Examiné en conseil de gouvernement le 7 novembre 2013, le projet de loi relatif à la violence contre les femmes a, depuis, disparu de la circulation. C'est une commission présidée par le chef du gouvernement qui le reprend en ce mois de décembre 2014 pour l'amender. Les ONG des droits de la femme rappellent au ministère leurs revendications. Elles veulent une loi qui soit conforme aux standards internationaux en la matière. Le fameux projet de loi (103-13) relatif à la lutte contre la violence à l'égard des femmes, examiné il y a plus d'une année en conseil de gouvernement (le 7 novembre 2013), et disparu depuis de la circulation, refait soudainement surface. Jeudi 11 décembre dernier, il a été soumis à l'examen d'une commission ministérielle sous la présidence du chef du gouvernement, commission créée spécialement pour revoir le projet et y introduire quelques modifications. C'est l'un des projets de loi qui a connu plus de débats et de controverses dans la vie de ce gouvernement. Il faut dire que l'enjeu est de taille et le sujet est très sensible : comment réussir à confectionner une loi qui prévient, qui protège, qui pénalise et qui répare, selon les standards internationaux, toute violence physique et psychologique infligée à une femme, dans un pays qui reste foncièrement conservateur et patriarcal à l'égard de la gent féminine, qui plus est gouverné par une équipe dominée par des islamistes ? L'équation semble en effet difficile à résoudre. Déjà, certaines sources parlent, vu les résistances de courants conservateurs au sein du PJD, d'un sectionnement de ce projet de loi en deux parties qui seront différemment traitées, pour satisfaire tout le monde: garder ce qui est consensuel dans le texte et en écarter les points qui dérangent. Que dit ce projet de loi ? Qu'en pensent les ONG de défense des droits de la femme ? Quelles sont les points les plus litigieux qui ont poussé le gouvernement à le mettre au placard depuis plus d'une année, et à le ressortir pour y introduire des modifications ? Ces chiffres d'abord sur la violence à l'égard des femmes, devenue depuis quelques années un souci mondial. «L'un des enjeux les plus préoccupants de notre époque», avait souligné le Secrétaire général de l'ONU dans un rapport sur le sujet qui date de 2006. Et ce rapport de révéler qu'une femme sur deux est victime de violences infligées par son compagnon, et une sur cinq d'agression ou de menace d'agression sexuelle. Au Maroc, l'enquête de prévalence des violences à l'encontre des femmes âgées de 18 à 64 ans, menée en 2009 par le Haut commissariat au plan (HCP), nous donne une idée de l'ampleur du phénomène. Près de 6 millions de Marocaines ont subi à un moment ou à un autre de leur vie un acte de violence, notamment psychologique (4,6 millions de femmes), physique (3,4 millions de femmes), sexuelle (2,1 millions de femmes), attentatoire à leur liberté (3 millions de femmes) et, enfin, économique (178000 femmes). Du temps de l'ancien gouvernement, un projet de loi sur la violence à l'égard des femmes était déjà en circuit Dès lors, le besoin d'une loi protégeant la femme de la violence devient une nécessité et une obligation dictées par les conventions internationales signées et ratifiées par le Maroc. L'ONU, dans sa résolution 63/155 de 2008 (venue dans le cadre d'une campagne internationale pour éliminer la violence à l'égard des femmes), demande aux Etats de «mettre fin à l'impunité des auteurs d'actes de violence à l'égard des femmes». Et de mettre en place une «stratégie nationale et un plan d'action», d'abolir toutes les dispositions discriminatoires dans leur législation interne et de pénaliser tous types et actes de violence à l'égard des femmes. Déjà en 2011, du temps de Nouzha Skalli, ministre du développement social, de la famille et de la solidarité, un projet de loi sur la violence à l'égard des femmes était dans le circuit d'adoption mais il n'a pas pu voir le jour. L'héritière de ce département, Bassima Hakkaoui, en partenariat avec le ministère de la justice et des libertés, le reprend alors à son compte, mais pour donner corps à un tout nouveau projet de loi. Lequel n'a pas échappé aux foudres du mouvement féministe marocain. Les 25 ONG rassemblées au sein du Collectif «Printemps de la dignité» présentent alors un mémorandum au chef du gouvernement où elles étalent leurs observations à l'égard de ce projet, ses points de force et de faiblesse. Le 5 novembre dernier, le collectif tient une conférence de presse pour rappeler ses revendications. Composé de quatre chapitres et de 18 articles, ce projet de loi cite dans un premier lieu, en guise de préambule, le référentiel et la définition des violences à l'égard des femmes tels que consacrés par le droit international en la matière. Il s'agit notamment de quatre types de violence: physique, sexuelle, psychologique et économique. Mais il s'agit là moins d'un préambule que d'une «lettre d'accompagnement», reproche le mouvement féministe. Le fond du projet décliné en dispositions «est loin de traduire la philosophie du référentiel international». En somme, le projet de Bassima Hakkaoui propose la création d'instruments de prise en charge des femmes victimes d'actes de violence, et de mécanismes de coordination (cellules et comités) entre tous les intervenants en matière de lutte contre la violence à l'égard des femmes (Sûreté nationale, Gendarmerie royale, ministères de la justice, de la jeunesse, de la femme…). Ces cellules et comités auront pour mission d'informer les victimes, immédiatement après tout acte de violence, des lois les protégeant. Il crée aussi une «commission nationale et des commissions régionales chargées des questions de la femme et de l'enfant». Le projet prévoit en outre la criminalisation d'un certain nombre d'actes de violence, dont le harcèlement sexuel dans les lieux publics (la