Les opérateurs de tabac se livrent une véritable guerre de tranchées. Principal front de la bataille : l'entrée de gamme des blondes, soit des paquets à moins de 20 DH. Depuis que la barrière du prix minimal appliqué aux nouvelles marques (27 DH) a sauté, les sociétés de tabac jouent des coudes pour placer le maximum de produits sur ce segment. Un segment où l'opérateur historique, la Société marocaine des tabacs (ex-Imperial tobacco) tient le haut du pavé avec pas moins de 82% des parts de marché. À elle seule, sa marque phare (Marquise) représente près de 78% du marché. La donne risque de changer très prochainement. La Commission d'homologation du tabac vient en effet d'autoriser la commercialisation de quatre nouvelles marques de cigarettes (Bond Street, Mustang, Golden Gate et Rothmans), vendues entre 19 et 20 dirhams. Le grand gagnant de cette nouvelle vague de produits mis sur le marché n'est autre que British american tobacco (BAT). En obtenant l'admission de son nouveau produit, les Rothmans avec ses quatre références (Rothmans FF, LT, SC et SCL), BAT se met ainsi en ordre de bataille face à l'opérateur historique et à sa marque légendaire Marquise, vendue 19 DH. L'autre outsider, Japan tobacco international (JTI), avait obtenu lui aussi le feu vert de la commission d'homologation en mars dernier pour introduire un produit dans la même gamme, Monte Carlos, commercialisé à 20 DH. Devant cette attaque frontale, l'ex-régie du Tabac ne reste pas les bras croisés. La Société marocaine des tabacs a obtenu à son tour le sésame pour placer deux nouvelles marques à 19 DH le paquet (Mustang et Golden Gate). C'est dire si tout le monde s'y met pour assurer une forte présence sur segment, le plus rémunérateur du marché, et cela ne se fait pas toujours dans les règles de l'art. Un jeu (pas) très clair ! La dernière commission d'homologation ne s'est pas tenue dans des conditions normales. Trois des quatre opérateurs du marché, en l'occurrence la Société marocaine des tabacs (ex-Imperial tobacco), Japan tobacco international (JTI), BAT et Philip Morris (qui opère à travers la SMT) ont été pris au dépourvu pour assister à la réunion. «Nous avons été contactés par téléphone à la dernière minute, sachant que la Commission n'a pas à se réunir à ce moment», indique-t-on auprès d'un des opérateurs. En effet, selon le décret d'application de la loi 138-12 publié dans le Bulletin officiel du 7 février 2013, deux dates sont fixées pour les sessions: la première début janvier, et la seconde début juin. Pour 2013, la réglementation prévoit deux sessions, en mars et septembre, mais pas en mai. De plus, les opérateurs disposent d'un délai minimum de deux mois pour déposer leur demande d'homologation. Ce délai permet à la commission d'examiner les dossiers dans de bonnes conditions avant de les homologuer par arrêté. Cette disposition est donc passée à la trappe. En vérité, la session «extraordinaire» a constitué une nouvelle chance pour les marques de cigarettes recalées en mars dernier, en particulier British american tobacco qui n'avait pas réussi à valider Rothmans. Les marques de BAT et de SMT, qui ont obtenu le visa de la commission pendant la session extraordinaire de mai, avaient en effet déjà essuyé un refus catégorique au mois de mars. Qu'est-ce qui a changé alors ? Selon une source proche du dossier, «la commission ne sait pas où donner de la tête, et les règles sur lesquelles se basent ses membres pour octroyer le visa restent très opaques. Pour preuve, BAT avait proposé les Rothmans à 19 DH lors de la session de mars et elles ont, pour un dirham de différence, été admises». Mieux (ou pis) encore, la marque introduite par BAT serait de gamme premium dans d'autres marchés alors que la commission l'a acceptée comme une marque populaire. «Pour faire passer une marque en dessous de la barre des 20 DH, il faut que la société présente un benchmark avec 10 marchés où le produit est commercialisé sous le segment populaire, chose que BAT n'a pas été capable de présenter puisque les Rothmans sont commercialisées en tant que produit premium», poursuit notre source. De plus, les marques de la SMT ne répondraient pas non plus aux conditions légales pour décrocher le sésame. En clair, «la commission n'a