Cet écrivain né en 1922 a toujours été quelqu'un de discret. Il a fait l'objet d'un court essai d'Abdelkebir Khatibi et c'est chez celui-ci que je le rencontrai pour la première fois. J'étais fort jeune et il ne me vint pas à l'esprit qu'Ollier était de dix-sept années l'aîné de Khatibi. Pour moi, il s'agissait de deux adultes ayant publié des livres. Le goût d'Ollier pour le monde islamique est tel qu'il choisit, en 1971, d'effectuer son voyage de noces en suivant l'itinéraire Paris-Shiraz-Téhéran et retour (en «Coccinelle», la célèbre petite voiture de chez Volkswagen). En 1972, à la naissance de leur fille, Marie-Odette et Claude Ollier l'appellent Ariane-Naima. La Jordanie attira Ollier comme en témoigne sa participation à l'ouvrage collectif Pétra, le dit des pierres (Actes Sud 1993). Dans «Figures de l'étranger dans la littérature française» (Denoel, 1987), Khatibi s'intéresse au roman «Marrakch Médine» et il écrit ceci quant à Ollier : «Il s'est donné pour tâche de recevoir l'étranger en tant que lieu actif d'écriture, de fiction, transformant l'espace de son imaginaire. Il a lu le Maroc, ses inscriptions conflictuelles avec la langue française en se mettant à la trace de ce qui est refoulé dans la littérature française et dans la stratification de sa mémoire». Trois romans de Claude Ollier ont le Maroc pour cadre : «La Mise en scène» (1958, éditions de Minuit et 1982, Garnier-Flammarion, n° 395), «Le Maintien de l'ordre» (Gallimard, 1961) et «Marrakch Medine» (Flammarion, 1979), pour lequel il obtient en 1980 le prix France Culture «La Mise en scène», roman situé dans le Haut-Atlas, se trouve être l'un des textes fondateurs de ce qu'il est convenu d'appeler «le nouveau roman». Il s'agit d'un «roman colonial», mais comme dépouillé au couteau de l'idéologie coloniale dont ne demeurent que des marques minces, presque honteuses, des traces qui ne demandent, en somme, qu'à être dénoncées, combattues. «Le Maintien de l'ordre» est l'occasion, d'ailleurs, de dénoncer la pratique courante de la torture dans les commissariats peu avant la décolonisation. Claude Ollier s'affirme par une écriture concise se méfiant de tout allegro agitato, fixée obsessionnellement sur les méandres reproduits jusque dans leurs plus infimes détails, tenue à la description rigoureuse. Ce parti-pris est d'autant mieux venu dans «La Mise en scène» que le héros en est un professionnel de l'utilisation de l'espace, de son organisation, de sa gestion de son aménagement : un ingénieur français chargé d'établir un tracé de piste minière dans le Haut-Atlas. Le texte, chez Claude Ollier, c'est un semis d'indices, un «rapport» rythmé jusqu'à l'hallucination : la transe est au bout du parcours, ou l'engourdissement, sous le charme (la menace ?) des détails accumulés avec obstination. Enigme quasi-policière enfin, «La Mise en scène» évoque la possibilité, lentement muée en certitude, que l'ingénieur précédent soit mort victime de son idylle avec une jeune Marocaine qui a été, elle aussi, assassinée. Alors que les rapports de Lassalle, le héros devenu enquêteur, avec les «gens du cru» sont excellents, un doute s'insinue dans son esprit quant à la sincérité de leur attitude. On l'a prévenu : «les gens d'Imlil sont très sympathiques, vous verrez. Très indépendants de caractère, bien sûr, comme toutes les tribus de haute montagne, méfiants même, très fermés dès qu'ils vous soupçonnent de vouloir vous mêler de leurs affaires, mais en revanche aimables, hospitaliers, quand vous avez gagné leur confiance… Et ils ont vite fait de vous juger : la mine, le regard, la démarche… Cela tient souvent à des riens…». Lassalle va bénéficier de l'aide d'un «caporal indigène», «un militaire revenu vivre en tribu». Lassalle se trouve dans une zone encore non cartographiée. L'ingénieur va employer un jeune garçon, Ichou, «petit-fils du mogaddem du mellah d'Asguine, fraction des Aït Imlil». Claude Ollier ausculte la réalité dans une position de partenaire qui jouerait avec elle et dont elle saura se jouer. A propos du dépeçage d'un scorpion par des fourmis, Claude Ollier écrit : «Les minuscules points noirs glissent sur la carapace rugueuse, comme s'ils ne pouvaient en venir à bout et pourtant l'ébrèchent, la transpercent, la vident de son contenu, la sucent, la digèrent et s'affairent, sur les débris qui insensiblement s'amenuisent, s'effritent, se volatilisent». Les mots disent une passion en même temps qu'ils s'en éloignent. Mais il n'en reste pas moins que c'est «Enigma», un autre roman d'Ollier qui m'a enchanté. Les protagonistes en sont des cosmonautes.