Larbi Belkheïr ambassadeur d'Algérie à Rabat La nomination de Larbi Belkheïr en tant qu'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Rabat est très favorablement accueillie. Après une longue traversée du désert, les relations entre le Maroc et l'Algérie pourront-elles enfin changer de nature ? Malgré les déceptions et les méfiances cumulées, la voie du réalisme pourra-t-elle enfin prévaloir ? La nouvelle était annoncée depuis quelques semaines comme probable. Sa confirmation officielle par un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères le mardi 23 août et par l'intéressé lui-même soulignent le relief qu'on veut lui conférer. La nomination de Larbi Belkheïr, l'un des hommes les plus influents de la hiérarchie politique-militaire algérienne, au poste "d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire" à Rabat a pris assez vite la tournure d'un événement. Notamment, avec la promptitude de son acceptation par la plus haute autorité du Maroc. Larbi Belkheïr qui avait été jusque-là directeur du cabinet du président Abdelaziz Bouteflika et qui a à son actif une longue carrière d'éminence grise puissante depuis une trentaine d'années environ, se trouve ainsi chargé d'une "mission" dont la nature ne peut a priori être banale. Compte tenu du contexte où cette nomination intervient et du penchant prêté à Belkheïr en faveur d'une normalisation des relations algéro-marocaines, on comprend tout l'intérêt que suscite cet événement. Cependant, la longue suite de hauts et de bas, d'ouvertures et de déconvenues plus ou moins amères qui ont marqué ces relations, sur fond de conflit du Sahara, incite à la prudence. On jugera sur d'éventuels actes concrets l'impact réel de la mission de Belkheïr. Confiance et communication En confirmant qu'il acceptait sa nouvelle nomination, Larbi Belkheïr a rappelé que " Rabat est un poste sensible et qu'on en a conscience de part et d'autre ". Il a indiqué que sa " priorité sera d'établir des relations de confiance avec le Maroc et surtout une véritable communication entre les deux pays". Si les relations entre ces derniers " passent depuis trop longtemps par des hauts et des bas ", il n'en reste pas moins que "le Maroc est notre voisin et il le restera, nous sommes condamnés à nous entendre". La crise de confiance est en effet patente. Elle a été subitement aggravée à la veille du sommet de l'UMA à Tripoli en mai dernier, Alger ayant alors déployé une virulente campagne contre le Maroc à propos du Sahara. Ce qui fut perçu par le roi Mohammed VI comme une volte-face de très mauvais aloi après sa rencontre avec le président Bouteflika à Alger quelques semaines auparavant. On avait alors parlé de "dégel" entre les deux pays et d'un accord en vue d'une normalisation progressive. Rabat avait considéré que cette attitude "anachronique", n'indiquait aucun changement et avait jugé "inopportune" la visite que voulait effectuer le premier ministre algérien à Rabat. La tension n'avait cessé d'être vive alors que les évènements survenus à Laayoune faisaient l'objet de surenchères du Polisario et des diplomates algériens pour mettre en difficulté le Maroc sur le plan international. Les intentions d'Alger étaient devenues plus opaques et plus inquiétantes pour les responsables marocains. On ne savait plus jusqu'où voulait aller le forcing algérien. On se perdait en conjectures : s'agit-il seulement de monter les enchères face à l'inéluctable solution de compromis ou bien avec l'augmentation des recettes pétrolières et l'amélioration de la cote de l'Algérie auprès de Washington sur fond de lutte contre le terrorisme, assiste-t-on à un retour en force des rêves hégémoniques d'Alger au Maghreb? En soulignant la nécessité d'établir " la confiance " et une " meilleure communication " entre les deux pays, Larbi Belkheïr semble, de prime abord, indiquer des points très névralgiques. La "communication" est en effet rendue impraticable par les inconnues que recèle l'attitude d'Alger et qui portent sur les objectifs et les motivations des décideurs au sein du pouvoir algérien. Au moment où, au printemps dernier, on avait espéré qu'un dialogue allait pouvoir s'établir non seulement entre les Etats mais entre les sociétés pour dégager la perspective maghrébine et la réinventer au-delà des mythes et des déceptions passées, le blocage qui s'est à nouveau imposé est venu rappeler les pesanteurs persistantes. Il est vrai que malgré ce contexte pesant, des signes non négligeables ont pu être enregistrés. Il y eut la coopération entre les services de sécurité des deux pays qui ont permis la découverte d'un groupe de candidats jihadistes marocains qui s'apprêtaient à rejoindre les groupes terroristes qui sévissent en Algérie. Le Sahara, nœud gordien Les contraintes du réel s'imposant ici avec force, la nécessité d'une telle coopération s'avère inéluctable et fait fi des manœuvres géo-politiques. D'autres nécessités, évidentes pour les économies et les sociétés des deux pays voisins, restent encore en souffrance et devront être prises en compte tôt ou tard. La réouverture des frontières terrestres, fermées depuis 1994, est attendue avec impatience par les populations des régions limitrophes. Le développement des échanges est de même fortement souhaité par plusieurs secteurs