Les Istiqlaliens se donnent trois mois pour tenir leur XVIe congrès et désigner un nouveau dirigeant, mais pas seulement. Le parti doit renouveler son idéologie, adapter son organisation à la régionalisation et moderniser son fonctionnement. L'année 2012 sera bien particulière pour l'Istiqlal, doyen des partis marocains. La formation de la Balance tiendra, en effet, un congrès extraordinaire avant fin avril, au cours duquel un nouveau leader devrait être élu et une nouvelle organisation adoptée. Dès le 4 février prochain, les démarches seront entamées pour tenir ce 16e rendez-vous des héritiers de Allal El Fassi. Son conseil national se réunira pour élire un comité préparatoire qui, lui, sera chargé de mettre en place des commissions appelées à plancher sur plusieurs plateformes (organisationnelle, politique, économique, sociale et culturelle) à proposer pour débat et adoption au congrès. L'Istiqlal, classé 2e lors des législatives de 2011 et parti influent, avait-il besoin de ce virage ? Tout s'est joué en fait le jeudi 12 janvier à une heure très avancée de la soirée, au terme d'une tentative marathonienne et ardue de réconciliation entre Abbas El Fassi, le secrétaire général sortant, et ses détracteurs, principalement des membres du comité exécutif et des parlementaires du parti. Ce soir-là, la totalité des membres du comité exécutif ont décidé, à l'unanimité, de mettre fin à une crise qui a failli coûter cher au parti et pas seulement. Ses péripéties étaient suivies avec inquiétude par Abdelilah Benkirane, le nouveau chef de l'Exécutif en raison d'une menace de plusieurs dizaines de députés du parti de voter contre la déclaration gouvernementale en signe de protestation. Motif de leur mécontentement : des ministrables proposés par des clans influents n'ont pas été retenus dans la composition de l'Exécutif. Mais au-delà de ce différend, qui n'a finalement été qu'une excuse pour clore les douze années de mandat de Abbas El Fassi à la tête du parti, l'Istiqlal avait besoin d'une sortie de l'impasse organisationnelle que suppose la fin de l'autre mandat de Abbas El Fassi, celui de Premier ministre. Il faut rappeler, en ce sens, que son maintien à la tête du parti était conditionné par sa qualité de Premier ministre -ce que La Vie éco avait, à l'époque, qualifié d'erreur d'appréciation de la part du parti (www.lavieeco.com). C'est sans doute pour cela que, affirme un député membre du comité exécutif, «au lendemain de la nomination du nouveau chef de gouvernement, il nous a fait part de son intention de se retirer». Se retirer, certes, mais après une dernière mission, celle de négocier une participation avantageuse pour l'Istiqlal au gouvernement. Mission qu'il n'a manifestement pas accomplie, aux yeux d'une partie des militants qui l'ont mandaté pour ce faire. Un mauvais usage du blanc-seing Une source au comité exécutif résume la situation en quelques mots : «Le secrétaire général a fait un mauvais usage du mandat qui lui a été accordé par le comité exécutif, le conseil national et les 60 élus du parti». Ce qui a irrité ces derniers, au-delà des déceptions de la ministrabilité, c'est que le parti n'a hérité d'aucun ministère dont ses membres pourraient profiter pour accroître leur popularité et leur chance de se faire réélire. «Nous nous sommes vu accorder un poste aux Affaires étrangères et le ministère chargé des MRE, sans aucune valeur ajoutée en termes de proximité avec les citoyens, deux ministères clés, certes, à savoir les Finances, et l'Energie et les mines, mais qui ne rapportent rien non plus, un petit ministère (l'Artisanat) et un ministère source de tous les problèmes pour nos élus (l'Education nationale). Dans ce derniers cas, les députés seront incapables de faire aboutir les doléances que nos électeurs ne manqueront pas de nous soumettre (les demandes de mutation, les promotions ou tout autre sorte d'intercessions)», explique, sous couvert d'anonymat, ce membre du comité exécutif. Autre déception, l'équipe proposée compte deux proches du secrétaire général (Nizar Baraka et Mohamed El Ouafa), un seul député (Abdessamad Qayouh) et seulement deux membres du comité exécutif (Abdessamad Qayouh et Nizar Baraka). Bref, commente notre source, «il est clair qu'il a privilégié les proches et les amis». La suite est connue. On a commencé à parler, entre autres, d'une pétition pour révoquer le secrétaire général, une autre pour le maintenir en poste jusqu'au prochain congrès, initialement prévu pour janvier 2013. Un comité restreint s'est finalement constitué pour mettre fin à ces tiraillements. Son initiative s'est soldée par deux propositions : la tenue d'un conseil national qui nommerait un secrétaire général par intérim en attendant 2013 ou le maintien de Abbas El Fassi jusqu'à la tenue d'un congrès extraordinaire. Cette deuxième option, qui plus est répond parfaitement à la devise «ni vainqueur, ni vaincu», si chère au parti, a été retenue. Abbas El Fassi quitte son poste la tête haute, avec les honneurs dus à un secrétaire général, et le parti profite de l'occasion pour renouveler complètement ses