Les Echos quotidien : Avant d'être nommé à la tête de ce qui était Medi1Sat, vous aviez déjà à votre actif un parcours tout aussi éclectique que réussi. Vous considérez-vous comme une sorte de caméléon des affaires ? Abbas Azzouzi : Non, je ne crois pas être un caméléon (rires). Je n'ai pas l'habitude de me fondre dans le paysage. Je dirais au contraire que j'ai toujours été porteur d'un nouveau regard... libre de tout engagement. Le fait de sortir du cadre traditionnel est un peu un avantage, puisque cela me permet d'apporter des idées nouvelles. En réalité, j'ai changé pratiquement 7 fois de vie, dans plusieurs secteurs d'activités, et à chaque fois, c'est une nouvelle découverte. Dans le cas de Medi1 TV, il est vrai que j'ai toujours fréquenté les médias, mais c'est ma première expérience dans ce domaine particulier. Quel bilan faites vous de ces deux ans à la tête de la chaîne ? À vrai dire, je n'ai pas vu le temps passer, car nous avions énormément de choses à faire : repositionner la chaîne, développer le volet technique, en passant à une diffusion hertzienne sur tout le territoire, construire une nouvelle grille, concevoir de nouvelles émissions... Etait-ce votre cahier des charges ? Effectivement. Je suis arrivé avec pour mission de trouver un nouveau modèle économique. L'enjeu était de permettre aux actionnaires d'avoir une visibilité, puisque ce sont les seules ressources de la chaîne. Le premier constat était effectivement qu'à travers le concept d'une chaîne tout info, il était impossible d'être rentable. Généralement, toutes les chaînes de ce type sont politiques et financées par l'Etat, sauf peut-être CNN, qui vend ses programmes. De plus, le statut de chaîne maghrébine impliquait également la difficulté d'opérer dans les pays voisins, qui restent des marchés assez fermés en termes d'informations et de publicité. D'où la volonté de se positionner comme chaîne généraliste, avec une vocation qui est de capter une audience plus large. L'objectif était aussi d'aller chercher les Marocains qui ne regardent plus les chaînes nationales ou qui préfèrent les chaînes satellitaires en leur proposant une ligne éditoriale portée sur l'ouverture et l'enrichissement. D'où le changement presque radical de la grille... En réalité, nous avons renforcé le cœur de la chaîne qui est l'information, notamment en ce qui concerne les éditions de journaux et l'investigation. À ce sujet, les gens se méprennent, mais nous produisons plus d'informations actuellement, que lorsque nous étions une véritable chaîne tout info. Pensez-vous que le modèle d'une chaîne de télévision régionale soit viable ? Je ne le pense pas. Il n'y a pas véritablement de marché maghrébin de publicité. Jusqu'ici, le concept de chaîne régionale a uniquement marché avec Eurosports. Et puis, il faut savoir qu'à l'époque, les caméras de Medi1 Sat n'étaient pas autorisées à filmer en Algérie et en Tunisie ... En Lybie, n'en parlons pas. Ne craignez-vous pas, en vous lançant dans le divertissement et la fiction, que les téléspectateurs marocains ne fassent un amalgame avec les autres chaînes ? Nous ne pouvons pas faire de télévision sans fiction, mais jusqu'ici, les fictions que nous programmons s'adressent au grand public, tout en restant instructives et enrichissantes. Certes, nous avons également intégré des séries US, mais pas de telenovelas, ni de feuilletons à l'eau de rose.... C'est un genre qui est absolument nécessaire, sans quoi on tombe dans le schéma de la chaîne thématique. Que donnent les études menées régulièrement par Medi1 TV ? En termes de notoriété, nous sommes passés de 42% à 93% des Marocains qui connaissent la chaîne. Pour ce qui est de la satisfaction, nous sommes actuellement à un taux de 93%, ce qui nous place en tête par rapport à nos concurrents. En ce qui concerne les CSP A, B et C+, nous sommes à une part d'audience de 7,7%. Dans cette même catégorie, et en l'espace d'une année, cette part a augmenté à plus de 18,5%. En part d'audience, cela représente combien ? Il y a un an, nous faisons 0,7% de part d'audience. Aujourd'hui, nous sommes à 6,5%. Quelle lecture faites-vous de ces chiffres ? Pour cette première année, c'est un saut important. Il ne faut pas crier victoire trop vite. