Les FAR sont en cours de modernisation de leur artillerie et de leurs régiments de chars. Une « mise à niveau » qui tombe à point nommé compte tenu du retour triomphal de l'artillerie et des régiments de chars dans la guerre moderne. Décryptage. Jusqu'à présent, le Maroc est toujours candidat pour acquérir les chars israéliens « Merkava », dont les négociations sont toujours en cours dans la confidentialité totale. « Ces chars sont d'une modernité impressionnante bien qu'ils soient en service depuis des décennies », lâche une source militaire bien informée qui suit de près ce dossier, soulignant qu'il est probable que ces chars soient livrés début 2024. Contrairement à ce qui a été relayé par certains forums militaires étrangers, l'acquisition potentielle de ces chars israéliens n'est pas destinée à remplacer les chars russes T-72 dont dispose le Royaume en grande quantité, selon la même source. Cela dit, l'achat des « Merkava » est présenté comme une initiative de modernisation des régiments de chars. Cela fait des années que le Maroc accorde une priorité à la modernisation de son arsenal de chars de combat. Ce à quoi s'ajoute une attention particulière à l'artillerie. Deux composantes de l'Armée qui continuent d'avoir une importance capitale dans la guerre au 21ème siècle. Les stratèges marocains semblent conscients de la nécessité de doter l'Armée Royale d'une puissance de feu assez suffisante pour faire face aux défis de la guerre moderne. En témoignent les contrats de grande envergure tels que ceux des lance-roquettes « HIMARS », des canons « CAESAR », et des nouveaux systèmes d'artillerie israéliens « PULS ». Le système israélien serait très attendu vu sa capacité de frappe qui peut atteindre 300 kilomètres avec différents types de munitions. L'engouement de la grande muette pour l'artillerie est tel qu'il y a eu des missions d'exploration des dernières tendances d'armement dans ce domaine, comme celle qu'a menée le Commandant de l'artillerie royale, le général Mohammed Benouali, en Israël en février 2023.
L'avant-garde de l'Armée ? En dépit de la métamorphose de la guerre moderne après la robotisation des conflits avec l'usage massif des drones, l'emploi des chars reste d'actualité et tout le monde s'en est aperçu dans la guerre en Ukraine où les chars demeurent encore nécessaires à la conduite des opérations. « Ce que l'on voit sur le terrain, c'est qu'on ne peut pas s'en passer aujourd'hui », nous explique François Chauvancy, ancien général de l'Armée de terre française et consultant dans les questions de défense, qui précise qu'en théorie « l'usage des chars et de l'Artillerie permet de conduire des opérations avec le minimum de dégâts humains ». « Quand on voit les images en Ukraine, on s'aperçoit que les équipages restent en partie vivants après l'explosion d'un char. Donc, les chars sont un moyen d'avancer au contact avec l'ennemi en étant protégé le plus longtemps possible », poursuit le général, convaincu que l'artillerie est toujours une composante indispensable pour les armées modernes pour une raison simple. Selon lui, l'artillerie permet d'avoir une grande capacité de nuisance et une force de frappe considérable dont l'effet reste remarquablement décisif comme on peut le constater sur le front russo-ukrainien. « Lors de la Première guerre mondiale, l'artillerie fut responsable de 65% de pertes. Il en est de même au front dans le Donbass surtout à Bakhmut et à Donetsk. Les pertes humaines sont énormes et sont dues aux frappes d'artillerie incessantes plus qu'au combat corps-à-corps et des schémas classique de combat », poursuit le général qui, pour autant, souligne qu'il ne faut pas surestimer la plus-value de l'artillerie en tant que solution magique au succès des opérations. Selon le militaire, auteur de plusieurs livres sur les stratégies militaires, bien que l'artillerie et les combats mobiles soient si nécessaires, il ne faut pas oublier l'importance de la défense sol-air qui sert de moyen d'accompagnement aux chars et de protection de l'artillerie. « La défense sol-air est d'autant plus remarquable qu'elle sert à la fois à combattre les avions et les hélicoptères et à neutraliser les drones », insiste le général.
