Le ministère de l'économie et des finances, pour des raisons de transparence, calcule deux soldes budgétaires. La différence entre les deux représente, pour 2019, la coquette somme de 5,34 milliards de DH, soit la moitié du produit des privatisations. A quel solde se référer, lequel des deux rend mieux compte de la situation des finances publiques ? Le déficit budgétaire du Maroc en 2019 ne s'est pas amélioré, comme cela était attendu, il se situe au même niveau qu'en 2018. On peut même dire qu'en valeur absolue, il s'est légèrement dégradé, car le PIB de 2019 est évidemment un peu plus élevé que celui de l'exercice précédent. Evolution du solde budgétaire hors privatisation et avec privatisation Mais de combien est-il ce déficit budgétaire ? 3,7% du PIB, comme en 2018, ou 4,2% ? Les deux, pardi ! Le ministère des finances, sans doute pour des raisons de transparence, calcule en effet deux soldes budgétaires. Le premier intègre le produit des privatisations, le second n'en tient pas compte. En 2019, justement, la différence entre les deux représente la coquette somme de 5,34 milliards de DH, soit la moitié du montant de la cession des actifs publics, principalement une part du capital de Maroc Telecom. Ainsi, en ne tenant pas compte des 5,34 milliards de DH de privatisation, le solde budgétaire, au lieu d'être déficitaire de 41,7 milliards de DH (ou 3,7% du PIB), accuse un déficit de 47 milliards de DH, soit 4,2% du PIB. A quel chiffre faut-il se référer à propos du déficit budgétaire ? Lequel de ces deux rend mieux compte de la situation des finances publiques, ou plus exactement des finances de l'Etat dans le cas d'espèce ? Déjà, le fait que le ministère des finances calcule deux soldes budgétaires signifie clairement qu'il ne tient pas pour de "vraies" recettes budgétaires les produits issus des privatisations. Ces produits sont des recettes exceptionnelles, il faut donc les traiter comme telles, c'est-à-dire en les distinguant du reste des recettes. Pour opérer ce distinguo, le ministère des finances se base sur...une doctrine selon laquelle lorsque la cession porte sur des actifs non financiers, c'est-à-dire des actifs immobiliers, le produit issu de cette cession est considéré comme une recette budgétaire, au même titre que les recettes fiscales et non fiscales. Par contre, s'il s'agit de la vente d'actifs financiers, ce qui est le cas de la cession de 8% du capital de Maroc Telecom en 2019, le produit de cette vente est considéré comme une ressource de financement et non pas comme une recette budgétaire à proprement parler. Mais quoi qu'il en soit, retenons quand même que depuis une vingtaine d'années déjà, les recettes de privatisations ne sont plus affectées en totalité au Budget de l'Etat, puisque la moitié de ces recettes alimente le Fonds Hassan II pour le développement économique et social. Entre 2001 et 2018, Maroc Telecom a versé au Trésor une moyenne de 2 milliards de DH de dividendes par an A cette première action, qui avait pour objectif de ne pas céder à la facilité consistant à vendre les "bijoux de famille" pour atténuer le déséquilibre des finances de l'Etat, c'est-à-dire, prosaïquement, à mettre la poussière sous le tapis, s'ajoute donc la pratique du calcul de deux soldes budgétaires, l'un avec et l'autre sans privatisations. Il faut dire cependant que les gouvernements, y compris et surtout dans les pays industrialisés, n'hésitent guère à recourir aux privatisations pour améliorer les comptes publics. En particulier pour réduire l'endettement dont le niveau, dans certains cas, dépasse les 100% du PIB. C'est le cas de l'Italie, par exemple, dont le taux d'endettement était de 133% en 2018. Rome avait d'ailleurs promis de privatiser massivement en 2019 pour réduire un tant soit peu son niveau d'endettement. La France, également, n'a pas fait mystère de sa volonté de relancer les privatisations pour atténuer son taux d'endettement qui, à plus de 2 400 milliards d'euros au troisième trimestre 2019, pesait 100% du PIB. Pour de nombreux économistes, cependant, les privatisations ne présentent pas toujours un intérêt évident pour l'Etat. En gros, estiment-ils, pour qu'une privatisation soit financièrement intéressante pour l'Etat, encore faut-il «que le prix de cession soit supérieur à la somme actualisée des dividendes escomptables». Cela revient à se demander, dans le cas du Maroc, si