Onze ans après les attentats sanglants du 11 mai 2003 à Casablanca, et ceux, moins meur triers, qui ont émaillé l'actualité marocaine du printemps 2007, on les pensait reléguées au rang de sinistre souvenir. Mais voilà les cellules dormantes de retour, excitées par l'érection au Moyen-Orient de l'Etat Islamique et son fantasme de califat restauré. Aux grands maux les grands remèdes. Les autorités du Royaume sont en effet plus que jamais mobilisées pour éradiquer le f léau de ce nouvel islamisme radical et sanguinaire. Mais qui sont les recrues marocaines d'Al Baghdadi et comment le Maroc fait-il face à cette menace sécuritaire ? Eclairage. Du réveil au démantèlement La série estivale des démantèlements de cellules terroristes marocaines qui ont prêté allégeance à « Daech » s'est poursuivie le 12 septembre dernier par la neutralisation d'un groupuscule de 7 individus dirigé par un instituteur, et dont les membres s'activaient à Fès, Outtat El Haj et Zayou dans l'embrigadement et l'envoi de combattants pour l'Etat islamique en Syrie et en Irak. Ladite cellule planifiait également des attaques contre des positions sensibles dans le Royaume. Son démantèlement est le fruit d'un travail de longue haleine mené par les fins limiers de la brigade nationale de la police judiciaire sur la base d'informations recueillies par la Direction générale de la Surveillance du territoire national (DGSN). Brigade de la vertu à Tanger Un jour auparavant, le jeudi 11 septembre, 6 membres d'une milice salafiste ont été appréhendés par la police dans la ville de Tanger, au coeur des quartiers Ben Dibane, Ard Daoula et Mers Achnad. Le « Groupe de promotion de la vertu et de la prévention du vice », comme il s'était baptisé, opérait dans les quartiers populaires de la ville du Détroit, s'arrogeant le droit de sermonner tous ceux et celles qui osaient « transgresser la Charia ». Femmes non voilées, filles vêtues à l'occidentale, jeunes consommateurs de haschich et jusqu'aux amateurs de musique pop, aucun habitant de ce quartier défavorisé n'échappait aux imprécations des ces extrémistes religieux. Les infortunés qui avaient la malchance de croiser leur chemin en l'absence de témoins visuels se voyaient infliger de terribles châtiments corporels. Dernier méfait en date de ces gardiens autopro- clamés de la morale : le passage à tabac le 25 août dernier d'un jeune homme accusé d'avoir bu de l'alcool. Repéré par 3 membres de ladite brigade alors qu'il rentrait d'un mariage au lever du jour, le malheureux est condamné à 80 coups de fouet par leur « tribunal populaire » et aussitôt flagellé et roué de coups sur tout le corps. Alerté par ses cris de détresse, un gardien de nuit arrive sur les lieux, faisant aussitôt détaler les agresseurs. Hospitalisé d'urgence dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital Mohammed V de Tanger, la victime en ressortira avec de profondes blessures au niveau du dos, du bras droit, ainsi que de nombreuses fractures aux jambes. Vigilance, réactivité et tolérance zéro Un lynchage largement commenté sur les réseaux sociaux, qui n'ont pas manqué de comparer cette milice à la tristement célèbre brigade du takfiriste Youssef Fikri, surnommé « l'émir de sang », en raison du meurtre de 5 « mécréants » entre 1998 et 2002 à Casablanca. Comme l'ancien bidonville casablancais de Sidi Moumen est connu pour avoir fourni les 14 kamikazes du 16 mai 2003, le quartier de Béni Mekada à Tanger a la réputation d'être un fief salafiste et un foyer de recrutement pour le djihad. D'où les coups de filet opérés récemment dans cette vaste zone de 250.000 habitants. La nébuleuse terroriste étend ses tentacules jusqu'aux enclaves occupées, comme le montre le démantèlement en mars dernier par les services de sécurité marocains, en coordination avec leurs homologues ibériques, d'une cellule dirigée par un ressortissant espagnol à Melilla, et spécialisée dans l'envoi de djihadistes au Mali, en Lybie et en Syrie mais aussi dans la collecte de fonds pour des organisations terroristes. Toutes ces opérations de démantèlement démontrent la détermination des services de sécurité nationaux à prévenir la contagion extrémiste, comme à protéger le pays et ses citoyens d'éventuelles attaques terroristes. Les « stars marocaines» du djihad Sur le terrain syrien, d'après le centre de recherche stratégique américain The Soufan Group (TSG, New York), ils seraient environ 1.500 Marocains (en dehors de 2.000 autres portant une seconde nationalité d'après les chiffres du ministère de l'Intérieur marocain) s'exerçant aux techniques de combat au sein de l'Etat Islamique, de Harakat Sham Al Islam (Mouvement de l'Islam au Levant, HSI, filiale d'Al Qaïda, fondé en août 2013), de Jabhat Al Nosra (branche syrienne d'Al Qaïda) et d'autres organisations jihadistes engagées dans la guerre contre le régime de Bachar Al Assad. Les combattants marocains représenteraient ainsi le 3e contingent étranger le plus important en Syrie, après les Tunisiens (3000) et les