Alors que le secteur de la sidérurgie est en train de subir de plein fouet la forte pression engendrée par les importations massives, les clauses de sauvegarde et une reprise de la croissance du secteur devraient atténuer l'impact sur les producteurs locaux. Décryptage. Alors que le débat autour des mesures de sauvegarde anime le secteur depuis déjà quelques mois, les investisseurs quant à eux se demandent si le secteur devrait se redresser durant l'année 2014. Dans cette optique, Attijari Intermédiation vient de publier une note sectorielle dressant un état des lieux. En effet, l'ensemble des acteurs industriels s'accordent à dire qu'ils sont loin de traverser une crise passagère. Bien au contraire, la sidérurgie vit une mutation profonde et structurelle. A cet effet, les analystes d'ATI ont relevé trois changements avec lesquels les opérateurs sidérurgiques devraient composer à l'avenir. D'abord, un transfert de marge irréversible vers les groupes miniers. Alors que les sidérurgistes s'accaparaient plus de 80% de la valeur par tonne d'acier, ils ont vu leurs marges d'EBE (Excédent brut d'exploitation) passer de 20% en 2000 à 9% en 2012. Ceci se justifierait par la monopolisation de 60% de la production mondiale exportable du minerai de fer, principale composante de l'acier, par les cinq premiers groupes miniers, permettant un meilleur contrôle des prix, et par l'incapacité de répercuter l'envolée du minerai de fer sur le prix de vente des sidérurgistes. En effet, l'écart entre le produit fini et les intrants (minerai de fer et charbon) s'est écrasé pour atteindre 22% en 2011 contre 83% en 2007. Ensuite, une situation structurelle de surcapacité de production. Durant la dernière décennie, la demande chinoise en acier a été multipliée par 5, passant de 124,2 millions de tonnes à 623,9 millions de tonnes actuellement, ce qui a incité les opérateurs à relever durablement leurs capacités de production. Entre-temps, la Chine est devenue un exportateur net d'acier détenant plus de 50% de parts de marché au niveau de l'offre et de la demande. Cette configuration a contribué de manière structurelle à la situation de surcapacité que connaît le secteur. Et enfin le transfert du pouvoir de négociation vers les gros clients et intermédiaires, à cause de l'émergence de distributeurs de taille importante, obligeant les sidérurgistes à s'aligner sur les prix pour maintenir leurs parts de marché. En ce qui concerne le secteur sidérurgique au Maroc, ATI a relevé cinq points majeurs qui ont changé radicalement l'essor de l'industrie locale. Il s'agit d'un réajustement structurel de la consommation marocaine d'acier, une ouverture du marché local à la concurrence, l'abolition des droits de douane, le renchérissement structurel des prix des intrants et finalement un modèle de distribution qui montre ses limites. En effet, la consommation nationale d'acier a évolué d'une manière exceptionnelle durant la période 2000-2007, en affichant un TCAM de 11.3% (taux de croissance annuel moyen), dû principalement à une politique budgétaire ambitieuse touchant l'infrastructure et l'habitat social. Durant la même période, les dépenses d'investissements publics affichaient un TCAM de 10%. A partir de 2008, les contraintes budgétaires ne favorisaient pas le maintien d'un niveau de croissance soutenue des investissements. Ces derniers affichent une quasi stagnation quand les ventes de ciment affichent un TCAM de 3%. Durant cette période, l'évolution de la consommation d'acier était rétablie à des niveaux plus normatifs, soit 3,2%. Concernant l'environnement concurrentiel local, ATI intermédiation a soulevé un changement majeur opéré sur la période 2008-2010, ce qui a eu comme résultante une forte concurrence. Avant 2004, l'industrie locale était en situation monopolistique avec l'existence d'un seul opérateur sur les produits longs (Rond à béton, fil machine, laminé marchand) qu'est Sonasid. En 2004, un nouvel opérateur, en l'occurrence Univers Acier a démarré sa production avec une part de marché n'excédant pas 20%. Alors qu'entre 2008 et 2010, la concurrence s'est fait ressentir avec l'entrée effective de trois nouveaux opérateurs, qui cumulent une part de marché globale de 30% au détriment de l'opérateur historique. Pour ce qui est des produits plats (tôle légère), un seul industriel opère sur le marché local, à savoir Maghreb Steel, orientant principalement sa production vers l'export. En anticipant une croissance de la consommation nationale d'acier similaire à celle enregistrée durant la période 2000-2008, les opérateurs ont acté, en 2006, la décision d'investir dans de nouvelles unités industrielles. Face à une croissance plus modérée, le secteur s'est retrouvé en situation de surcapacité théorique atteignant 79,4% de la demande nationale, ce qui a eu comme impact négatif une correction du prix du rond à béton de l'ordre de 24,1%. Simultanément, les droits de douane avec les partenaires des accords de libre échange (Union européenne, Turquie etc) ont suivi un trend baissier. Ce démantèlement progressif a favorisé une forte pénétration des importations des produits sidérurgiques, au moment où les partenaires des ALE disposent de plus de 5 millions de tonnes d'excédents. Sur la même période, l'envolée