Il n'y a pas que la rentrée scolaire qui, tour à tour et dans toutes les régions, verra défiler des centaines de milliers d'élèves et d'étudiants vers les écoles et les universités. Le gouvernement fera sa rentrée aussi et, à sa manière, il sera confronté aux multiples et divers dossiers, institutionnels, économiques et sociaux. La réforme de la retraite, dont le CESE vient d'être doublement saisi, à la fois par le Chef de gouvernement et les syndicats UMT (Union marocaine du travail) et l'ODT (Organisation démocratique du travail), n'est que la face visible de l'immense iceberg qui cache un véritable noeud gordien. Le recours au CESE pour solliciter son intervention et statuer sur les modalités de la réforme en question vient du Chef de gouvernement qui n'a de cesse d'achever une réforme qui est aujourd'hui à sa gestion, ce qu'un projet-phare est au succès de sa politique sociale. La procédure de recours est dans l'ordre des choses, le CESE étant en principe l'organe de consultation juridique et politique, l'instance interpellée aujourd'hui à tout bout de champ, objet d'une «saisimania» ahurissante. Si le Chef de gouvernement entendait conforter sa politique de réforme de la retraite par un «blanc-seing» du CESE, le voilà concurrencé au même plan par l'UMT et l'ODT qui, saisissant à leur tour le même Conseil, dénoncent une «manoeuvre dilatoire» de Abdelilah Benkirane. «L'Exécutif cherche à travers la saisie du CESE à utiliser le Conseil pour faire passer sa réforme des retraites», annonce un communiqué rendu public dimanche par Miloudi Moukharik, secrétaire général de la centrale syndicale, UMT...L'interpellation ne s'arrête pas là ! Le patron de la première centrale syndicale poursuit : «La tentative gouvernementale visant à monopoliser ce dossier va à l'encontre des usages et traditions du dialogue. Cette démarche transgresse aussi les accords passés entre les partenaires sociaux concernant l'examen transmis par les syndicats au Chef de gouvernement sur la question et qui détaillent un certain nombre de principes fondamentaux qui ne peuvent en aucun cas être ignorés» ! Il convient de souligner que l'UMT a procédé par une démarche parallèle : elle s'est fait un point d'honneur de saisir le CESE et lancer en même temps une campagne de communication par voie de presse, dans le but d'expliquer sa démarche et de dénoncer la volonté du Chef de gouvernement de faire cavalier seul. Il est reproché à ce dernier, notamment, de ne pas «respecter ses engagements», de jouer de l'ambiguïté pour faire passer «sa réforme» et, réitère Miloudi Moukharik, de soumettre le processus de négociations au fameux «triptyque maudit», consistant à faire passer l'âge de la retraite dans un premier temps à 62 ans, ensuite à 65 ans ; d'envisager une hausse des cotisations pour les salariés, enfin de faire baisser les pensions de retraites de 20 à 30%...Aux yeux des syndicats, ces trois paramètres constituent à coup sûr un sérieux obstacle à toute mise en oeuvre de la réforme, sans compter qu'ils lèsent les salariés. La question est désormais la suivante : un gouvernement, issu des urnes, peut-il entreprendre impunément une réforme des retraites sans consulter ou associer les représentants sociaux ? Inversement, la saisine au moyen d'un mémorandum de mise en garde du CESE par un syndicat – en l'occurrence l'UMT – est-elle dans l'ordre de la légalité ? N'est-elle pas considérée par le gouvernement comme inopportune, parce qu'elle risque de contrevenir au bien-fondé de la règle ? Autant dire, en effet, que la centrale syndicale n'entend pas en rester là ! Se faisant le porte-parole des salariés toutes catégories confondues, Miloudi Moukharik se projette dans un futur lointain pour dénoncer ce qui s'apparenterait un jour à une dérive des caisses de retraite et au risque de «voir les bénéficiaires sans pension» ! Un débat passionné s'annonce à l'horizon de la rentrée, et le dialogue social étant mis en veilleuse depuis juin dernier, l'UMT se prépare à la confrontation, elle ne laissera pas les coudées franches au gouvernement Benkirane qui se voit ainsi malmené sur un chantier considéré comme un symbole de sa politique. Nous assistons en somme à une confrontation triangulaire mettant d'un côté le gouvernement et le CESE et de l'autre les centrales syndicales. Trois figures placées face-à-face : Abdelilah Benkirane, Nizar Baraka et Miloudi Moukharik en attendant d'autres leaders syndicaux qui sont sur des charbons ardents. L'équation est rendue d'autant plus compliquée que les syndicats, notamment l'UMT compte pas moins de 8 membres au sein du Conseil économique, social et environnemental, usant de leur force, de leur poids et se livrant à un lobbying forcené. Ce que souhaitent les syndicats et qui constitue, de toute évidence, la pomme de discorde avec le gouvernement est ce qu'ils appellent «l'autoritarisme gouvernemental» et la volonté de «monopoliser» l'initiative de la réforme sur les retraites, vivement recommandée par la Cour des comptes il y a plusieurs mois, et imposée par l'évolution économique et sociale du Maroc. Ce qu'ils demandent en revanche, c'est une «recommandation» du CESE pour faire revenir le projet de réforme sur la table des négociations dans le cadre du dialogue social et ne pas se sentir marginalisés ou exclus d'un processus qui est au fondement de la démocratie. L'UMT brandit un arsenal de mesures qu'elle recommande : elle maintient l'âge de la retraite à 60 ans, elle souligne que l'Etat devrait prendre en charge en totalité la hausse des cotisations et non les salariés ; elle s'oppose à tout changement du mode de calcul de la pension définie et retenue, selon Moukharik, sur la base du dernier salaire perçu pendant les huit derniers mois par le salarié concerné. C'est tout le dispositif de la réforme, secteur par secteur, public et privé, organisme par organisme, CMR, RCAR, caisse après caisse, qui est concerné ! Le gouvernement est désormais sur la sellette parce que le dialogue social, paralysé, est devenu la boîte de Pandore...