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Pour l'heure, nous en sommes à la première étape. C'est une étape importante, dans la mesure où elle nous a démontré qu'il y avait bien un public pour ce type de produit audiovisuel. Nous l'avons d'ailleurs vu lors de notre couverture des événements de cette année au Maroc. Je crois que les Marocains ont besoin d'avoir une chaîne à laquelle ils peuvent s'identifier, c'est vital. Dans ce cas, vous devez avoir une idée du téléspectateur type de Medi1 TV ? Avant, nous étions plutôt dans une audience masculine âgée de 45 à 55 ans, de CSP +, avide d'informations. C'est le profil type de toutes les chaînes d'information. Il aurait donc fallu construire là dessus pour aller vers plus de féminin et rajeunir. C'est ce que nous avons a fait à travers notre nouvelle grille de programmes dédiés. Cela a permis ainsi d'élargir le profil de la cible, toutes CSP confondues, et de l'augmenter en nombre. Pourquoi Medi1 TV n'est toujours pas mesurée par Marocmétrie ? Nous l'avons demandé et nous attendons toujours la réponse du CIAUMED depuis pratiquement une année. Il est vrai qu'il y a des conditions auxquelles nous ne sommes pas prêts non plus à souscrire. Ce n'est pas une décision qui bloque dans un seul sens. En tant que directeur de chaîne, avez-vous un commentaire à faire en ce qui concerne la forte migration des téléspectateurs marocains vers les chaînes étrangères ? Du point de vue de la chaîne, c'est pour ça que nous nous battons. D'un point de vue un peu plus global, il est vrai que cela glace un peu le sang, d'autant plus lorsque j'apprends que l'on compte lancer de nouvelles licences privées. Justement, comment appréhendez vous l'arrivée de nouvelles chaînes privées ? Un Etat se doit d'avoir une politique de maîtrise de ses médias et ne doit pas céder à la pression internationale d'ouverture. C'est un combat difficile, mais je me bat contre ces pays étrangers, qui imposent leur point de vue dans un timing qui leur convient à eux, mais qui n'a rien à avoir avec la réalité du pays. La France par exemple a créé ses chaînes dans les années 50 et a ouvert les licences dans les années 80. Entre les années 80 et 2000, aucune licence n'a été accordée. Pourquoi le Maroc devrait-il en l'espace de dix ans tout faire d'un coup ? Il faut savoir que les chaînes privées commerciales, n'auront pas besoin de cahier des charges. Ce qui les intéressera, c'est principalement la fiction et elles vont importer toutes leurs émissions. L'arrivée de nouveaux acteurs inciterait-elle plus d'investissement et freinerait la migration des téléspectateurs ? Je ne le crois pas. Le comble c'est qu'il n'y a pas de marché publicitaire pour soutenir cela. Regardez aujourd'hui comment les chaînes françaises se battent contre les chaînes de la TNT, parce qu'elles grignotent des parts de marché, alors même qu'elles sont également déficitaires. Peut-on déjà parler de rentabilité au bout d'une année ? Non. Bien qu'il y ait des investisseurs et des annonceurs qui acceptent d'investir, la télé continue à être un média très coûteux. Pis encore, le marché publicitaire marocain devient de plus en plus réduit. Selon les chiffres de 2011, nous sommes à moins 15% par rapport à l'an dernier. La télé, à elle seule, a perdu 25% de ses investissements, pour un marché qui représente à peine 850 à 900 MDH. Ce budget est réparti entre les trois principales chaînes. Côté aide de l'Etat, Al Oula atteint un budget annuel de 1,3 MMDH et 2M en est à 680 MDH... Quant à nous, nous sommes à peine à un budget de fonctionnement de 250 MDH. C'est une performance de faire une chaîne généraliste avec un tel budget, pour un contenu de cette qualité. Il faut savoir aussi que Medi1 TV investit 70 MDH par an. Que pensez-vous de la TNT au Maroc ? Aujourd'hui, nous sommes à moins de 2% de taux de couverture des foyers marocains. Je suis assez sceptique. En Espagne ou en France, il aura fallu plus de 10 ans pour passer à la télévision numérique terrestre. Le problème au Maroc, c'est qu'on aborde les choses d'un point de vue technique, alors que pour développer des chaînes, il faut du contenu. Cela implique en retour l'existence d'une industrie audiovisuelle qui fonctionne, qui soit en mesure d'alimenter tout cela. Autrement, on se retrouve à créer des canaux pour diffuser des produits étrangers, ce dont je ne vois pas l'intérêt. La production nationale et Medi1 TV ? Nous produisons beaucoup. En interne, mais également avec des maisons de production. Je ne pense pas qu'il y ait une chaîne marocaine qui produise autant que nous, car nous avons à peu près 22 émissions, dont une grosse partie est produite par la chaîne, notamment les débats et les émissions d'investigation. Ce que nous traitons le plus à l'externe, c'est le volet divertissement, les jeux ainsi que les reportages. Comptez-vous ouvrir le passage à la production audiovisuelle nationale ? C'est une vraie question. La fiction coûte cher pour avoir un produit de qualité. Et nous ne voulons pas faire les choses à moitié ou de mauvaise qualité, sinon nous préférons nous abstenir. En outre, le fait d'être une nouvelle chaîne implique également que nous fassions appel à de nouveaux visages. C'est compliqué, mais c'est au stade de la réflexion, pour peu que nous trouvions les bons réalisateurs, les bonnes équipes techniques... Des projets pour 2012 ? Nous lancerons de nouvelles émissions de proximité, pour ne citer que les magazines de société autour de la famille, sous forme de débats et docu-fictions. Medi1 TV renforcera aussi l'investigation. La fiction historique continue avec une série événement en janvier. C'est une exclusivité Medi1 TV. En somme, nous prévoyons une nouveauté par mois jusqu'en avril.