Plaçant le Maroc à une étape entre les « Objectifs du Millénaire pour le Développement » et les « Objectifs De Développement Durable, le rapport national du Haut commissariat au Plan, au titre de 2015, se veut un « outil d'analyse sur l'ensemble du contexte économique et social du Maroc au cours de la période 1990-2015 et une base d'évaluation de ses performances dans les dimensions économique, sociale et institutionnelle. Ce rapport met l'accent sur les principaux défis et les priorités du Maroc pour l'après-2015. Le rapport du HCP dresse une rétrospective politique, sociale, sociétale et institutionnelle et économique à travers ses principaux repères marquant cette période de 15 ans et annonce le modèle que le Maroc se propose d'édifier, celui d'une « croissance inclusive sur la base du libéralisme économique et de la démocratie ». Dans ce rapport, M. Ahmed Lahlimi Alami, Haut-Commissaire au Plan relève que l'investissement et la consommation finale des ménages ont été érigés en facteurs stratégiques de croissance du capital physique, de valorisation du capital humain et d'amélioration des conditions de vie de la population. Le Maroc a dû, entre 1999 et 2014, investir, en moyenne annuelle, 107,2 % de son épargne nationale. Avec un taux de 31,7 % du produit intérieur brut (PIB), passant de 25,8 % en 1999 à 32,2 % en 2014, le Maroc a multiplié par près de trois l'investissement national brut en valeur M. Lahlimi affirme qu'à la faveur du volontarisme qui a présidé, depuis le début des années 2000, à la double politique d'investissement et de consommation, le modèle de croissance, malgré ses fragilités potentielles, a réalisé des performances soutenant avantageusement la comparaison avec celles des pays de même niveau que le Maroc et plus nantis en termes de dimension territoriale, de poids démographique et de richesses naturelles. La lutte contre la pauvreté constitue un axe majeur de la politique menée par les pouvoirs publics, en témoignent l'importance du budget de l'Etat alloué aux secteurs sociaux et le renforcement des mécanismes de protection et d'assistance sociale. Cette politique a eu un impact positif sur l'évolution de la pauvreté dans toutes ses dimensions et sur la baisse des inégalités sociales. Cependant, la consolidation de la baisse des inégalités, entamée entre 2007 et 2014, constitue un réel défi pour la pérennisation des réalisations dans le domaine. De 1990 à 2014, le Maroc a pratiquement mis fin à la pauvreté absolue au seuil bas et réduit, dans de fortes proportions, à la pauvreté absolue au seuil élevé, mesurées toutes les deux aux seuils fixés aussi bien par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) que par les institutions internationales. Le Maroc a réduit le taux de la pauvreté, mesurée à 1 $ US PPA par jour et par personne, de 3,5 % en 1985 à pratiquement un niveau statistiquement insignifiant (presque nul) en 2014, contre une valeur cible de 1,8 % à l'horizon 2015 des OMD. En milieu urbain comme en milieu rural, cette forme de pauvreté est pratiquement éradique. A un seuil de 2 $ US PPA par jour et par personne, la pauvreté ne touchait en 2014 que 1,3 % de Marocains, 0,3 % d'urbains et 2,9 % de ruraux. La proportion de la population n'atteignant pas le niveau minimal d'apport calorifique, mesurée par le taux de pauvreté alimentaire, a été, à son tour, réduite de 4,6 % en 1985 à 0,1 % en 2014, pour une valeur-cible de 2,3 % en 2015. Seuls 0,6 % de ruraux étaient, en 2014, en situation de pauvreté alimentaire. Dans les villes, la faim est pratiquement éradiquée. Réduction, de plus des deux tiers de la pauvreté absolue Réduction de 65,6 % de l'incidence de l'insuffisance pondérale : l'incidence de l'insuffisance pondérale parmi les moins de 5 ans, indicateur de la carence du poids par rapport à l'âge, a été réduite de près des deux tiers entre 1992 et 2011. Cette réduction a été totalement constatée entre 2003 et 2011. Entre 1992 et 