Alors que le taux d'entrepreneuriat féminin est en recul, et face au débat que ce sujet provoque ces derniers jours, Leila Doukali, présidente de l'Association des femmes chefs d'entreprises au Maroc (AFEM), estime que le chemin à parcourir est long. Interview. - Quelle est votre évaluation de l'entrepreneuriat féminin au Maroc ? - L'entrepreneuriat féminin n'est pas au niveau qu'il devrait être, nous avons un potentiel énorme mais nous remarquons que le taux d'engagement de la femme dans l'entrepreneuriat ou dans la vie active d'une manière générale reste très faible. Par ailleurs, la pandémie n'est pas venue arranger la situation. Aujourd'hui, je doute de l'existence de chiffres fiables mais je pense qu'ils sont en recul par rapport à l'engagement de la femme dans l'entrepreneuriat. C'est pour cela qu'il faudrait tirer la sonnette d'alarme, surtout que nous avons des engagements par rapport au nouveau modèle de développement. Il faut savoir que la femme ne peut nulle part respecter ses engagements si elle ne fait pas partie intégrante de la boucle économique de notre pays. - L'entrepreneuriat féminin ne représente que 12% de l'entrepreneuriat au Maroc, un taux généralement en baisse, comment expliquez-vous ce constat ? - Je pense que le taux de l'entrepreneuriat féminin est de plus en plus bas. Il varie entre 8% et 10%. C'est le cas dans d'autres pays comme la Turquie dont le taux d'entreprises créées par les femmes est à 14%. Cette triste réalité est due à plusieurs raisons, notamment le poids des responsabilités attribuées à la femme, la gestion de la famille, du foyer et même du budget. Cela rend la tâche difficile à la femme pour concilier entre ses projets personnels et professionnels, surtout dans une société patriarcale. Je suis sûre qu'on a un potentiel énorme non exploité et que dans chaque âme de femme il y a un rêve, celui d'être automne financièrement. Mais pour ce faire, elle a besoin de l'accompagnement de son conjoint, de la famille et de la société toute entière. - En tant que femme entrepreneure, quels sont les difficultés auxquelles font face les porteuses de projets ? - A mon sens, ce n'est plus un problème de financement, car le programme « Intelaka » est là, ainsi que l'initiative « Forsa » qui a été mis en place pour le port de départ. A partir du moment où un projet est bien monté et doté d'une fiabilité, les programmes de financement accompagnent tout citoyen marocain désirant entreprendre. Le problème est d'ailleurs dans la pression à laquelle la femme marocaine porteuse de projet fait face chaque jour. - Comment l'AFEM participe-t-elle à l'instauration d'un environnement favorable pour les femmes entrepreneures? - L'AFEM ne vise pas seulement les femmes lancées dans l'entrepreneuriat. Elle travaille aussi avec les femmes qui désirent entreprendre. En plus du travail d'écoute et de suivi que nous faisons au quotidien, l'AFEM a créé une communauté « Help Team » dont le but est d'apporter un soutien aux femmes entrepreneures pour continuer à exister ou pour croître. Le travail fait comprend l'orientation de ces femmes au niveau juridique, marketing, l'export, les techniques de ventes dans plusieurs secteurs d'activités, notamment les secteurs des services et du commerce, lourdement impactés par la pandémie. Pour résoudre les problèmes liés au financement, nous avons procédé à la création d'un incubateur-accélérateur « Impulse » dans le cadre d'une convention avec une banque marocaine. Il s'agit d'un accélérateur moderne que nous travaillons dans toutes les régions du Maroc et qui va permettre aux femmes porteuses de projets de s'émanciper et se développer dans les quatre coins du pays afin de sortir du noyau Rabat-Casa. Les secteurs ciblés par cet accompagnement sont ceux représentés par des activités à fort potentiel de développement tels que le digital, l'éducation et la formation, la santé, les services. Par ailleurs, l'inclusion d'un grand nombre de femmes opérant dans l'informel est également une priorité pour les aider à transformer leur statut en auto-entrepreneure. - Vous avez mentionné dans pas mal d'occasions qu'il y a une véritable inadéquation entre le besoin réel de la femme entrepreneure et les mesures mises en place. A qui incombe cette responsabilité ? - La responsabilité est partagée d'abord entre les pouvoirs publics qui ont annoncé vouloir augmenter de manière globale le taux d'activité de la femme de 20% à 30%, mais pour l'instant et après un an, on ne voit pas de mesures concrètes. La responsabilité incombe aussi à la société civile, mais il faut noter que celle-ci a toujours besoin de moyens et de soutien pour déployer ses actions à travers le Maroc. Sans oublier que la femme a, elle aussi, sa part de responsabilité. C'est pour cela que j'estime qu'on a besoin de faire un travail au niveau de l'éducation et de la sensibilisation de la femme au sujet de l'intégration dans l'entrepreneuriat. Il faut sortir du noyau Casa-Rabat pour aller chercher les femmes ambitieuses et les projets novateurs dans toutes les régions du Royaume. - A plusieurs reprises, vous avez mis le point sur le besoin d'une stratégie nationale pour le développement de l'entrepreneuriat féminin, comment voyez-vous cette stratégie ? - Mettre en place une stratégie vague sans bilan ne peut jamais résoudre la problématique à laquelle nous assistons depuis des années, malgré les mesures mises en place. Pour cela, il faut comprendre qu'une stratégie ne peut pas être bâtie du jour au lendemain. Nous avons d'abord besoin de faire un bilan des réalisations et des ratages pour pouvoir fixer les objectifs à venir. Recueillis par Mina KHODARI Portrait Quand la femme prend part au développement de son pays
Née en 1970 à Casablanca, Leila Doukali est femme entrepreneure dans l'âme. Présidente de l'Association des femmes chefs d'entreprise du Maroc (AFEM), elle n'a pas cessé de se servir de sa passion pour le monde des affaires en vue de promouvoir l'entrepreneuriat féminin au Maroc. Leila Doukali a décroché un bachelor of business administration, avant d'enchaîner avec une formation en management et un diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) en Affaires Internationales à l'Université de la Sorbonne. Après avoir accumulé un parcours riche, l'entrepreneure est revenue au Maroc et a rejoint l'AFEM, un mois après sa création en 2000. Elle occupe le poste de responsable de la Commission communication et est membre du Conseil. En décembre 2019, elle a été élue présidente de l'AFEM pour conduire l'intégration de la femme dans le monde entrepreneurial.