Au Maroc comme dans le reste du monde, le secteur pharmaceutique valorise la précision, mais des fois il s'accommode du flou. Ce fut le cas récemment avec «l'annonce du retrait» du Pegintron dans le monde. Une information qui s'est avérée n'être qu'une intox. «Cette polémique est grotesque et nous fait perdre du temps pour rien», regrette Raja Benkirane, médecin responsable au Centre national de pharmacovigilance (CNP), créé en 1989. Entre info, intox et précaution sanitaire les frontières sont mouvantes. Faits et méfais Ce médicament, utilisé contre l'hépatite C, est vendu sous deux conditionnements, en flacons et en stylos doseurs. En septembre dernier, le fabriquant constate un incident «mineur» dans le fonctionnement du stylo doseur aux Etats-Unis et en avise les agences internationales de médicaments. Le 29 du même mois, le laboratoire signale ce problème à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Le 7 octobre, le directeur médical de ce laboratoire demande aux médecins prescripteurs de «ne pas initier de nouveaux traitements avec notre spécialité, afin d'être en mesure d'assurer la poursuite des traitements en cours. Nous prévoyons un approvisionnement suffisant de VIRAFERONPEG stylo [appellation commerciale en France] pour couvrir l'ensemble des besoins permettant de reprendre l'initiation de nouveaux traitements d'ici mi-octobre». L'Agence européenne des médicaments (AEM) confirme à son tour «la faible fréquence de ce défaut» et maintient le produit sur le marché. L'antenne marocaine du laboratoire qui fabrique ce produit a refusé de se prononcer sur cette question. «À la demande du ministère de la Santé, nous ne donnons pas de déclaration sur ce sujet. Mais une décision sur cette question est imminente», annonce un responsable du laboratoire. La Commission nationale de pharmacovigilance a tenu une réunion cette semaine pour donner son avis. Rien ne filtre encore sur la nature de la décision. Reste «qu'il est fort probable que le ministère confirme à son tour la décision de l'AEM et de l'AFSSAPS», confie, un responsable du département de la Santé. «Cette information n'a pas fait de bruit dans d'autres pays. Pourquoi cette polémique est propre au Maroc ?», se demande un opérateur du secteur pharmaceutique. Plusieurs hypothèses sont sur la table. Mauvaise interprétation de la décision des agences ou mauvaise foi ? «J'aimerai bien croire à une incompréhension. Or les personnes qui ont envoyé l'information sont malintentionnées», ajoute l'opérateur. «Hélas, ce type d'affaire est courant dans le secteur», constate Ali Sedrati, président de l'Association marocaine de l'industrie pharmaceutique (AMIP). «Des concurrents peuvent utiliser l'intox pour casser la concurrence et prendre un marché. C'est malsain !», déplore-t-il. Avec des intox de ce type, des patients peuvent céder à la panique et arrêter un traitement. «Les médias doivent traiter ces affaires avec une grande précaution et faire preuve de professionnalisme», prône un responsable d'une multinationale. «Dommage qu'on retrouve des informateurs qui donnent des données partielles car un laboratoire n'a rien à cacher», renchérit A. Sedrati de l'AMIP. Pharmacovigilance Avant de retirer un médicament du marché, la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) et les industriels calculent le bénéfice/risque pour le patient en cas de retrait d'un traitement. Pour ces raisons, la pharmacovigilance est une discipline délicate. Le système marocain est composé de deux piliers : le CNP qui a un rôle de conseiller technique et la Commission nationale, présidée par le directeur du Médicament et de la pharmacie. Sur avis de ces deux instances, le ministère de la Santé prend les décisions politiques concernant le maintien ou le retrait d'un médicament. «Notre système est à la pointe de la technologie et nous suivons ce qui se passe à l'étranger au jour le jour. C'est dommage qu'on dénigre tout ce qui est marocain», regrette R. Benkirane du CNP. Pourtant il u a eu des cas incompréhsensibles et notamment le retard pris dans le retrait d'un antidouleur dont l'association de paracétamol et de dextropropoxyphène pouvait être très dangereuse. En plus des structures du ministère de la Santé, la pharmacovigilance se pratique au niveau de l'industrie. Ainsi les trois labos contactés assurent leur engagement dans ce sens. «Afin de nous conformer à nos obligations éthiques et au Code de la pharmacie, notre entreprise a mis en place une unité de pharmacovigilance rattachée à la Direction médicale, et qui est composée de deux collaborateurs», explique un responsable de l'un des trois labos interrogés. Ces derniers déclarent des effets indésirables relatifs à leurs produits, réalisent des rapports périodiques (Periodic Safety Update Report), répondent à toute actualité de pharmacovigilance demandée par le ministère. «Remonter toute information pouvant nuire aux patients est notre obligation, c'est une responsabilité légale et éthique», rappelle A. Sedrati. Avant d'arriver chez le patient, le médicament passe par quatre étapes : tests en labo, expérimentations animales, puis tests de mise en marche qui viennent après l'Autorisation de mise sur le marché (AMM). La quatrième phase, qui dure toute la vie d'un médicament, est celle de l'observation des interactions du traitement sur le patient.