Les journalistes tunisiens ont manifesté ce lundi pour protester contre les nominations faites samedi dans les médias publics par le gouvernement. Ils dénoncent un retour « au contrôle et à la censure ». Les journalistes tunisiens sont en colère. Annoncées samedi par le gouvernement, les récentes nominations à la tête d'établissements médiatiques publics, y compris à des postes de rédacteurs en chef, ont soulevé un tollé auprès des organisations professionnelles. Révoltés, plusieurs centaines de journalistes tunisiens ont manifesté ce lundi à Tunis devant le palais du gouvernement, place de la Kasbah, pour dénoncer des « pratiques rétrogrades ». « Vous, les rétrogrades, enlevez vos mains de la presse ! », « La presse est publique et elle n'est pas gouvernementale », « Non à la peur, non à la terreur, le pouvoir est au peuple », scandaient les manifestants devant la Kasbah, le siège du gouvernement à Tunis. « Je suis choquée de voir des symboles de la corruption de l'ancien régime qui avaient contribué à la répression des journalistes, couronnés aujourd'hui par le nouveau gouvernement. » Retour en arrière Pour les organisations professionnelles, c'est un véritable retour en arrière, qui rappelle les pratiques de l'ère Ben Ali. Pour l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (INRIC), mise en place après la révolution, ces nominations s'inscrivent en totale contradiction avec le processus de transition en cours, censé instaurer « une information publique, démocratique, pluraliste et indépendante ». Selon l'INRIC, il s'agit d'« un retour à l'exercice du contrôle et de la censure et à la soumission au diktat politique ». Dans les nominations qui dérangent, il y a notamment celle de Mohamed Taieb Youssefi, ancien attaché de presse dans des gouvernements sous l'ancien régime, à la tête de l'agence de presse tunisienne TAP. «Je suis choquée de voir des symboles de la corruption de l'ancien régime qui avaient contribué à la répression des journalistes, couronnés aujourd'hui par le nouveau gouvernement», s'est indignée Nejiba Hamrouni, présidente du SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens). Intervenues sans consultation des instances spécialistes, ces nominations ont été l'occasion pour la profession de lancer ce lundi un cri d'alarme sur l'évolution de la liberté de presse en Tunisie. Ce mardi, suite à la manifestation, le bras de fer semblait pencher en faveur des journalistes, le gouvernement s'étant dit prêt à revenir sur certaines nominations. 3 questions à Belhassen Handous, membre du bureau Reporters Sans Frontières (RSF) à Tunis. Les nominations de samedi étaient-elles prévisibles ? Les nominations ont été une grande surprise pour Reporters Sans Frontières ainsi que pour l'ensemble des journalistes et des organisations syndicales. On ne s'attendait pas à cela car les dernières déclarations du chef du gouvernement, Hamadi Jebali, prônaient des décisions en accord avec les organisations professionnelles. Suite à la manifestation de lundi, le gouvernement va-t-il revenir sur les nominations ? Le ministère prétend que ces nominations ont été précipitées car il y aurait eu une démission au niveau de la télévision nationale et des postes vacants à pourvoir. Lors de la manifestation de lundi, les journalistes ont demandé au gouvernement un retour en arrière pour les nominations, ainsi qu'une loi relative à la liberté d'expression dans la nouvelle Constitution. Pour les nominations de rédacteurs en chef, à La Presse et Essahafa, le gouvernement s'est dit prêt à revenir sur sa décision, mais d'autres nominations vont être maintenues. De façon plus générale, comment évolue la liberté de la presse depuis la mise en place du nouveau gouvernement Hamadi ? Récemment, il y a eu une attaque de deux journalistes lors de la couverture d'un sit-in devant le ministère de l'Education supérieure par des agents de la police. Il y a eu des excuses du ministère après. Il y a eu également des violences contre des journalistes de France 24 qui couvraient les attaques des salafistes qui faisaient la loi à Sejnane. Concernant le paysage global, dès que le gouvernement Hamadi a été mis en place, il y a eu une grande polémique sur le rôle des médias publics, puis Jebali Hamadi avait affirmé que le rôle des médias était libre. Mais les dernières nominations mettent en doute la volonté du gouvernement par rapport aux médias.