«Du football à la lutte contre le racisme» Les ECO : Vous participez au Festival Gnaoua avec la Fondation Lilian Thuram-Education contre le racisme. Quelle est sa mission ? Lilian Thuram : La fondation existe depuis 2008, quand je jouais à Barcelone. L'histoire de ma vie, en fait, m'a poussé à réfléchir. Je dis souvent que je suis devenu «noir» parce qu'on devient noir aux yeux des autres. Je suis né aux Antilles en 1972, et suis arrivé en 1981 à Paris. Il y avait à l'époque un dessin animé à la télévision intitulé La noiraude, on m'appelait comme cela. J'ai été voir ma mère pour lui demander pourquoi la couleur noire était aussi négativement chargée, elle n'a pas su me répondre et s'est contentée de me dire que c'était comme cela, que les gens sont racistes. Je suis donc devenu noir à l'âge de 9 ans parce qu'avant je m'appelais Lilian, et c'est tout. Je suis devenu noir en région parisienne, avec tous les a priori que cela suppose. J'ai ensuite cherché à comprendre l'histoire du racisme, l'histoire de cette hiérarchie selon la couleur de peau, pour apprendre à me connaître. Je trouve cela intéressant d'expliquer maintenant aux autres comme cela fonctionne. On dit que parler du racisme est tabou, mais je ne crois pas. Il faut en parler ouvertement, montrer qu'il y a une construction intellectuelle et politique, parler d'égalité, du sexisme. Parler du sexisme aussi, c'est parler de la plus vieille hiérarchie qui existe, entre l'homme et la femme! Depuis des siècles, on dit que les hommes sont supérieurs aux femmes. Parler de l'homophilie s'inscrit dans la même lignée puisque cela reviendrait à dire qu'une catégorie de personnes aurait plus d'importance qu'une autre. Le débat sur le mariage pour tous le prouve. Une société doit être égalitaire. Tout ceci m'a poussé à créer la fondation, puisque nous sommes une société sexiste, raciste, homophobe. Questionnons-nous sur nos préjugés pour essayer de les dépasser. Nous sommes conditionnés par un tas de choses, d'où l'importance de se poser des questions et d'essayer de comprendre. Gagner la coupe du monde avec l'équipe de France a dû vous permettre de vous intégrer davantage et d'être considéré comme un Français. Décider de vous battre, après cela, contre le racisme constitue un message fort. Ressentez-vous encore le racisme aujourd'hui? Oui, quand on ne me reconnaît pas justement. Quand on ne me reconnaît pas, les préjugés resurgissent. Quand je suis «Lilian Thuram», il n'y a pas de problème, mais l'important aujourd'hui est de reconnaître l'autre dans son individualité. L'individualité est importante dans le combat du racisme puisqu'on va vous dire : «les femmes sont», «les noirs sont», «les musulmans sont». On ne prend pas la personne mais la catégorie à laquelle elle appartient. Je pense que se poser la question de savoir si le racisme existe encore aujourd'hui reviendrait à se poser la question de savoir si le sexisme existe encore aujourd'hui. C'est une façon de penser, c'est tout. On a éduqué les hommes à penser de la sorte, à penser que c'était naturel. Reconnaître aujourd'hui que racisme il y a signifierait que les blancs ont un avantage, reconnaître qu'il y a sexisme signifierait que les hommes sont privilégiés, et cela est difficile à reconnaître. Il faut travailler sur cela pour qu'il y ait égalité. Lorsque vous êtes avantagé pour ce que vous êtes, il est difficile de se remettre en question. La musique gnaoua est celle des esclaves noirs. Comment avez-vous vécu l'expérience? Connaissiez-vous le festival ? Oui, je le connais de renommée. Je connais la musique gnaoua et l'histoire de cette population... Ecouter la société et transmettre permet de mieux éduquer cette dernière. L'éducation permet de prendre conscience de la société dans laquelle on vit, donc de la transformer... Cela permet aussi de sortir des catégories dans lesquels des gens se permettent de nous enfermer. Oublier la peau, la nationalité, la religion et penser juste à l'être humain. L'égalité ne se donne pas, elle se gagne, et il serait bien d'éduquer les générations futures dans ce sens. En cette période de festival, pourrait-on savoir quel genre de musique vous écoutez ? Un peu de tout. J'adore le jazz, la musique antillaise, la musique classique. J'aime tout ! Comment se sent-on quand on remporte la Coupe du monde ? Un sentiment de bonheur intense. Quand on est enfant, on rêve de devenir champion du monde, on en parle avec ses copains, dans la rue. Mais le vivre, c'est un rêve qui devient réalité, ça en devient presque irréel. Je me demande encore aujourd'hui si c'était vrai ou s'il s'agissait d'un rêve! (Rires). C'est incroyable et bizarre. On se sent heureux et chanceux. La fondation existe grâce à la Coupe du monde et à l'équipe de France. Je profite de cette notoriété pour aller à le rencontre des enfants, pour les faire réfléchir sur le bien vivre ensemble.