Une prise de conscience mondiale En effet, il existe une sorte de prise de conscience au niveau mondial, qui transcende les Etats, de l'importance de l'artillerie et des régiments de chars, surtout que la guerre en Ukraine a montré à quel point il est vital pour une armée de se doter d'une grande quantité de chars de combat et de pièces d'artillerie à haute précision. Une condition sine qua non pour pouvoir supporter l'effort de guerre dans un conflit de haute intensité. Le général François Chauvancy rappelle une réalité qui peut donner le vertige. La France ne possède que 200 chars tandis que les Allemands n'en ont que 250, sachant que les Ukrainiens en ont perdu des centaines. Sans parler des Russes. « Ceci dit, on a assisté à la destruction de tout le stock français et allemand combiné en peu de temps », explique, à ce titre, M. Chauvancy qui connaît minutieusement les enjeux de la guerre moderne. Pour toutes ces raisons, les armées européennes, par exemple, se sont rendu compte qu'il faut y réinvestir massivement. (Voir repères).
La quantité ou la qualité : le sempiternel débat Le Maroc, quant à lui, va dans le même sens. Le fait que les FAR raffermissent leur arsenal de chars intervient dans un moment opportun, étant donné qu'il y a un débat actuellement sur le sort des chars vieillissants comme les « Patton M60 », dont le Maroc possède une quantité abondante (près de 800 unités selon les estimations). Maintenant, la question qui se pose est l'arbitrage entre la quantité et la qualité. Il importe de savoir si l'on aura besoin de chars ultra perfectionnés ou de chars mois sophistiqués mais plus faciles à acquérir en grandes quantités. Concernant l'artillerie, certaines versions de canons automoteurs tels que l'AMEX MK61 et les F3 155 mm semblent atteindre la fin de leur cycle de vie à tel point que toute modernisation semble inutile. L'arrivée des canons français CAESAR a permis de monter en gamme en permettant de renforcer les brigades équipées des canons américains M109, souvent déployés dans les zones sensibles et dans les exercices militaires de haute importance tels qu'African Lion. Pourtant, la marche vers la modernisation semble encore longue et irréversible.
Interview avec le général François Chauvancy « La guerre du XXème siècle dure toujours » - A votre avis, à la lumière de ce qu'on a constaté en Ukraine, comment peut-on dire que nous sommes revenus à la guerre conventionnelle avec l'usage massif de l'artillerie et l'infanterie motorisée ?
- Aujourd'hui, la guerre à laquelle on assiste ressemble à celle de la Seconde guerre mondiale, à mon avis, avec l'emploi massif de l'Artillerie, des chars et des blindés. Tout cela a été oublié ces dernières années par les armées occidentales. J'estime qu'on redécouvre la guerre dans toute sa cruauté avec les nombreux morts au combat. On réalise maintenant à quel point la logistique est redevenue au centre du jeu. Idem pour les munitions. C'est comme 14-18 où les usines ne pouvaient répondre aux besoins d'un conflit de haute intensité. La guerre n'a pas autant évolué qu'on le croit. C'est la guerre du XXème siècle qui dure toujours. L'appui arien aux troupes terrestres est toujours aussi important qu'il l'était par le passé comme on a pu l'observer en Ukraine. Nous sommes dans une sorte de continuité dans le schéma classique. Je préfère dire que la guerre du XXème siècle est toujours d'actualité au moins dans l'état actuel des connaissances. En revanche, il y a eu des changements et des nouveautés. La robotisation a introduit beaucoup de changements. Les drones, par exemple, ont changé un peu les tactiques de combat sur le terrain en permettant l'économie des hommes et leur déploiement. Ça permet aussi d'infliger des dégâts importants avec du matériel peu coûteux. - Quelles sont les autres tendances qui façonnent la guerre d'aujourd'hui ? - Il y a aussi la guerre électronique qui façonne aujourd'hui la guerre moderne et qui va au-delà des techniques dont on était habitué avant, telles que le brouillage et les écoutes. Il