Cette fois-ci sera-t-elle la bonne pour France Télécom ? Tout le laisse penser au vu des tractations en cours avec Méditel. Pour France Télécom, le temps des acquisitions est revenu. Miné en 2009 par une funeste vague de suicides du personnel, le géant français a fait le ménage dans son leadership. Denis Lombard, pourtant auteur d'une croissance solide pour le groupe, cède sa place de DG à Stéphane Richard, lequel se retrouve en face d'un constat : le marché européen est en pleine stagnation. Le taux de pénétration du mobile en Europe frise les 88 % et les marges bénéficiaires calent à moins de 10% en moyenne. Alors, comment faire pour redémarrer la machine à profit ? C'est simple : France Télécom, à travers sa filière mobile Orange, se lance dans une vague d'acquisitions d'entreprises étrangères. Ils loupent IAM mais évitent la faillite… Depuis le 5 mai 2010, Orange est officiellement présent en Tunisie et déjà, les offres proposées sur la 3G, le fixe, le mobile et Internet, ont séduit 700 000 clients. Néanmoins, avec 8 % de parts de marché et un taux de pénétration du mobile de 90 %, les perspectives de croissance sont modestes. Aussi, Orange dirige-t-il ses appétits d'expansion vers le voisin marocain en lorgnant aujourd'hui le deuxième opérateur national : Méditel. On dit que le rapprochement est imminent. Selon nos sources, un accord devrait être annoncé dans les deux prochaines semaines. D'ici là, les bouches sont cousues. Selon un responsable à Méditel : «Des instructions claires émanant de la direction générale signifient au personnel de tenir sa langue». Pas moyen donc de tâter le pouls de la situation. Mis à part le fait qu'une poignée d'employés expriment en catimini «leur crainte d'un bouleversement social au sein du groupe», en rapport avec le niveau de stress qu'impose Orange à son personnel.On n'obtiendra pas plus. Les velléités d'incursion de France Télécom au Maroc ne relèvent pas de la nouveauté. L'opérateur historique français n'en est pas à sa première tentative, force est de constater qu'à chaque initiative d'introduction dans le marché marocain, une tuile est venue compromettre ses projets. Notons qu'une bonne partie des réseaux câblés de notre pays est à inscrire à l'actif du ministère des PTT, qui a beaucoup collaboré avec France Télécom. Une collaboration qui remonte au protectorat. Le temps passe et France Télécom se désengage progressivement du paysage télécom marocain, n'intervenant plus qu'en qualité de consultant. En 1997, FT se privatise puis se fixe comme lorgne stratégique, l'expansion hors de France. Celle-ci se fait à coups de rachats d'entreprise. Trois ans plus tard, le groupe, sous la direction de Michel Bon, arrache Orange à Vodafone pour la coquette somme de 39,7 milliards d'euros. L'appétit de FT ne s'arrête pas là, enchaînant les participations croisées et autre LBO : FT dispose alors de 17 filiales et s'implante dans 22 pays, dont notamment en Afrique, l'Egypte, le Kenya, la Côte d'Ivoire et le Mali. Pourtant, à l'orée de la privatisation de IAM, FT rate le coche. A l'époque, affaiblie par un endettement gigantesque, l'entreprise est en grandes difficultés. On parle d'une faillite imminente. Coup de bol, l'Etat actionnaire, par le truchement du gouvernement Raffarin, octroie une ligne de crédit de 9 milliards d'euros à l'opérateur et charge Thierry Breton, nouveau DG, d'en assainir les finances. FT sauve sa peau de justesse, mais trop peu, trop tard. Vivendi s'est taillé la part du lion dans le capital de notre Goliath de la téléphonie. L'investissement est miraculeux. Maroc Télécom carbure à des taux de rentabilité record. Vivendi jubile, IAM devient une des entreprises les plus profitables au monde. Consternation chez Orange, le royaume chérifien attendra ! C'était sans compter sur un homme : Karim Zaz. Fondateur de Maroc Connect, il convainc la filiale Internet de FT de s'implanter au Maroc. Ensemble, ils créent Wanadoo Maroc et, des ambitions en pagaille, prennent le pari d'en faire le FAI (Fournisseur d'Accès Internet) numéro un du pays. C'est l'hallali, Wanadoo stagne à 12 000 clients tandis qu'IAM via Menara monopolise 80 % du créneau. France Télécom