2003, la proportion des enfants en situation d'insuffisance pondérale a augmenté de 9,0 % à 10,2 %. C'est entre 2003 et 2011 qu'elle a diminué à un niveau (3,1 % en 2011), dépassant la valeur-cible de 4,5 % à l'horizon 2015 des OMD. Cette baisse a bénéficié aussi bien aux ruraux qu'aux urbains et aux garçons qu'aux filles. En résumé, les indices de l'extrême pauvreté, tout comme ceux de la faim, s'établissent, en 2014, à des niveaux statistiquement insignifiants. C'est dire que, désormais, le suivi de la pauvreté absolue devrait se fonder sur un seuil national (seuil de pauvreté absolue de 2,4 $ US PPA par jour et par personne et seuil de vulnérabilité à la pauvreté de 3,6 $ US PPA par jour et par personne en 2014) et aussi sur de nouvelles lignes de pauvreté, mesurées à des fractions de la médiane des dépenses de consommation. Réduction, de plus des deux tiers de la pauvreté mesurée au seuil national : la pauvreté absolue, mesurée au seuil national élevé, a présenté une tendance à la hausse au cours des années 90. C'est seulement à partir de 2001 que cette tendance a été inversée, donnant lieu à une baisse soutenue de la pauvreté tout au long des années 2000 et 2010. En effet, entre 2001 et 2014 : le taux de pauvreté absolue a été réduit de plus des deux tiers : – de 72,5 % à l'échelle nationale, passant de 15,3 % à 4,2 % ; – de 85,5 % en milieu urbain, de 7,6 % à 1,1 % ; – et de 64,5 % dans le milieu rural, de 25,1 % à 8,9 %. le taux de vulnérabilité 4 a diminué de plus de 40 % : – de 49,6 % à l'échelle nationale, passant de 22,8 % à 11,5 % ; – de 58,4 % dans le milieu urbain, de 16,6 % à 6,9 % ; – et de 39,7 % dans le milieu rural, de 30,5 % à 18,4 %. Au total, 5,3 millions de Marocains en 2014 étaient en situation de pauvreté absolue (1,4 million) ou de vulnérabilité (3,9 millions). Pour un poids démographique de 40 %, le milieu rural regroupe 85,0 % des pauvres et 64,0 % des vulnérables. De son côté, la pauvreté relative, mesurée à 60 % de la médiane des dépenses de consommation par habitant, a diminué, entre 1990 et 2014, de 22,0 % à 18,8 % à l'échelle nationale. Elle a stagné à près de 10,0 % dans le milieu urbain contre une légère baisse de 32,6 % à 31,3 % dans le milieu rural. Notons que le seuil de pauvreté ainsi fixé augmente avec le revenu des ménages. En somme, quel que soit le seuil, la pauvreté a été significativement réduite au Maroc. Cette tendance a été corroborée par la régression de la pauvreté multidimensionnelle. Plus de 2 millions de Marocains en pauvreté multidimensionnelle A l'instar de la pauvreté monétaire, la pauvreté multidimensionnelle (PM), évaluée à l'aide de l'approche adoptée par le PNUD, dite d'Oxford5 ou encore d'Alkire-Foster, est en déclin rapide au Maroc. Ses tendances font état de progrès notables dans le domaine des conditions de vie. En effet, le taux de PM ainsi mesurée a diminué, entre 1992 et 2014, de : – 78,9 % à l'échelle nationale, passant de 58,3 % à 6,0 % ; – 84,5 % en milieu urbain, de 25,8 % à 1,3 % ; – et de 75,8 % en milieu rural, de 84,3 % à 13,1 %. En résumé, la PM tend vers l'éradication en milieu urbain. Elle affiche une régression soutenue en milieu rural, bien qu'elle y affecte encore un peu plus d'une personne sur dix. En 2014, près de 2,015 millions de Marocains vivent dans des ménages multidimensionnellement pauvres, dont 87,3 % sont des ruraux. Le HCP fonde, depuis 2007, la mesure de la pauvreté sentie dite subjective sur une échelle du bien-être classant les ménages selon qu'ils se considèrent eux-mêmes très riches, relativement riches, moyens, relativement pauvres ou très pauvres. En 2014, 42,3 % des Marocains se considèrent en situation de pauvreté, 37,9 % en milieu urbain et 49,0 % en milieu rural. Sept ans auparavant, en 2007, le taux de pauvreté subjective était de 39,3 % à l'échelle nationale, 37,3 % en milieu urbain et 42,0 % en milieu rural. La pauvreté subjective affecte certes l'ensemble des classes