Malgré un grand effort budgétaire fourni par l'Etat depuis des années, les progrès jusque-là enregistrés par le Maroc demeurent encore insuffisants pour faire face à l'acuité des défis sociaux encore persistants. Telle est, en tout cas, la principale conclusion tirée d'un récent rapport réalisé par la DEPF (Direction des Etudes et de la prévision Financière) en partenariat avec l'Observatoire National pour le Développement Humain (ONDH), l'Agence Française de Développement (AFD) et Committement to equity (CEQ) Institute. Intitulé « Les effets de la politique budgétaire sur la pauvreté et les inégalités au Maroc », le document, fraichement publié par l'AFD, attribue cette situation aux instruments budgétaires de l'Etat qui « n'agissent pas dans la même ampleur et avec la même efficacité pour susciter autant la réduction de la pauvreté que le repli significatif des inégalités ». En matière de politique fiscale, l'étude montre, en effet, que certains instruments, en l'occurrence les prélèvements obligatoires directs, de par leur progressivité, agissent en faveur de la baisse des inégalités mais ne suscitent guère une inflexion de la pauvreté. En outre, certains impôts indirects, comme la TVA, affichent un caractère indifférent vis-à-vis des inégalités, tout en ayant un impact négatif sur la pauvreté, explique la même source.
Budgets alloués aux programmes sociaux
Pour ce qui est des transferts monétaires et quasi-monétaires, l'étude, de 56 pages, indique que ceux-ci contribuent favorablement à la réduction des inégalités et de la pauvreté. Néanmoins, l'ampleur de cette contribution est contrainte par le volume réduit des budgets alloués aux programmes sociaux y afférents. Concernant les subventions, leur incidence en termes de réduction de la pauvreté et des inégalités est bien réelle. Néanmoins, l'absence d'une politique de ciblage appropriée fait en sorte que ces dépenses budgétaires profitent concomitamment à l'ensemble des couches sociales abstraction faite de leurs niveaux de vie. S'agissant des dépenses budgétaires afférant aux services publics de base, notamment en matière d'éducation et de santé, leur contribution à la réduction de la pauvreté et des inégalités est de loin la plus significative. L'importance des budgets qui y sont consacrés explique en grande partie cette situation. Néanmoins, poursuit la même source, deux défis restent posés. Le premier défi a trait à la progressivité des dépenses d'éducation qui baisse significativement au fur et à mesure que le niveau de scolarité s'accroit. Le second défi réside dans la résorption des erreurs de ciblage relevées au niveau du programme RAMED qui semble bénéficier également à des catégories sociales pour lesquelles celui-ci n'est pas destiné. Dysfonctionnements du RAMED
Dans le but de faire face à ces contraintes et maximiser les retombées de la politique budgétaire en termes de lutte contre la pauvreté et les inégalités, l'étude a permis d'identifier quelques propositions à caractère stratégique. Elle suggère ainsi le rehaussement conséquent de l'efficience des dépenses publiques consacrées à certains secteurs névralgiques, comme celui de l'éducation-formation. « Les retombées positives que cela pourrait avoir en termes d'accélération de l'accumulation du capital humain seraient opportunes pour induire une inflexion durable de la pauvreté et des inégalités », est-il souligné. L'étude recommande aussi l'amélioration de la qualité de l'offre de soins et la résorption des dysfonctionnements qui affectent le RAMED. Ce qui permettrait « de renforcer l'efficacité et l'efficience de l'action de l'Etat en la matière. L'atteinte d'un tel objectif devrait être relayée par une action vigoureuse en termes de relèvement de l'effectif du personnel médical et le renforcement des infrastructures sanitaires pour apporter des réponses de fond aux inégalités d'accès aux soins. »
Cohérence des filets sociaux
L'étude suggère, par ailleurs, le relèvement substantiel de la cohérence des filets sociaux. « L'harmonisation des différents filets sociaux s'avère nécessaire pour renforcer leur efficacité en tant que leviers de lutte contre la pauvreté. Cette harmonisation permettrait de corriger les inefficiences du système actuel, marqué par les chevauchements et les doubles emplois dus à la diversité des programmes et à la dispersion des moyens financiers qui leur sont dédiés », estime la même source. Outre le recours à des mécanismes efficients de ciblage, en s'appuyant sur un registre social unique, l'étude estime que l'accent devrait être mis sur les transferts monétaires ciblés dans le but d'agir directement sur les poches de vulnérabilité et de précarité, surtout en milieu rural. Autre proposition formulée : poursuite de la réforme de la TVA en vue d'améliorer sa neutralité économique. « L'analyse précédente a montré que la TVA n'est pas un outil approprié pour la réduction des inégalités et ce, malgré l'existence de taux réduits sur les produits consommés par les pauvres. Ceci suggère de réviser la politique des taux réduits de TVA, tout en préservant le même niveau de vie des ménages vulnérables », souligne l'étude.