Saoudiens (2500). Des dizaines d'entre eux seraient morts au combat. Brahim Benchekroun, dit Abu Ahmed al Mouhajir, figure ainsi parmi les « martyrs stars» du jihad « made in Morocco ». Ex-détenu de Guantanamo, co-fondateur et émir du précité Harakat Sham al Islam, tué le 2 avril 2014 à Lattaquié dans des affrontements avec l'armée régulière, Brahim Benchekroun a été remplacé par son ancien compagnon de geôle Ahmed Mazouz à la tête de la milice de combattants marocains. Tout aussi célèbre au sein de HSI, le tangérois Ahmed Charaa, dit Abu Hamza Al Maghribi, qui a embarqué sa femme et ses 4 enfants dans le bourbier syrien en mai 2012 via la Turquie. Arrêté en mai 2014 à la frontière turco-syrienne, extradé en août au Maroc, le plus médiatisé des jihadistes de Béni Mekkada est depuis détenu avec son fils Yassine à la prison de Salé dans l'attente de leur jugement. Son fils Oussama, 13 ans, considéré comme le plus jeune djihadiste marocain en Syrie, serait depuis rentré au pays avec sa mère et sa soeur. Emirs et petites mains En dehors de quelques noms qui sont parvenus à gravir les échelons dans la hiérarchie de la terreur, la plupart des combattants marocains en Syrie seraient « des fantassins de bas rang », comme les décrit Mohamed Masbah, chercheur à l'Institut allemand des affaires internationales et sécuritaires (Berlin). Recrutés pour la plupart dans les quartiers populaires des grandes villes du Nord et de l'Ouest, comme Tanger, Tétouan, Casablanca ou Salé, ils sont jeunes chômeurs, commerçants, contrebandiers ou autres vendeurs informels, célibataires mais plus souvent mariés et pères de famille. Radicalisés dans leur vision et leur pratique religieuses, mais dépourvus d'expérience de guerre contrairement à leurs aînés « afghans ou bosniaques marocains », ces djihadistes en herbe de la génération 2.0, se laissent séduire par la sophistication, la rapidité d'action et la puissance apparentes de mouvements terroristes passés maitres en stratégie de communication et opérations de séduction marketing. C'est le cas en particulier pour l'organisation d'Al Baghdadi, qui a « ravi la vedette » à Al Qaïda en faisant des réseaux sociaux une arme numérique redoutable et une vitrine de propagande transfrontalière. Terroristes en herbe et djihadistes 2 .0 Les djihadistes marocains de la nouvelle génération fanfaronnent sur les réseaux sociaux au milieu de têtes décapitées en guise de trophées de guerre. D'autres filment leur petit-déjeuner « 100% marocain » dans des villas avec piscine, humour douteux et mitraillette à la main à la manière de petits caïds du narcotrafic, encourageant leurs amis à les rejoindre au « paradis du Levant ». Comme des gosses de rue qui découvriraient, surexcités, un « califat de Cocagne » où l'on mange à satiété, s'adonne à un sunnisme rigoriste et élimine tous ceux qui refusent de se plier à leurs caprices de voyous fanatisés en mal d'adrénaline. Transgressant les pires interdits, rivalisant d'horreur, jouant à celui qui tuera, fusillera, décapitera, violera et pillera le plus pour obtenir galons et faveurs de ses maîtres obscurs… Repentis sincères ou bombes à retardement ? Depuis l'infiltration de la rébellion syrienne par des groupes islamistes étrangers en 2011, bien de l'eau a coulé sous les ponts. Fuyant les combats fratricides entre factions islamistes, cachés à la frontière turco-syrienne ou en Lybie, des dizaines de djihadistes déserteurs ont ainsi formulé leur souhait de rentrer au pays, exprimant leur « repentir » et leur « volonté de réintégration » dans la société marocaine (source : agence EFE, mai 2014). Repentir sincère ou bombes à retardement sournoises ? Le gouvernement leur accorderat- il le bénéfice du doute ? Pour le moment, ceux qui reviennent au bercail sont directement appréhendés à l'aéroport et condamnés généralement à 4 ans de prison sur la base de la loi anti-terroriste ( voir encadré sur la réforme de cette dernière). C'est que la prudence est de mise face au péril potentiel d'individus ultraradicalisés et formés militairement. Sans compter les détenus islamistes susceptibles de rejoindre les rangs du jihad à leur libération. Retour aux constantes Dans l'attente d'une solution politique, l'heure est à la réflexion publique. Elus comme citoyens et acteurs sociaux gagneraient à entamer le débat autour des dérives intégristes qui touchent certains pans de la société marocaine. La religion obscurantiste, sectaire, violente, misogyne et xénophobe prônée par Abou Bakr Al Baghdadi et ses adeptes, se trouve à mille lieues de l'islam populaire et culturel, convivial et pacifique dans lequel ont grandi et continuent à grandir les Marocains. C'est à l'Etat, via les ministères concernés, mais aussi à l'institution scolaire et aux médias de masse, de rappeler à chaque citoyen marocain ces constantes d'ouverture et de modération qui fondent notre identité profonde. La pluralité sociale, culturelle et confessionnelle ne constitue-t-elle pas le meilleur rempart contre les intégrismes ?