Le Festival gnaoua et des musiques du monde s'est clôturé dimanche dernier presqu'avec nostalgie, comme si 4 jours n'étaient pas suffisants. Le vent d'Essaouira, particulièrement violent durant cette édition s'était même calmé le jour de la clôture pour laisser un avant-goût de mélancolie aux festivaliers, tout simplement conquis. Il faut dire que cet évènement n'est pas comme les autres. Les rues authentiques d'Essaouira étaient encore plus colorées par des gens du monde entier, les familles ont pris d'assaut les terrasses des cafés, les curieux en quête d'activité étaient à la recherche des endroits clés du festival. Sans prétention, sous le signe du partage et de la découverte, plus de 200 journalistes venus du Maroc, de France, d'Italie, d'Egypte, d'Allemagne, du Royaume Uni, des Emirats Arabes Unis, de Russie, de Suisse, d'Irlande, des Etats-Unis, de Roumanie et d'Australie, se sont amusés à faire leur travail, dans une ambiance plus zen que d'habitude et entourés de festivaliers aussi nombreux que diversifiés. Un festival pas comme les autres dont la programmation était particulièrement riche cette année. Une année où il était possible de voir Will Calhoun déjeuner en terrasse, Lilian Thuram déambuler dans les rues d'Essaouira, avec tout le naturel du monde. Sur scène, les festivaliers ont vécu des émotions particulières avec les concerts du pianiste cubain Omar Sosa, qui resteront dans les annales, qu'il s'agisse de son concert en solo –aérien et généreux- ou de la fusion incroyable qu'il a réalisée avec le Maâlem Mahmoud Guinéa. En parlant de mâalem, un autre a fait trembler la place Moulay Hassan et a mis tout le public dans sa poche, il s'agit de Hamid El Kasri, qui a su cette année encore surprendre par de nouvelles approches scéniques et chorégraphiques. Sans oublier la belle présence et l'intensité de N'neka, Mahmoud Guinea et son charisme artistique incontestable, la voix généreuse d'Eska et ses yeux brillants de larmes en quittant la ville, ce mélange d'énergie et de douceur comme seul le Maâlem Abdelkebir Merchane sait le partager avec la foule, le Maâlem Omar Hayat dont la folie scénique séduit à chaque fois, Haoussa enflammant le public de la scène Méditel par son énergie folle, le sourire étincelant de Mehdi Nassouli lors d'une fusion gnaoua/soul/ hip hop/new blues avec l'inclassable N'neka, l'étincelante voix de Oum naviguant entre influences maghrébines, jazz, latinos et sahraouis. La soirée d'ouverture était à elle seule un voyage, une rencontre improbable entre les gnaoui menés par le Maâlem Said Kouyou et les bédouins émiratis de Annadi Al Bahri. Cette création envoûtante et totalement originale était une première mondiale qui illustre bien un des axes majeurs de ce festival, le dialogue des cultures du monde. Un dialogue qui s'est confirmé par un débat de jour sur la jeunesse, avec des intervenants différents, d'horizons et de parcours aussi différents que fédérateurs dans la pensée et le travail. Les jeunes présents et concernés par le débat autour de «Sociétés en mouvement, jeunesses du monde» ne se sont pas contentés de faire entendre leur voix, comme on le dit souvent, ils ont participé aux panels et construit des réflexions et des analyses qui ont apporté des éclairages nouveaux sur les problématiques posées. L'accent a été mis sur le caractère non évident de la catégorie «jeunesse», car il s'agit d'une construction sociale, qu'il est question de jeunesses multiples au cœur desquelles se jouent aujourd'hui des mutations anthropologiques profondes autour de pistes, à savoir l'éducation et la transmission, la culture, la politique et les modalités d'une participation active des jeunesses a l'édification du vivre ensemble et enfin, la dernière piste qui est sous-jacente à tout le reste, Internet, moteur du nouveau monde en gestation. Karim Ghellab a débattu sans langue de bois avec Widad Melhaf et Mounir Bensalah du mouvement du 20 février, le champion de football Lilian Thuram, président de la Fondation de lutte contre le racisme qui porte son nom a fait un brillant exposé aux côtés de l'historien Pascal Blanchard, spécialiste des questions coloniales. Le cinéaste syrien Rami Farah a lancé un appel à l'aide poignant qui a ému l'assemblée, tout comme l'a été le mot du jeune rappeur Ayman Moghames, dont une lecture a été faite aux participants car l'artiste n'a pu sortir de Gaza en raison du blocus. Ayman révèle dans cette lettre que le gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza a interdit la pratique du rap mais que l'action continue grâce aux réseaux sociaux. Des débats, des discussions, du partage de connaissances, du partage de musiques mais du partage tout court. Essaouira est à chaque fois généreuse envers ses festivaliers qui se sentent libres au gré des alizés. Un moment fort qui commence dès le réveil puisque la ville est animée 24h sur 24. Les matinaux se rendent aux forums dès 9h, les lève tard se dirigent vers le Beach & friends qui propose une sélection des meilleurs Djs à partir de 14h, histoire de déjeuner sous le soleil et avec de la bonne musique dans les oreilles, les mélomanes puristes attendront 17h pour découvrir les premiers concerts intimistes alors que dans les rues, la musique résonne de partout. Les concerts commencent à 20h et s'enchaînent, les nuits de Dar Souiri viennent compléter la transe dans laquelle se trouve le festivalier après les moments forts des spectacles et avant que plusieurs endroits branchés ne proposent des soirées «after» pour rester dans l'ambiance de la fête. C'est comme cela que s'est clôturée cette 16e édition du festival. Lundi, les rues étaient presque vides, les derniers touristes, pas encore prêts à partir, profitaient du calme des rues dérangées par le bruit des valises de ceux qui avaient le courage de partir puis le calme est revenu à Essaouira, après une tempête musicale, tandis que la ville en redemande déjà et pense à l'année prochaine...