sociales, mais à des niveaux différents. Son incidence est aussi plus grande parmi les ménages en situation de pauvreté monétaire et/ou de pauvreté multidimensionnelle et de vulnérabilité. En 2014, le taux de pauvreté sentie ou subjective était de 61,7 % parmi les classes modestes (dont la dépense par habitant est inférieure à 75 % la médiane des dépenses de consommation par habitant), 37,7 % parmi les classes intermédiaires (dont la dépense par habitant est entre 75 % et 2,5 fois la médiane des dépenses de consommation par habitant) et de 9,4 % parmi les classes aisées (dont la dépense par habitant est supérieure à 2,5 fois la médiane des dépenses de consommation par habitant). Tendance des inégalités entre 1990 et 2014 Le déclin des formes monétaires de la pauvreté au Maroc, entre 1990 et 2014, résulte principalement de la croissance économique et de l'élargissement de l'accès aux services et équipements sociaux, et, à partir de 2007, de la baisse des inégalités sociales. En quinze années, de 2001 à 2014, la consommation par habitant a connu une croissance significative (3,3 % par an), passant, en dirhams constants, de 10 286 dirhams à 15 609 dirhams. Cette hausse de la consommation constitue, à côté de la baisse de la pauvreté multidimensionnelle et du déclin des inégalités sociales entre 2007 et 2014, le principal facteur de la réduction de la pauvreté absolue durant la période. L'indice de Gini en 2014 était de 0,388, inférieur à celui de 2007 (0,407) ou de 2001 (0,406) et de 1985 (0,399). La tendance à la baisse des inégalités s'accompagne, par ailleurs, d'une augmentation de leur impact sur la pauvreté 9. En 2014, une hausse de 1 % des inégalités aurait annulé l'effet sur la pauvreté de 2,4 % de croissance économique contre 2,0 % à la fin des années 2000. D'où le rôle de la baisse, ou du moins la stabilisation, des inégalités dans la lutte contre la pauvreté. Par rapport au schéma de répartition, les 10 % les plus aisés totalisaient, durant la période 1990-2014, plus de 30 % de la consommation totale des ménages. Pour les 10 % les moins aisés, l'année 2014 marque pour la première fois une amélioration de leur poids dans la consommation (2,8 %) contre une stagnation (2,6 %) entre 1985 et 2007. Cette réallocation des ressources au profit des moins aisés a concerné aussi les 50 % de la population les moins aisés qui ont amélioré leur part dans les dépenses de consommation de 23,4 % en 2001 à 23,6 % en 2007 et à 24,5 % en 2014. En résumé, la baisse des inégalités et le recul de l'incidence des formes de pauvreté et de vulnérabilité montrent que la croissance économique enregistrée entre 2007 et 2014 a été inclusive. Elle a profité davantage aux catégories pauvre et vulnérable qu'aux non-pauvres (croissance pro-pauvre). Sur le plan territorial, les ruraux enregistrent, en 2014, un taux de pauvreté sensiblement supérieur à celui des urbains, de 10 fois pour la pauvreté multidimensionnelle et de 9,8 fois pour la pauvreté absolue11. Bien que ces écarts soient encore notables, ils observent une réduction soutenue depuis 1990 et devant être nécessairement activée dans les années à venir. Défis majeurs en matière de lutte contre la pauvreté et l'inégalité Les tendances lourdes des conditions de vie de la population montrent que les pauvretés, absolue, au seuil élevé, et multidimensionnelle, tendent vers l'éradication en milieu urbain et restent, en dépit de leur forte baisse, assez notables en milieu rural. Elles s'opèrent dans un contexte marqué par une inversion de la hausse des inégalités sociales et une incidence notable de la pauvreté ressentie particulièrement parmi les classes modestes et intermédiaires. Trois défis majeurs en découlent : - Le premier défi est d'activer la baisse des inégalités sociales. La baisse des inégalités, observée entre 2007 et 2014, constitue une première inflexion de sa rigidité à la baisse enregistrée depuis les années 90 et constitue par là