Hamadi Jebali, le nouveau chef du gouvernement tunisien a du pain sur la planche. Issu du parti islamiste Ennahda, âgé de 62 ans, il a passé de nombreuses années en prison sous le régime de Ben Ali, c'est l'homme de la situation. Il a désormais la lourde tâche de remettre la Tunisie sur les rails. Ainsi, Hamadi Jebali s'est d'ores et déjà entouré d'une équipe à même de l'aider à mener la transition à bon port. Après plus de deux décennies de dictature, la Tunisie veut renouer avec la démocratie. Les défis sont donc immenses et le temps presse aussi. «C'est le premier gouvernement légitime et populaire après la révolution et après les élections. J'espère qu'il gagnera le consentement du peuple», a déclaré, mardi, Hamadi Jebali après avoir dévoilé la liste des membres de son gouvernement au président Moncef Marzouki. Une fois la liste approuvée par l'Assemblée constituante, la machine sera lancée. «Nous ferons tout pour répondre aux attentes de notre peuple et de notre jeunesse», a-t-il assuré, conscient des tâches qui l'attendent. Inquiétudes Ce premier gouvernement issu des urnes est composé de 48 membres dont 26 ministres, 6 ministres délégués auprès du Premier ministre et 16 secrétaires d'Etat. Afin de lui faciliter la tâche, l'Assemblée constituante a élargi les prérogatives du chef de gouvernement. Hamadi Jebali pourra ainsi édicter des décrets, nommer les juges de la Cour suprême, révoquer des ministres ou encore dissoudre des ministères. Et cette concentration de pouvoirs n'a pas manqué de susciter l'inquiétude de l'opposition qui a qualifié Hamadi Jebali de «Calife». Son parti Ennahda aura la primauté quant aux portefeuilles clés, c'est-à-dire, l'Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères. Dans l'état actuel des choses, c'est le Premier ministre qui est l'homme le plus puissant de la Tunisie dans la mesure où toutes les initiatives émaneront de lui. il n'est, en réalité, tenu que par un devoir « d'informer » vis-à-vis du président de la république. D'aucuns redoutent d'ores et déjà un bras de fer entre les deux hommes. «Dans un premier temps, le bras de fer va être implicite. Ni l'un ni l'autre n'auront intérêt à se disputer devant les Tunisiens. Mais, tôt ou tard, Jebali sera obligé de faire comprendre à Marzouki qu'il est le vrai patron de l'exécutif», a expliqué un membre du parti politique de Moncef Marzouki, le Congrès pour la République(CPR). De même, l'accumulation de pouvoirs aux mains de Hamadi Jebali fait craindre une islamisation des institutions de l'Etat tunisien puisqu'il a le droit de faire le ménage à n'importe quel moment au sein de l'appareil étatique. Les journalistes tunisiens craignent de même une mainmise du chef de l'exécutif sur l'univers des médias. Cette inquiétude s'est vu renforcée après une interview du Premier ministre diffusée, lundi sur la radio nationale, dans laquelle il affirmait vouloir calquer les institutions de régulation des médias sur le modèle français. Les journalistes tunisiens y voient une manière de contrôler l'information dans la mesure où, en France, c'est le chef d'Etat qui nomme les présidents des médias publics et non le CSA. D'immenses défis Mais les chantiers de la nouvelle équipe ne concernent pas seulement le domaine des médias. La Tunisie post-Ben Ali doit aussi penser à sa jeunesse. Il faut donner du travail aux jeunes. Le taux de chômage parmi les jeunes ayant fait des études s'élève à 30% selon les estimations disponibles. Hamadi Jebali devra donc s'atteler à la création d'emplois en vue de redonner confiance à la jeunesse tunisienne. Au total, certains experts estiment qu'il faudra créer 80.000 emplois par an pour pouvoir absorber la main -d'œuvre existante. Ensuite, il faudra assainir le système bancaire. Selon Lahcen Achy, économiste au centre Carnegie pour le Moyen-Orient, les banques tunisiennes ont dû accorder des crédits aux proches de l'ancien régime sans pouvoir s'assurer de la qualité des projets ou de la fiabilité des emprunteurs. De même, il faudra redonner confiance aux touristes qui semblent avoir boudé le pays ces derniers mois compte tenu de la situation politique. Cependant, l'autre grand défi du parti islamiste reste la place de la femme tunisienne dans la société. Malgré les nombreuses déclarations de Rached Ghannouchi, leader d'Ennahda, en faveur des droits de la femme, il n'en demeure pas moins que des inquiétudes subsistent. La preuve, de nombreuses manifestations sont organisées devant le siège de l'Assemblée constituante à Tunis par des associations de défense des droits de la femme depuis la victoire d'Ennahda en octobre dernier. Les défis du nouveau gouvernement sont immenses et requièrent beaucoup de tacts, cependant, la patience du peuple tunisien aussi ne pourra que contribuer à la bonne marche de la nouvelle Tunisie tant voulue.