Artificielle pour s'assurer de leur cohérence et de leur fiabilité.

Recueillis par Soufiane CHAHID


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