Vendredi dernier, le Maroc s'est doté d'un espace de jeu politique plus moderne et plus prometteur que celui où batifolaient nos élus. Maintenant que le décor a changé, tout le monde espère un renouvellement des acteurs, ou du moins un changement du jeu insipide qui a fini par affadir l'espace politique. Il nous faudra certainement faire preuve de beaucoup de patience avant que cela ne se réalise. Le casting n'est pas des plus réjouissants, quand on connaît nos hommes politiques. Même les plus honnêtes et les plus sérieux d'entre eux avaient fini par s'accommoder du mauvais jeu et trouvé quelques raisons de continuer la parodie politique qu'ils interprétaient. Il leur faut désormais faire preuve de beaucoup de bonne volonté pour se conformer à l'image que les honnêtes gens, qui ont voté massivement, se font de la politique. Il faut espérer qu'ils opteront pour la voie du changement. Ce n'est malheureusement pas l'unique option qui s'offre à eux. Le risque de dénaturer les principes de la nouvelle Constitution n'est pas exclu. C'est une stratégie facile à mettre en œuvre pour des personnes qui ont toujours exercé la politique dans un splendide mépris des citoyens. S'ils réussissent encore une fois, cela risque d'être plus grave que la désillusion de 2002, qui avait abouti à une désaffection générale pour la politique en 2007. Les jeunes sont descendus dans la rue, parce qu'il n'y avait plus d'instance capable de porter leurs doléances. Il est aujourd'hui plus difficile de les convaincre d'abandonner cet espace. Ils n'ont plus confiance. Dès à présent, il faudra travailler à restaurer cette confiance nécessaire à la bonne marche du pays. C'est la responsabilité à la fois des hommes politiques et des citoyens, qui doivent réviser à la hausse leurs exigences et aiguiser encore plus leur vigilance. Un dialogue doit s'instaurer. Or, la campagne pour le référendum nous a permis de découvrir la distance faramineuse qui sépare les hommes politiques des principes de la communication. Il y a quelques partis qui ont commencé à s'exercer au marketing politique, mais la majorité continue de rabâcher un discours vieillot, digne des années 80. Nos hommes politiques ont vécu en autarcie intellectuelle et n'ont pas vu évoluer le monde. En réalité, ils n'avaient jamais eu le souci du public et n'avaient pour cette raison aucun besoin de construire un discours pour convaincre d'éventuels électeurs. Parce que la démocratie est un jeu complexe, il est nécessaire d'apprendre à communiquer. Les bourdes médiatiques de certains ténors de la politique ne peuvent s'expliquer que par cette culture de non communication. Nous avons parfois l'impression que nos hommes politiques ont du mal à se défaire de ces meetings où des foules sont acheminées des hameaux voisins et installées en face d'une tribune où un orateur débite des phrases incompréhensibles. Le public n'applaudit que quand il croit reconnaître le nom du roi ou celui du pays. Aujourd'hui, les idées politiques se discutent aussi sur Facebook. Elles ne sont pas toutes justes, ni recevables, mais c'est avec ces jeunes qu'il faudra désormais discuter. S'il n'est pas possible de les reconvertir au modèle politique «classique», il faudra bien investir leur terrain, parler leur langage, comprendre leur logique. Cette démarche est certainement plus aisée pour les jeunes politiciens, mais elle n'est pas forcément inaccessible aux anciens, s'ils daignaient descendre de leur tour d'ivoire. Comme le disait Talleyrand, «en politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai». Ce principe ne signifie pas qu'il faut mentir aux électeurs, mais qu'il faut avoir l'obsession de les convaincre. Si la vérité n'est pas crédible ou si elle est difficilement recevable, il faudra se résoudre à la dire autrement. On ne peut que sourire de la naïveté d'un El Khalifa qui vient parler à la télévision devant des millions de téléspectateurs comme s'il parlait dans une réunion de parti avec quelques militants acquis à sa cause. Quand il évoque son opposition à l'officialisation de la langue amazighe, parlait-il en tant que personne, dont les idées doivent être respectées même quand elles ne sont pas partagées, ou en tant qu'homme politique, ayant pour souci majeur de convaincre ses détracteurs plus que de flatter ses partisans ? Etait-il conscient du coût politique d'une telle intervention ? Un homme politique ne parle pas quand il a raison, mais quand il a construit son discours pour rendre sa vérité recevable. Benkirane, qui agit déjà comme un Premier ministre en instance, a aussi eu des propos impétueux. Il a dû s'excuser pour avoir qualifié, sur le ton de la moquerie, l'écriture amazighe de chinoiserie. Les dégâts provoqués par des propos lancés spontanément ne peuvent malheureusement pas toujours être réparés par des excuses publiques. Mais il faudrait au moins reconnaître à Benkirane le mérite de s'être excusé. C'est un des apprentissages fondamentaux qu'impose la nouvelle donne aux hommes politiques. Ils s'adressent désormais à des citoyens, capables de les porter au pouvoir et de les en démettre. Ils n'ont pour les convaincre qu'un discours, qu'il faudra par la suite transformer en actes. Désormais, les mots péseront lourd dans la politique. Espérons que ça ne sera pas que des paroles en l'air.