Quid du rôle des entreprises ?
L'étude estime aussi que la lutte contre la pauvreté et les inégalités gagnerait à être axée sur une démarche davantage participative permettant de tenir compte des besoins réels des populations cibles pour renforcer leur adhésion et nourrir leur sentiment d'appartenance à la nation. Un changement de mentalité devrait être promu pour faire admettre que cette lutte n'est pas une affaire qui incombe exclusivement à l'Etat. L'action des pouvoirs publics en matière de résorption des déficits sociaux devrait, dès lors, être relayée par une action énergétique de la société civile pour renforcer les capacités de celle- ci et la réhabiliter pour assumer pleinement son rôle. L'étude pense également que le rôle du milieu des affaires est tout aussi important. La promotion à grande échelle de la responsabilité sociale des entreprises est nécessaire pour cristalliser les valeurs de citoyenneté responsable. La multiplication des actions de soutien et de mécénat de la part des grandes entreprises, particulièrement au sein des territoires dans lesquels celles-ci opèrent, permettrait certainement de relayer l'action publique et maximiser ses impacts, indique la même source.
Repères La vulnérabilité à la pauvreté s'accentue
D'après la présente étude, l'examen de la situation de la pauvreté au Maroc sur la période 2012-2017 permet de faire ressortir une tendance à la baisse de la pauvreté monétaire qui est calculée sur la base du seuil de pauvreté absolue. Ce seuil s'est situé à 4.875 DH en milieu urbain et à 4.505 DH en milieu rural pour l'année 2017. Dans ces conditions, le taux de pauvreté absolue au niveau national s'est replié de 5,7% sur la période 2012-2017, passant de 7,1 % à 1,4 %. Par milieu de résidence, ce taux est passé de 2,9 % à 0,1% en milieu urbain et de 13 % à 3,4% en milieu rural. Pour sa part, la vulnérabilité à la pauvreté, s'est atténuée significativement au cours de la période considérée, passant de 15,7 % en 2012 à 9 % en 2017 au niveau national, de 10,0% à 3,8% en milieu urbain et de 23,9 % à 17,5 % en milieu rural. Fort repli de la demande intérieure
L'arrêté des comptes nationaux fait ressortir, au troisième trimestre 2020, une forte contraction de la demande intérieure de (-6,6%) au lieu d'une hausse de 2,2% la même période de l'année précédente, avec une contribution à la croissance négative de (-7,1) points au lieu d'une contribution positive de 2,3 points. C'est ainsi que les dépenses de consommation finale des ménages ont connu un fort repli de leur taux d'évolution passant d'un accroissement de 1% au troisième trimestre 2019 à un recul de (-10,5%) au même trimestre de cette année, souligne le HCP dans une note d'information relative aux comptes nationaux au 3ème trimestre 2020. De son côté, la formation brute de capital fixe a affiché une forte diminution, passant de 1,3% au troisième trimestre de l'année passée à (-9,8%). En revanche, la consommation finale des administrations publiques a affiché une hausse de 6,4% au lieu de 5,3%, avec une contribution à la croissance de 1,2 point au lieu d'un point. Plus de 11 millions bénéficiaires au RAMED
La mise en place du RAMED a constitué, selon la présente étude, une avancée majeure en la matière puisque ce régime a permis à une frange importante de la population vulnérable d'accéder aux soins de santé dans des conditions favorables. Financé en grande partie par l'Etat et les collectivités territoriales et accessoirement par les contributions des personnes vulnérables, il a été généralisé en 2012 après une phase pilote en 2008 dans la région de Tadla-Azilal. Les bénéficiaires de ce système se chiffrent à 11,46 millions de personnes à fin août 2017 contre une population cible de 8,5 millions de personnes prévue initialement.