un acquis du Maroc dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité. Cette baisse des inégalités constitue non seulement un appui à la baisse de la pauvreté et de la vulnérabilité mais aussi un élargissement et un renforcement des classes intermédiaires1. - Le deuxième défi est d'atténuer la pauvreté ressentie en allégeant ses causes, dont celles attribuées aux faibles niveaux d'éducation-formation, à la précarité de l'emploi et, au-delà, à l'insécurité financière et sociale. La proportion des Marocains qui se sentent pauvres a été ces dernières années presque insensible aux changements quantitatifs et qualitatifs que connaît le pays dans le domaine des conditions de vie, dont ceux évalués à l'aune de la pauvreté monétaire ou multidimensionnelle. D'où l'intérêt d'une refonte de la lutte contre la pauvreté, privilégiant, à côté du RAMED et de l'INDH, l'égalité de chances dans le développement des aptitudes humaines, l'emploi décent, la protection sociale et la sécurité financière. - Le troisième défi est d'activer la cadence de la baisse de la vulnérabilité et des différentes facettes de la pauvreté en milieu rural de façon à rendre socialement tolérable l'écart urbain/rural dans le domaine des conditions de vie. Le recul de la pauvreté monétaire et multidimensionnelle entre 1990 et 2014 résulte aussi bien du renforcement des investissements publics dans le développement social que du ciblage géographique et social des programmes socio-économiques dédiés aux populations et aux localités pauvres. Sur le plan des investissements publics, la part des secteurs sociaux dans le budget général a connu une hausse de 51,1 % entre 1994 et 2014, passant de 36 % à 54,4 %. Cette hausse a plus bénéficié aux secteurs de l'enseignement et de la santé, dont le budget a plus que triplé durant la période. Sur le plan des programmes socio-économiques ciblés sur les localités et les populations défavorisées, il y a, entre autres, l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH) et le Régime d'assistance médicale aux économiquement démunis (RAMED). En effet, le lancement de l'INDH en 2005 et le processus de généralisation du RAMED en 2013 donnent un nouvel élan à la dynamique du développement et au processus de lutte contre la pauvreté absolue et humaine. L'INDH en est aujourd'hui à sa seconde phase 2011-2015, marquée par la mobilisation d'un budget de 17 milliards de dirhams et par un élargissement du ciblage pour couvrir 702 communes rurales et 532 quartiers urbains. Elle a été conçue pour renforcer l'action de l'Etat et des collectivités locales et cibler, sur la base des cartes de la pauvreté (HCP, 2004 et 2007), les communes rurales et les quartiers urbains les plus défavorisés. De son côté, Le RAMED généralisé en 2013, consiste en une prise en charge totale ou partielle d'actes médicaux dispensés, aux populations pauvres et vulnérables au sens du HCP, par les hôpitaux et les établissements de santé publics. Parallèlement, le Maroc a créé en 2012 le Fonds d'appui à la cohésion sociale visant à financer et renforcer les actions sociales ciblant les populations en situation difficile (précarité et exclusion sociale, soutien à la scolarisation et à la lute contre l'abandon scolaire), la prise en charge des personnes à besoins spécifiques et le financement du RAMED. De même, un programme social de proximité a été adopté. Il consiste à financer des projets portés par des associations et concerne essentiellement les activités génératrices de revenus et d'emploi et l'infrastructure de base. D'autres programmes et stratégies sectorielles contribuent aujourd'hui à la lutte contre la pauvreté. Citons le Plan Maroc Vert dont le Pilier II, dédié à l'agriculture solidaire, envisage une approche orientée vers la lutte contre la pauvreté, en augmentant significativement le revenu agricole des exploitants les plus fragiles, particulièrement dans les zones défavorables à agriculture pluviale.