Les retraits des AMM (autorisations de mise sur le marché) des médicaments du marché international attirent l'attention sur l'efficacité de notre système de surveillance des médicaments. Remise en cause du rôle du Centre national de pharmacovigilance par les professionnels. Eclairage. khadija skalli N otre système de surveillance des médicaments sur le marché est-il aussi performant et efficace que le prétend l'administration ? Le Centre national de pharmacovigilance, à qui revient cette mission de surveillance des effets indésirables voire toxiques résultant de l'utilisation des médiacaments, joue-t-il son rôle ? Ou applique-t-il seulement les décisions prises à l'étranger ? Ces questions s'imposent vu les alertes internationales sur certains médicaments ayant fait l'objet de retrait du marché international suite à un incident alors que la réaction des autorités marocaines n'intervient qu'après coup. Interrogé par Le Soir échos, Farid Hakkou, chef du service de pharmacologie clinique au CHU Ibn Rochd de Casablanca et enseignant universitaire en pharmacovigilance à la faculté de médecine de Casablanca, évoque d'emblée le vide juridique. «La pharmacovigilance est mal organisée au Maroc. Le ministère de la Santé n'a pas encore mis au point des textes de loi qui la réglementent», indique-t-il avant de formuler des griefs à l'égard du département de Yasmina Baddou : «Le ministère de la Santé joue à la fois le rôle des experts et de l'administration. On ne peut pas être juge et partie prenante. Au Maroc, il y a une confusion des deux rôles. Une confusion fatale, alors qu'il y a une différence entre les deux. Les experts donnent leurs avis sur les effets indésirables d'un produit médical et l'administration prend la décision de ce qu'il faut faire sur la base de cet avis». Farid Hakkou tire à boulets rouges sur le ministère. «Le ministère de la Santé ne consulte pas l'ensemble des experts en pharmacologie mais se limite à des avis de personnes de l'administration. Il prend souvent des décisions qui sont prises en France. Il n'offre pas la possibilité aux experts marocains de faire des expériences spécifiques au Maroc. Le service de Casablanca n'a jamais été consulté. Depuis 5 ans, nous adressons régulièrement des notes d'information au ministère. Nous transmettons par voix hiérarchique c'est-à-dire par le biais du CHU de Casablanca. Résultat : Aucun écho », regrette-t-il. Selon le professeur Hakkou, la pharmacovigilance ne se pratique pas dans l'administration mais dans les services hospitaliers. Il donne l'exemple de la France qui compte une trentaine de centres de pharmacovigilance. «Ils sont tous localisés dans les services hospitaliers». L'efficacité du centre est remise en cause par un autre professionnel qui a préféré garder l'anonymat. «Si on avait un centre efficace de pharmacovigilance, la décision du retrait d'un médicament du marché se fera suite à l'avis de nos experts et non à celui des étrangers», déplore-t-il. Rajaâ Benkirane, responsable du Centre national de pharmacovigilance, se défend : «Le centre n'a rien de vocation administrative. Depuis sa création, la mobilisation et la sensibilisation des professionnels à l'importance de déclarer les effets indésirables des médicaments sont les mots d'ordre». Les professionnels de la santé sont certes peu nombreux à déclarer les cas d'effets indésirables d'un médicament. Aucune loi ne les oblige à le faire. « En moyenne, le centre reçoit 3.000 déclarations par an envoyées en majorité par les médecins. 5% des déclarations proviennent des pharmaciens et 5% du public. Notre rôle est de collecter les données et la surveillance de la tolérance des médicaments. Nous n'intervenons pas dans le retrait des AMM (autorisations de mise sur le marché)», précise le professeur Benkirane, également 1er vice-président de la Société marocaine de pharmacovigilance. Que fait le centre de ces déclarations ? « Nous vérifions l'information et la commission nationale de pharmacovigilance se réunit rapidement pour statuer sur la question. Nous transmettons les alertes au ministère de la Santé pour diffusion auprès des professionnels», poursuit Rajaâ Benkirane. Qu'en fait le ministère ? Contacté par la rédaction, celui-ci n'a pas donné suite à notre requête. Selon un professionnel, la communication sur les notes d'information du Centre de pharmacovigilance est à améliorer. Il incombe également aux professionnels de la santé, qui sont également acteurs de la santé, d'en assumer la responsabilité. « Il faut qu'ils suivent ce qui se passe à l'étranger et s'informent. Souvent, les alertes de la commission nationale de pharmacovigilance passent inaperçues », déplore cette source. Depuis sa création, il y a 21 ans, le centre a émis 12 alertes qui concernent l'utilisation du médicament en dehors de ses indications et des erreurs médicamenteuses », indique Rajaâ Benkirane, qui souligne le rôle important joué par le Centre national de pharmacovigilance qui, selon elle, sera renforcé par des centres régionaux, pour plus de proximité. Rencontre La Société marocaine de pharmacovigilance (SMP) organise les 16 et 17 décembre son quatrième congrès national au Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc à Rabat. Cette rencontre est placée sous le thème : « Champs d'application de la pharmacovigilance ». Plusieurs sujets seront abordés lors de ce congrès. Les spécialistes se pencheront d'abord sur l'état des lieux de la pharmacovigilance au Maroc puis sur les champs d'application de la science. On abordera également la cosmétovigilance, la tératovigilance, la matériovigilance, la pharmacovigilance des plantes médicinales et la vaccinovigilance.