peine peut aller jusqu'à deux ans de prison, et la peine est double si l'agresseur est un collègue dans le travail). Sont criminalisés aussi le mariage forcé, la violation de l'intégrité physique de la femme (via des enregistrements audiovisuels), et les dépenses abusives et de mauvaise foi des fonds de la famille. Le projet criminalise également certains actes qui ne l'étaient pas dans le code pénal, comme le vol entre époux. Quant à l'abus de confiance et à l'escroquerie entre époux, l'affaire n'est portée devant la justice que lorsque la partie ayant subi le préjudice porte plainte. Le projet donne droit aussi aux ONG d'utilité publique ayant été constituées depuis 4 ans de se constituer partie civile dans les affaires de violence à l'égard des femmes. L'un des points les plus controversés et qui a fait l'objet d'une vive polémique entre le ministère de Mme Hakkaoui et les associations de défense des droits de la femme est relatif au viol conjugal, que le projet de loi ne le criminalise pas. Le collectif «Printemps de la dignité», sur ce point, voit les choses autrement. Pour lui, le viol conjugal est une contrainte physique et psychologique exercée par le mari contre sa femme pour l'obliger à avoir une relation sexuelle, il est donc une violence infligée aux femmes comme toutes les autres violences et devrait être criminalisé par la loi. Il serait «pire que le viol tout court commis en dehors du lien du mariage», précise Fouzia Assouli, présidente de la Fédération de la ligue démocratique des droits de la femme. Car, pour elle, le premier, contrairement au second, «est fondé en principe sur la confiance, l'amour et le respect. Quand il y a violence dans une relation sexuelle entre époux, toutes ces valeurs qui fondent la famille et l'éducation des enfants s'écroulent». Pour le collectif féministe, la question du viol n'est pas la seule à alimenter ses critiques. Le projet de loi, dans son ensemble, ne répond tout simplement pas aux normes et standards internationaux en vigueur. Comme il n'adopte pas la définition et les recommandations internationales en matière de lutte contre les violences fondées sur le genre. «Il ne répond pas aux dispositions constitutionnelles, ni aux engagements du Maroc en matière de droits des femmes et de lutte contre la violence fondée sur le genre, dans ses dimensions de prévention, de protection, de répression et de prise en charge», estime Samira Bikarden, présidente de l'Association démocratique des femmes du Maroc, bureau de Rabat. Il y a même confusion des genres quand le projet intègre dans le même texte la femme et l'enfant, or c'est un amalgame «qui sème la confusion»: la violence à l'égard de la femme est une chose, celle exercée à l'égard d'un enfant en est une autre. Ce collectif défend l'idée que la question de la violence à l'égard de la femme doit être comprise et traitée comme une discrimination en raison du sexe. En conclusion de son mémorandum, le collectif reconnaît qu'il y a bien dans le projet de Mme Hakkaoui quelques indicateurs positifs, notamment la définition de la violence «qui aboutit in fine à en criminaliser certaines formes». Il n'en demeure pas moins, pour lui, qu'«il n'est fait aucun cas dans le texte d'un traitement en profondeur et global du phénomène de la violence à l'encontre des femmes ; qu'il est dépourvu d'un référentiel cohérent et clair, ce qui porte atteinte à sa cohésion, faisant ressurgir des paradoxes évidents dus à l'absence de l'adoption d'une approche genre, fondée sur les droits humains fondamentaux des femmes et la lutte contre toute forme de discrimination». Le projet de loi a pris du retard, une dizaine d'années et non pas seulement une année, selon Mme Hakkaoui Le collectif des 25 ONG de défense des droits de la femme accuse la ministre de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social de ne pas l'associer à l'élaboration de son projet. Accusation rejetée par la ministre qui se défend: «Le projet a pris en compte tous les avis et les mémorandums des différents acteurs institutionnels et associatifs, des centres d'écoute et d'accueil des femmes victimes de violence, et particulièrement les propositions faites par quatre réseaux d'associations féminines parmi eux le Réseau du printemps de la dignité». Elle reconnaît que ce projet a pris beaucoup de retard, non pas une année, mais «une dizaine d'années à travers les différents gouvernements qui se sont succédé. Quand j'ai pris la relève, il était le premier dossier sur lequel j'ai accentué mes efforts» pour qu'il soit examiné pour la première fois en conseil de gouvernement. Quels sont les points sur lesquels la commission présidée par le chef du gouvernement compte introduire des modifications? Mme Hakkaoui n'a pas voulu répondre à cette question. Il faut dire que la question de la femme a été au devant de la scène et a occupé le terrain depuis une quinzaine d'années, et le code de la famille adopté en 2004 (sans parler des lois ultérieures, dont la dernière en date est celle abrogeant l'article 475 permettant au violeur d'épouser sa victime) a été un coup dur pour les conservateurs. Une loi de plus (outre le dispositif pénal déjà existant), pour mieux protéger les femmes contre la violence, ne peut être expédiée comme une lettre à la poste. Mais pour le collectif des ONG des droits de la femme, il n'est pas question de faire marche arrière par rapport aux acquis enregistrés par le Maroc en la matière: les conventions internationales signées et ratifiées par le Maroc, la Constitution de 2011 qui a même créé une autorité pour la parité et la lutte contre toute forme de discrimination. Sans oublier l'avis émis sur la question par le Conseil national des droits de l'homme, qui consacre tout un chapitre sur le travail de prévention devant être fait en amont pour combattre les préjugés à l'égard de la femme (voir encadré).