d'activité. Dans l'optique du " dégel " de mars dernier, cette dynamique de la normalisation devait modifier la donne du contentieux entre les deux Etats et donc créer les conditions d'une nouvelle approche de la question du Sahara. C'est en effet cette dernière qui n'a cessé de constituer le nœud gordien et le point de cristallisation des rivalités et des dissonances algéro-marocaines. L'initiative américaine qui a conduit, grâce à la pressante intermédiation du sénateur Richard Lugar, à la libération, le 18 août dernier, des 404 prisonniers marocains à Tindouf a apporté, quoiqu'on en dise, un élément de détente. Cela a montré, en tout cas, qu'Alger et ses protégés du Polisario ne pouvaient continuer à ignorer une exigence à la fois humanitaire et politique ayant reçu l'aval de Washington. Le sénateur Lugar a du reste déclaré que cette libération " ouvrira la porte à des négociations entre le Maroc et l'Algérie dans le cadre de l'ONU ". Malgré les pressions que veulent encore exercer les derniers supporters des séparatistes du Polisario sur le Maroc pour faire prévaloir le plan Baker, il est devenu désormais improbable que celui-ci puisse constituer une base de " règlement politique acceptable pour toutes les parties ". La dernière résolution du conseil de sécurité du 28 avril 2005 ne fit plus référence à ce plan. La mission confiée au nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, le diplomate néerlandais Peter Van Walsum, porte sur "l'aide" à apporter aux parties et Etats de la région pour "sortir de l'impasse actuelle et progresser vers une solution politique, définitive et mutuellement acceptable". En proposant une solution négociable, fondée sur une large autonomie de la région saharienne, le Maroc a apporté un élément nouveau pour élaborer un compromis viable. Toute solution qui viserait à séparer le Sahara du Maroc ne ferait que perpétuer l'impasse ou plonger la région dans l'instabilité et l'insécurité. Qui voudrait en toute conscience rejeter la voie du compromis et vouer toute la région à l'aventure ? Le Maroc veut convaincre du réalisme et du caractère équilibré de sa proposition. Encore faut-il que le même souci de réalisme prévale chez son voisin algérien. Larbi Belkheïr a, bien sûr, indiqué dans sa première déclaration que " le Sahara restera du ressort des Nations Unies, pas du nôtre". Au-delà de la rhétorique officielle, peut-on s'attendre à voir cet impératif du réalisme politique prévaloir davantage ? L'Algérie est aux prises avec les soubresauts d'une évolution intérieure en profondeur, malgré les obstacles et les contradictions rencontrés. Le différend sur le Sahara porte la marque d'une époque. Il faut sur cette question aussi pouvoir assumer les coupures nécessaires pour rendre possible l'évolution vers un autre Maghreb où les nouvelles générations se reconnaîtraient davantage. Larbi Belkheïr qui connaît tous les aspects de ce conflit pourrait jouer un rôle de premier plan pour favoriser cette évolution et la recherche d'un compromis profitable à l'ensemble des populations du Maghreb. Ses qualités célèbres, de fin politique et de conciliateur et ses capacités d'influence ne seront pas de trop pour marquer de son empreinte une mission certes délicate mais non pas impossible. Larbi Belkheïr, homme d'influence Agé de 67 ans, Larbi Belkheïr, né à Frenda, près de Tiaret, fut sous-lieutenant dans l'armée française et pendant la guerre de libération il avait fait partie de l'armée des frontières en Tunisie. Il a occupé, après l'indépendance, plusieurs postes de commandement avant d'être le proche collaborateur du président Chadli Bendjedid en 1978. En 1992, après l'interruption du processus électoral barrant la route au FIS, il a quitté ses fonctions jusqu'en 2000 où il est devenu directeur du cabinet d'Abdelaziz Bouteflika dont il avait parrainé la candidature à la présidence. Grâce à un efficace réseau d'influence et une aura qu'il a toujours préservée dans la hiérarchie politico-militaire, Larbi Belkheïr a acquis une réputation d'homme de compromis et de conciliation entre les différentes composantes du pouvoir. Réputé pour sa discrétion, l'éminence grise du pouvoir algérien a accompagné les soubresauts connus par celui-ci depuis la disparition de Boumediene. Il a été parfois accusé d'avoir trempé dans l'élimination de certains adversaires et d'être " le parrain des généraux " et le dirigeant d'un " cabinet noir" qui aurait eu le pouvoir réel. Ce dont il se défend en rappelant qu'il " n'était pas responsable de tout ". Son départ de la présidence est interprété comme le signe d'une éviction pour favoriser un reclassement au sommet de l'armée avec la promotion de nouveaux gradés. Bouteflika a-t-il voulu éloigner Belkheir car celui-ci était opposé à ce qu'il brigue un troisième mandat présidentiel? Il semble ainsi que le président a renforcé sa position au point de ne plus dépendre de l'influence de Belkheir dans ses rapports avec l'armée. Toujours est-il que la nomination de ce dernier comme ambassadeur à Rabat est considérée comme " une issue très honorable ". Ayant la réputation d'être favorable à une nette amélioration des relations entre le Maroc et l'Algérie, Larbi Belkheïr a la stature et le poids pour jouer un rôle aussi délicat. En aura-t-il cependant le pouvoir ?