A travers « la Déclaration de Casablanca », des experts issus de plusieurs pays se sont rassemblés au Maroc la semaine dernière pour appeler les Etats à abolir les pratiques de gestation pour autrui. Si au Maroc la société, le droit et la religion acceptent et encouragent l'utilisation des techniques de procréation médicalement assistée, il existe bien une limite que les trois n'ont jamais pu franchir. Il s'agit notamment des pratiques de gestation pour autrui (GPA) qui font appel à des « mères porteuses », le plus souvent rémunérées, pour « louer leurs ventres » le temps de constituer un bébé pour une autre famille. Les controverses autour de ce sujet sont encore largement partagées au niveau international. Alors que certains pays semblent s'y opposer fermement, d'autres tolèrent ce genre de pratiques ou encore les autorisent. S'il est facile de comprendre le désir d'un couple d'avoir un « enfant à soi », l'implication d'une tierce personne dans le processus et les conséquences sociétales qui peuvent en découler imposent également de se poser la question par rapport à la compatibilité avec l'éthique, voire avec les droits humains. Pour près de 90 experts issus de 74 pays qui ont participé à un séminaire organisé vendredi dernier à Casablanca, la réponse est claire : la GPA doit être combattue partout dans le monde. Déclaration de Casablanca
Selon eux, « le contrat par lequel un ou plusieurs commanditaires conviennent avec une femme qu'elle portera un enfant ou plusieurs enfants en vue de leur remise à la naissance, quelles que soient sa dénomination et ses modalités : porte atteinte à la dignité humaine et contribue à la marchandisation des femmes et des enfants ». Ainsi, les signataires de la Déclaration de Casablanca demandent aux Etats de « condamner la gestation pour autrui dans toutes ses modalités et sous toutes ses formes, qu'elle soit rémunérée ou non, et d'adopter des mesures pour combattre cette pratique ». Très peu connue des Marocains, la GPA n'a jamais été légalement pratiquée au Maroc puisqu'elle est formellement interdite par la loi 47-14 régissant la procréation médicalement assistée (PMA) qui a été publiée le 4 avril 2019 au Bulletin Officiel. Cette loi, qui reconnaît juridiquement l'infertilité comme une maladie qui toucherait, au Maroc, des milliers de couples, permet par ailleurs d'encadrer la pratique des autres techniques de procréation médicalement assistée.
Ce qu'en dit la religion
Même si le principe de la gestation pour autrui n'a pu être rendu possible que depuis quelques décennies, suite à l'évolution des sciences médicales et surtout aux avancées des techniques et technologiques utilisées dans le domaine de la procréation médicalement assistée, le positionnement de la religion sur cette question semble assez facile à déterminer. La question a été posée en France par le média Saphirnews (qui s'adresse au lectorat des musulmans français) à Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne dans la région du Rhône. « La position de l'Islam est formulée essentiellement par le respect absolu de la filiation (Al-Nasl), c'est-à-dire le rattachement de l'enfant à son père et sa mère. Dans ses divers cas de figure, l'assistance médicale à la procréation (AMP) doit respecter ce principe de filiation paternelle et maternelle dans ce qui doit rester un projet parental. Aussi, deux filiations maternelles ou paternelles ne peuvent se cumuler et sont donc inenvisageables en Islam », a ainsi souligné Azzedine Gaci.
Pas de consensus éthique
Un autre référentiel qui s'est également penché sur ce sujet : l'éthique médicale. Selon Pr Nadia El Kadmiri, enseignante chercheure à l'Université Ibn Zohr et présidente de l'Association Marocaine pour la Recherche et l'Ethique (AMRE), il n'existe à ce jour aucun consensus pour la justification éthique de la gestation pour autrui au niveau mondial. « Certains Etats la tolèrent comme étant une alternative médicale en l'absence d'une réglementation et d'autres l'interdisent. Cette divergence et l'implication volontaire de la femme gestatrice rendent la situation plus disparate. Le recours à la gestation ne sera jamais apprécié par la communauté scientifique du point de vue éthique », explique ainsi la même source. Le débat semble ainsi tranché, ne serait-ce qu'au niveau national et du point de vue des 90 experts qui ont participé vendredi dernier au séminaire ayant abouti à la « Déclaration de Casablanca ». A noter qu'en annexe de cette Déclaration, les participants (qui sont en grande partie des juristes, des médecins et des psychologues) ont proposé une ébauche de Convention internationale contre la gestation pour autrui.