structures, de la base au sommet. La crise n'aura été qu'un catalyseur… El Fassi s'en sortira-il pour autant quitte ? Ce n'est pas gagné d'avance, à en croire le secrétaire général de la jeunesse et membre du comité exécutif, Abdelkader El Kihel, dont le nom figurait sur la première liste des ministrables, faut-il rappeler. Pour lui, «le congrès sera forcément une occasion pour revenir sur l'expérience gouvernementale et les dernières élections. Cela nécessitera un débat franc et profond». Ce qui revient, certainement, à mettre à nu les douze années passées par Abbas El Fassi à la tête du parti. Une fois ce bilan fait, les Istiqlaliens devront passer aux choses sérieuses. Il feront face à deux enjeux majeurs : désigner un nouveau secrétaire général et revoir l'ensemble des structures et institutions, mais aussi les orientations du parti en vue de leur adaptation au contexte de l'après-nouvelle Constitution. Pour le premier défi, ils doivent d'abord répondre à une question fondamentale : Comment choisir le futur secrétaire général ? «C'est, somme toute, chose aisée, confie Noureddine Moudiane, membre du comité exécutif et nouveau chef du groupe parlementaire du parti. Si nous arrivons à un consensus sur l'identité du futur secrétaire général, tant mieux. Sinon, nous allons passer au vote». Seulement, il semble que ce n'est pas aussi facile. Il faut d'abord décider, confie un de ses collègues du comité exécutif, si le futur patron du parti sera issu de la famille de Allal El Fassi, et dans ce cas il y aura au moins trois candidats (Abdelwahed El Fassi, Mohamed El Ouafa et Nizar Baraka), si la dualité Fès-Marrakech va être prise en compte (deux candidats : Mohamed El Ouafa et M'Hamed El Khalifa) ou encore, pour s'inscrire pleinement dans l'ère du temps, si chaque région va présenter son propre candidat. Dans ce dernier cas, entre Fès, Meknès, Oujda, Tanger-Tétouan, Casablanca, le Souss et le Sahara, ce ne sont pas les prétendants qui manquent. Ainsi on peut avoir Nizar Baraka, Abdellah Bakkali et Saâd El Alami pour Tanger-Tétouan, Toufiq Hejira pour l'Oriental, Yasmina Badou et Mohamed El Ansari pour Meknès, Hamid Chabat et certainement d'autres candidats pour Fès, Karim Ghellab pour Casablanca et la liste n'est pas exhaustive. Cela à moins que le comité de la présidence ne décide de couper court à ce débat en «suggérant» un nom pour le poste. Nouvelles structures, nouvelles têtes, nouvelle idéologie Une fois cette question résolue, les Istiqlaliens devront se prêter à un exercice inédit : «Changer le management (les hommes) et le style de management ainsi que l'organisation et les institutions», pour reprendre les termes d'un membre du comité exécutif pur produit du parti. «Nous devons entamer une révolution interne», tranche-t-il. L'Istiqlal est certes connu pour son organisation très performante qui date de sa création, en 1934, et qui a toujours porté ses fruits. Mais, «cela ne peut pas continuer indéfiniment», affirme notre source. «Le parti doit rénover ses outils et ses méthodes de travail, il doit mettre en place des procédures qui lui permettront, sinon d'éviter, du moins de faire face aux crises du genre de celle dont il vient de sortir», confirme Abdelkader El Kihel. Même son de cloche chez le président du groupe parlementaire, Noureddine Moudiane : «Le renouvellement des élites, des outils de travail, et des volets politique et démocratique s'impose de lui-même». De même, du point de vue électoral, la machine Istiqlal reste toujours aussi performante, mais le parti ne progresse pas. Il était deuxième en 2002 (50 sièges sur 325, soit 15,38%), premier en 2007, avec presque les mêmes chiffres (52 sièges, soit 16%) et deuxième en 2011 malgré qu'il soit le seul parti à avoir couvert la totalité des 92 circonscriptions, avec 60 sièges sur 395, soit 15,18%. Côté idéologie, c'est presque le même constat. Depuis Allal El Fassi, la littérature du parti n'a été révisée qu'une seule fois, durant les années 80 avec Abdelkrim Ghellab, aujourd'hui membre du conseil de la présidence. Ce qui fait dire à un autre membre du comité exécutif qu'il y a «un effort considérable à faire à ce niveau». Seul hic, les idéologues se font rares, même au sein d'un parti qui va sur ses 80 ans d'existence. «Il n'est pas nécessaire que ce soit des personnes physiques, le parti peut tout aussi bien mettre en place une institution dont la mission sera de revoir le référentiel idéologique», affirme la même source. En définitive, cela revient à faire d'une pierre plusieurs coups. Sans le vouloir, Abbas El Fassi vient de donner l'occasion tant espérée au parti de changer son top management, son management, de rénover sa ligne idéologique et se conformer à la nouvelle loi organique des partis politiques, votée le 12 octobre 2011. Et cela, et c'est le plus important, sans que le parti n'ait à souffrir d'une quelconque rupture. Ce qui n'étonne pas chez un parti qui n'a connu qu'une seule vraie scission… en 1959. C'est pour dire que la recette qui a toujours été sienne (débat, concertation, discrétion, respect et discipline) continue à faire des miracles.