les 9 milliards de DH rapportés par la vente de 8% de Maroc Telecom représentent un montant supérieur à la somme des dividendes, actualisés sur une durée infinie, auxquels le Trésor a renoncé du fait de cette privatisation. Il faut rappeler à cet égard qu'entre 2001 et 2018, Maroc Telecom a versé quelque 37 milliards de DH de dividende au Trésor, soit environ 2 milliards de DH par an. A ce rythme, cinq ans de versement de dividendes rapporteraient à l'Etat plus que le montant de la cession des 8% du capital. A ceci près que, d'une part, l'Etat ne s'est pas complètement désengagé du capital de l'opérateur historique des télécoms, puisqu'il conserve encore 22% du tour de table de l'entreprise, et, d'autre part, rien ne dit qu'avec la montée de la concurrence, Maroc Telecom maintiendrait, à terme, les mêmes performances que celles qu'il réalise aujourd'hui. Et enfin, dans la mesure où la moitié de la recette de privatisation est affectée au Fonds Hassan II, il est possible de considérer qu'en fin de compte la cession d'actifs publics, au moins en partie, sert à prendre des participations dans des entreprises publiques ou privées ou de financer des projets d'investissement. Autrement dit, rien n'est perdu. Reste l'autre moitié versée au Budget : là, il est difficile de dire à quoi a servi cette recette, car le Budget obéit au principe de l'universalité, c'est-à-dire au principe de non-affectation des recettes. Les déficits posent le problème du niveau optimal des recettes et des dépenses mais aussi de la croissance Cela étant, les inquiétudes qui naissent, un peu partout, des déficits budgétaires et, par suite, de l'accroissement de la dette, soulèvent à l'évidence le problème du niveau optimal des recettes et des dépenses, mais également celui du rythme d'augmentation de la richesse nationale, c'est-à-dire, en l'occurrence, du dénominateur auquel, à tort ou à raison, est rapporté le solde budgétaire. Dans le cas du Maroc, clairement, le rythme de la croissance économique, depuis quelques années, est faible. Et s'il fallait, dans ce contexte, sacrifier aux règles budgétaires en vigueur en Europe ou recommandées par les institutions financières internationales, il faudrait couper drastiquement dans les dépenses, ce qui, au-delà d'une certaine limite, pose toujours des arbitrages douloureux. Mais la difficulté, aujourd'hui, est que la croissance, un peu partout, ramollit. Le Maroc, par exemple, a réalisé 2,3% de hausse de son PIB en 2019, soit l'une des plus faibles des vingt dernières années. Et pour 2020, malgré des prévisions relativement optimistes annoncées au tout début de l'année (une croissance de 3,5% selon le HCP, ce qui reste quand même assez modeste), la situation semble évoluer différemment, avec le retard des pluies accusé jusqu'ici, d'une part, et l'apparition du Coronavirus, d'autre part. Face à cette épidémie du Coronavirus, en particulier, des inquiétudes se font jour ici et là quant à son impact sur la croissance chinoise et, partant, sur la croissance mondiale. Le FMI a déjà révisé sa prévision de croissance pour la Chine, la réduisant de 0,4 point à 5,6% par rapport à la prévision d'il y a un mois. Il se trouve que beaucoup de pays sont dépendants du marché chinois à la fois en termes d'exportations que d'importations. Pour ne parler que de l'Afrique, les pays de ce continent exportent plus de 80% de leurs matières premières vers la Chine. C'est pourquoi, d'ailleurs, la directrice générale du FMI, la Bulgare Kristalina Georgieva, tout en maintenant, pour l'instant, la prévision de croissance mondiale à 3,3%, vient de déclarer que celle-ci pourrait néanmoins chuter de 0,1 à 0,2 point. Le ministre français de l'économie, pour sa part, a déclaré lundi 2 mars s'attendre à un impact du Coronavirus sur la croissance «beaucoup plus significatif» qu'il ne croyait. L'OCDE est encore plus claire sur cette question : «La croissance française pourrait passer sous la barre de 1% en 2020 à 0,9%», soit 0,3 point de moins que sa prévision annoncée en fin d'année 2019. Plus clairement, si, comme on le craint, la croissance recule chez les partenaires du Maroc, celui-ci verrait la demande étrangère adressée à son économie diminuer d'autant. Le problème est que cela vient (viendrait?) après une année 2019 où la croissance mondiale est tombée à 2,9%, son plus faible niveau depuis la crise financière de 2008.