Omar ASSIF 3 questions au Pr Nadia El Kadmiri « La gestation pour autrui a mis en relief des enjeux éthiques et suscité des problématiques législatives et sociales »
Enseignante chercheure à l'Université Ibn Zohr et présidente de l'Association Marocaine pour la Recherche et l'Ethique (AMRE), Pr Nadia El Kadmiri répond à nos questions. La perspective éthique sur la gestation pour autrui peut-elle varier d'une communauté scientifique à une autre ? La gestation pour autrui (GPA), relevant de la procréation médicalement assistée, a mis en relief des enjeux éthiques et a suscité des problématiques législatives et sociales. Cela dit, les orientations éthiques, comme socle réflexif, convergent vers le traitement de l'intégrité scientifique, psychologique et sociale. En termes de réification et de dignité, aucune communauté scientifique ne pourra admettre cette pratique de substitution et cautionner ainsi les conséquences potentielles sur la santé de la mère sujette à la gestation et l'intégrité psychologique de l'enfant. Comment les scientifiques arrivent-ils à formuler des consensus sur la conformité éthique d'une technique ou d'une technologie controversées ou objets à polémique ?
Le cadrage éthique des implications potentielles de nouvelles technologies se fait sur la base de plusieurs principes. Les scientifiques se focalisent essentiellement sur les aspects scientifiques, la signification éthique des données ou encore la conformité et la sûreté éthique. Cela dit, d'autres principes comme le cadre juridique et religieux, voire ce qu'on peut qualifier de conduites « justes » et leurs impacts sont également pris en considération.
Sur quelles basesse construit un jugement éthique sur la conformité d'une nouvelle technique ou technologie ?
La réflexion éthique porte globalement sur les valeurs humaines et les conduites professionnelles guidées par les codes de l'éthique et de déontologie, ainsi que les Déclarations et les conventions universelles. La bienfaisance, l'autonomie, la non-malfaisance, la justice, la liberté et le consentement sont autant de principes pertinents qui constituent une référence pour la construction d'un jugement éthique dont la finalité reste toujours de veiller à la santé et à l'intérêt public.
Recueillis par O.A. L'info...Graphie Société : Les nombreux risques et dérives de la gestation pour autrui Si les arguments présentés par les personnes qui soutiennent le « droit » à la gestation pour autrui s'appuient essentiellement sur le principe de consentement, de liberté du corps et de droit de recourir à la science pour procréer, les arguments qui démontrent les dangers et impacts néfastes de cette technique sont nombreux et divers. Au-delà des risques sanitaires liés au processus de gestation lui-même, se posent les questions des droits de la mère porteuse et du risque de marchandisation du corps humain et d'atteinte à la dignité des femmes. Certaines femmes peuvent être, en effet, poussées par la pauvreté à accepter un travail qui ne répondrait pas aux règles habituelles du droit du travail. Selon les dispositions légales de certains pays ou aux termes de certaines conventions de GPA, la mère porteuse est privée du droit de garder l'enfant qu'elle a porté, quels que soient les liens affectifs éventuellement apparus au cours de la grossesse. D'autre part, certains spécialistes s'inquiètent pour le développement psychologique de l'enfant, qui pourrait être perturbé par la « complexité » de sa filiation, qui distinguerait la mère génétique, la mère porteuse, et éventuellement la mère légale. Se pose également la question du devenir des enfants lorsque la GPA donne lieu à des bébés gravement malades ou handicapés et qui ne sont plus acceptés par les parents biologiques. Enfin, même quand la GPA se passe dans les meilleures conditions possibles, demeure le casse-tête légal de la reconnaissance du lien de parenté. Monde : La gestation pour autrui entre légalité conditionnée et vide juridique Les réglementations se déclinent différemment à travers le monde concernant la gestation pour autrui. En Europe, quinze pays ne l'interdisent pas formellement. Le Danemark, la Hongrie, l'Irlande, la Lituanie et les Pays-Bas l'interdisent si elle est rémunérée. En Suède, elle est autorisée uniquement sans intermédiaire, à titre privé et gratuit. En Belgique, aux Pays-Bas, en Pologne et en Slovaquie, aucune législation ne l'interdit clairement, ce qui en somme l'autorise. Au Royaume-Uni, la gestation pour autrui doit obligatoirement passer par une décision de justice qui examine la conformité du procédé et des parties prenantes à un certain nombre de critères, notamment le fait que la mère porteuse ne conditionne pas sa « contribution » à une rémunération. Dans d'autres pays, la possibilité légale d'avoir recours à la GPA a fait fleurir de nombreux trafics. C'est le cas notamment en Ukraine et aux Etats-Unis, ou encore en Inde où le vide législatif a permis des situations dramatiques d'exploitation de femmes issues de milieux défavorisés.