pas voulu faire de jaloux. Face aux pressions de BAT, elle a admis les Rothmans tout en concédant, en contrepartie, une autorisation pour deux marques de l'opérateur historique», conclut notre source. La décision plaide pour plus de concurrence, car la libéralisation totale du marché du tabac semble être un long processus. Attaqué de toutes parts ! Dans un marché qui génère pas moins de 15 MMDH de chiffre d'affaires avec des perspectives de croissance intéressantes, entre 3 et 6% selon une étude réalisé par Exane BNP Paribas, la bataille était prévisible. Depuis la libéralisation totale du marché en janvier 2011, les signes avant-coureurs de cette bataille ont commencé à se profiler à l'horizon. Aussitôt, les poids lourds de l'industrie mondiale du tabac ont commencé à se bousculer au portillon. Japan tobacco Inc (JTI) et British american tobacco (BAT) ont en effet obtenu l'autorisation de distribuer leurs produits au Maroc. Ces deux groupes ont décidé de faire chacun cavalier seul en important et en commercialisant leurs propres marques, notamment les Winston, Camel et Benson & Hedges, pour le premier, et Pall Mall, Dunhill et Kent, pour le second. Néanmoins, il restait une contrainte de taille qui faussait le jeu: le prix minimal appliqué aux nouvelles marques de cigarettes introduites sur le marché. Fixé à 27,15 DH, ce prix minimum assurait à l'ex-Régie des tabacs un monopole de fait sur 82% des volumes du marché estimé. Après moultes tractations et autres lobbyings auprès du gouvernement, les nouveaux opérateurs ont obtenu gain de cause. Depuis le 1er janvier dernier, cette barrière a en effet sauté, ouvrant la voie à une «vraie» concurrence. Le prix de vente des cigarettes est en effet depuis librement déterminé par les fabricants ou les distributeurs en gros. L'opérateur historique se trouve ainsi pour la première fois devant la réalité du marché. Un malheur n'arrivant jamais seul, les choses ne s'arrêtent pas là pour la Société marocaine des tabacs. Cette dernière a en effet été obligée d'augmenter les prix de ses produits depuis mars dernier. Cette réforme «inéluctable» des tarifs survient après un (nouveau) chamboulement du cadre fiscal. Conformément à la loi de Finances 2013, le tabac manufacturé est depuis le 1er janvier soumis à une nouvelle fiscalité. Il est désormais soumis à une imposition mixte, incluant une taxe interne sur la consommation (TIC) ad valorem basée sur le prix, en plus d'une TIC spécifique. Cette nouvelle imposition a porté la pression fiscale minimale de la TIC à 53,6% sur ce produit. Ceci n'est pas sans conséquence: quelques 7 marques de cigarettes parmi les plus populaires au Maroc sont concernées par des hausses allant de 0,5 à 3 DH. Le coup le plus dur a touché la Marquise, marque populaire préférée de quelques 4 millions de fumeurs. Ces derniers sont les premiers à être touchés par les augmentations des tarifs opérées par la Société marocaine des tabacs. Le prix du paquet est passé de 17,5 à 19 DH. Au vu de l'offensive des nouveaux opérateurs, les «consommateurs» troqueront-ils le fameux paquet vert pour d'autres marques ? Barrières insurmontables ! Si la libéralisation du secteur a été décrétée en janvier 2011, ouvrant la porte à de nouveaux entrants, la partie est loin d'être gagnée d'avance sur le terrain car le système du prix minimum n'était pas le seul dispositif protégeant le monopole d'Imperial tobacco. Les conditions d'accès au marché, notamment le cahier des charges, contiennent des conditions susceptibles de dissuader les plus téméraires : 10 contrats par préfecture, 840 débitants, 16 entrepôts régionaux sont autant de barrières à l'entrée de nouveaux opérateurs. Or les prétendants ne manquent pas. Plusieurs entreprises avaient tenté de franchir le pas pour s'implanter au Maroc. En vain. Le dernier en date n'est autre que Comet, deuxième opérateur espagnol, à travers sa filiale Tayara warakiya. C'est la raison pour laquelle le Conseil de la concurrence recommande l'assouplissement des conditions d'accès au marché. L'objectif étant de permettre aux nouveaux entrants de s'implanter progressivement sur le marché en fonction des segments de cigarettes dans lesquels ils souhaitent investir et de leurs moyens financiers, humains et logistiques.