n'y croit plus et décide de se désengager de l'affaire sous l'effet du plan de recentrage de Thierry Breton. Grossière erreur. Wanadoo, l'occasion ratée... La fuite de FT déroule le tapis rouge devant Attijari Intermédiation et Fipar, lesquels rachètent les parts du français pour une bouchée de pain. Un an plus tard, le nouveau tour de table est rejoint par l'ONA-SNI qu'allèche la promesse de Zaz : décrocher la troisième licence fixe du pays. Wana est née devenue après Inwi, formidable actif en devenir et relais de croissance pour le Groupe ONA. France Télécom a laissé filer entre ses doigts un trésor d'autant qu'avec une marque comme Orange, le team de Karim Zaz aurait fait un carton. L'histoire aurait connu un tout autre tournant. En lâchant Karim Zaz dans la précipitation, FT a condamné la possibilité d'être un acteur majeur des télécoms au Maroc. Aujourd'hui, une fenêtre de tir semble s'ouvrir pour Orange et la cible est de taille. Méditel, 1 milliard de dirhams de CA, une marge bénéficiaire de 40 % et une part de marché de 33 %. Le deuxième opérateur est La cible parfaite. Avec Méditel, FT hériterait d'une entreprise saine et dynamique. La gémellité des cultures donnerait lieu à une harmonisation immédiate en matière de déploiement des process. Mieux, Orange ambitionnant d'étendre son influence en Afrique, Méditel en deviendrait naturellement le hub. Sauf couac, les étoiles semblent s'aligner pour Orange dont le directeur exécutif Marc Rennard était en visite à Casablanca. La messe n'est pas dite pour autant, car FT n'est pas seul en lice. L'Emirati Ettisallat, coiffé sur le poteau par Zain, suite à l'entrée de ce dernier dans le capital de Wana, milite farouchement pour obtenir les 40 % tant convoités. N'empêche, le dénouement n'en est pas moins certain. «Je ne vois pas comment Méditel pourrait échapper à Orange. Dans le cas d'une surenchère avec Ettissalat, FT a les moyens de doubler voire tripler sa mise pour le même nombre de parts, il n'y aura pas de photofinish» souligne un analyste. La vision stratégique n'a pas de prix, nos marges faramineuses non plus. Si le deal venait à se concrétiser, cela ferait au moins un heureux : le consommateur marocain. Orange a les moyens de placer le marché local dans l'orbite de la 4G, prochaine grande innovation réseau. Déja, FT a déployé des moyens faramineux pour doter les principales villes de l'Hexagone d'un câblage de fibre optique. «La taille de notre marché, précise un responsable de la SNRT, justifie l'investissement». Autre avantage, Orange mettrait un gros coup de fouet au segment juteux des smartphones, ces terminaux évolués permettant la navigation mobile sur Internet. «Détenteur de la licence Apple pour la commercialisation de l'Iphone, ajoute notre responsable, Orange s'empresserait d'introduire ce produit d'appel, ce qui leur permettra d' inonder rapidement le marché avec cet engin auquel l'utilisateur s'accroche durablement». Orange justifie d'une solide expérience en la matière, ses forfaits data font un carton et l'Iphone s'est écoulé à plus de 216 000 exemplaires. Autre source de synergie potentielle, le contenu. A ce titre, les visions de Orange et de Méditel paraissent tout à fait compatibles. Et pour cause, Mohamed Elmandjra inscrit son mandat de DG sous le signe de l'offre innovante. En encourageant le développement d'applications mobile, il se positionne en vue de remporter la bataille du contenu. Or, en l'espèce, Orange est un pionnier. Son portail est le plus achalandé d'Europe, 20,7 millions de visiteurs uniques s'y pressent pour bénéficier d'un app store sur-stocké. En outre, Orange détient les droits de la Ligue 1 et possède son propre bouquet de chaînes cinéma. Avec ce rapprochement, précise notre source à l'ANRT, «Méditel deviendrait un acteur cross-plateform et ouvrirait la voie à une offre triple voire quadruple play adossée à du contenu premium relativement rare». La décision n'est plus qu'une affaire de jours. Ces prochaines semaines seront le prétexte pour FT de conjurer sa mauvaise fortune marocaine. Ce qui est fort probable à moins bien sûr que l'histoire, souvent redondante, ne les fasse trébucher à nouveau. Réda Dalil