s'agit de la capacité à infiltrer les satellites, brouiller les GPS et la circulation des drones. J'ajoute que le Renseignement n'a jamais été aussi important grâce aux satellites. Pour autant, on voit bien qu'en dépit de toutes les avancées majeures en la matière, on peine toujours à avoir une visibilité complète sur les mouvements ennemis. - Après le retour de la guerre conventionnelle en Europe, plusieurs pays occidentaux ont commencé à se réarmer. Sur ce point, croyez-vous que la masse compte désormais plus que toute autre considération ? - Oui. Ça, nous en sommes convaincus en France. Jusqu'aux années 90, on ambitionnait d'avoir 1400 chars. Comme on s'est aperçu qu'on en manque cruellement, la question de la relance de la production s'est posée. Encore faut-il voir le coût sachant que le prix du char est entre 5 et 8 millions d'euros. Lorsqu'on voit qu'un missile antichar de 30.000 euros peut détruire un char qui coûte beaucoup plus cher, on peut penser à privilégier plus les armes antichars. C'est une équation à examiner en fonction de la doctrine militaire. Canons CAESAR : Quel mode d'emploi ? Le Canon CAESAR, dont le Maroc a reçu plusieurs exemplaires en début de cette année, et que la France a livré à l'Ukraine, s'est imposé comme l'une des armes les plus efficaces de la guerre russo-ukrainienne. Toutefois, son usage par l'Armée ukrainienne reste à améliorer, selon François Chauvancy. Certes, explique notre interlocuteur, les canons CAESAR ont été au rendez-vous grâce à leur précision redoutable sur le front, mais l'Armée ukrainienne les a utilisés trop intensément. D'où le fait qu'ils ont été usés rapidement, selon le général, qui pense qu'il faut prendre en considération le risque d'usure. «Je rappelle que les tubes de ces canons ont une durée de vie limitée, ils peuvent tirer jusqu'à 1000 coups avant d'être changés», explique-t-il, ajoutant que les Ukrainiens ont tiré plus abondamment qu'il ne le faut dans l'objectif d'avoir la maîtrise du feu sans atteindre, pour autant, ce but. Industrie militaire : La marche mondiale vers le réarmement Aujourd'hui, les armées européennes ont éprouvé le besoin de booster leurs capacités défensives après des années de rétrécissement de leurs budgets vu l'illusion des « dividendes de la paix ». Une idée qui s'est répandue en Occident selon laquelle la disparition de l'Union Soviétique et la protection américaine par le parapluie de l'OTAN allaient assurer durablement la sécurité en Europe. Raison pour laquelle certaines armées, y compris les armées traditionnellement puissantes comme celles de la France et de la Grande Bretagne se sont contentées d'armées « échantillonnaires ». Un terme souvent employé par François Chauvancy pour désigner l'état actuel des armées européennes. « Echantillonnaire signifie que l'on dispose un peu de toutes sortes d'armement et de compétentes dans tous les domaines mais avec une force humaine et un équipement limités », explique le général qui est persuadé que la masse compte lorsqu'il s'agit d'un conflit de haute intensité. « La masse redevient un enjeu vital quand on se rend compte qu'il n'y a pas assez de ressources humaines pour conduire une action efficace sur le terrain », poursuit notre interlocuteur. Après le choc de la guerre en Ukraine, les pays européens ont commencé une marche, semble-t-il, inéluctable vers des « armées de masse ». C'est pour cela que la France a dopé son budget de défense de 400 milliards d'euros sur les quatre prochaines années dans le cadre de la loi programmation militaire. Dans ce sillage, le gouvernement français a d'ores et déjà commencé à fortifier ses régiments de chars avec une nouvelle commande de 50 nouvelles unités de type « Leclerc ». Idem pour l'Allemagne qui a fait passer ses dépenses militaires à un niveau historique (100 milliards d'euros). « Une armée de masse peut être soit une armée de soldats, soit une armée d'équipement et parfois les deux à la fois », précise M. Chauvancy à cet égard, précisant qu'il va falloir faire des choix en fonction des priorités.