des matières premières à l'international n'a pas pu être répercutée sur le prix de vente des produits finis. A titre d'illustration, en 2007 le produit fini était vendu à 1.095 $/ T contre une ferraille à 450 $/T. En 2011, le produit fini était vendu à 823 $/T contre une ferraille à 434 $/T. Au Maroc, les grossistes et les intermédiaires constituent historiquement la principale clientèle des opérateurs sidérurgiques locaux. En gagnant en pouvoir de négociation, ces derniers ont tendance à exercer une forte pression sur les prix d'achat au départ de l'usine afin d'améliorer les marges d'intermédiation Ils procédent aussi à la spéculation en stockant d'importants volumes de rond à béton dans le but de limiter temporairement l'offre, afin de réaliser un surplus de marge sur les prix de vente destinés aux clients finaux. Un autre mode de distribution a été développé par Sonasid résidant dans la proximité clientèle en adoptant l'offre aux besoins des clients finaux, avec des délais de livraison plus courts. Selon les même analystes, le secteur de la sidérurgie locale devrait entamer à nouveau un cycle de hausse modérée, dès l'année 2014, en maintenant un taux de croissance normatif de 3,2%. Comme tout investisseur désirant se placer sur le secteur sidérurgique, une question légitime vient à l'esprit. Si reprise il y a, quel industriel local en bénéficiera-t-il le plus ? Pour répondre à cette question, les analystes estiment que l'avenir des opérateurs dépendrait de trois principaux drivers : la solidité des fonds propres, la distribution directe et l'efficacité industrielle. En ce qui concerne le premier point, il ressort que Sonasid se distingue par rapport à ses principaux concurrents. Ce dernier est le seul à avoir un niveau de capitaux propres assez élevé par rapport au total bilan (49%) au moment où les concurrents ne dépassent pas 15%. Dans la foulée, Sonasid est le seul opérateur qui affiche un gearing (endettement net/ capitaux propres) inférieur à 100% (20% exactement), alors que ses concurrents affichent des gearing allant de 290% à 860%. Même constat au niveau de la structure de la dette et de son coût. Les concurrents de Sonasid fragilisés L'opérateur historique se distingue par une proportion relativement faible des dettes à court terme dans l'endettement global, et des charges d'intérêt ne dépassant pas le seuil de 10% de l'EBE (excédent brut d'exploitation). Sur ce registre, les concurrents locaux affichent des niveaux d'endettement plus importants (allant jusqu'à 30% de l'EBE). En combinant les indicateurs cités précédemment, on ressort avec le constat que les concurrents de Sonasid sont en situation financière fragile due à une disproportion de leurs fonds propres par rapport à la taille de leur activité d'une part, et à leur niveau d'endettement court terme d'autre part. Au niveau du besoin en fonds de roulement, force est de constater le prolongement excessif des délais clients accordés par certains opérateurs (105 et 103 jours), alors que la norme du secteur se situe aux alentours de 60 jours. Même remarque au niveau de la rotation du stock, les opérateurs atteignant un niveau dépassant les 170 jours, voire 200 jours contre une moyenne du secteur de 75 jours. En ce qui concerne le mode de distribution, seul Sonasid se démarque par le mode de distribution directe, un avantage compétitif, diront les analystes. Ce type de distribution représente, à fin 2012, à peine 12% du chiffre d'affaires de l'industrie sidérurgique. L'efficacité énergétique est aussi un critère de choix important dans la mesure où des économies d'énergie peuvent être engendrées, et de facto améliorer de plusieurs points la marge opérationnelle. Ce dernier point est étroitement lié aux autres drivers puisqu'un opérateur sous capitalisé ne pourrait pas investir dans le processus industriel et de ce fait réduire ses cash-flows. Du côté de Attijari intermédiation, Sonasid ressort comme la valeur à acheter puisqu'elle devrait, toujours selon la même source, accroître sa part de marché d'ici 2015 à 60% contre actuellement 50% et ce, au détriment des concurrents locaux dits vulnérables du fait de leurs sous capitalisations. Le cours cible de Sonasid ressort à 1.005 DH en prenant en compte plusieurs hypothèses qui, à la date d'aujourd'hui, semblent peu envisageables. D'abord, une croissance modérée pour les années à venir. Or, la lettre de cadrage du PLF 2014 semble donner un aperçu quant aux dépenses d'investissement qui sont corrélées au secteur du BTP et à la construction et, indirectement, au secteur de la sidérurgie. Le deuxième point relatif aux mesures de sauvegarde nous semble trop optimiste dans la mesure où les importateurs peuvent avoir déjà anticipé ces clauses et, de ce fait, importé beaucoup plus de quantité de ronds à béton durant le premier semestre 2013. Le gain de 10% en plus de part de marché semble également plus que faisable, puisque les analystes n'intègrent pas la possibilité de voir les actionnaires de référence des concurrents injecter des capitaux propres additionnels. La preuve est le recours aux fonds propres de Miloud Chaâbi pour l'acquisition de Ceramica Ouadrass pour un montant supérieur à 235 MDH. Une recapitalisation en d'autres termes est toujours envisageable. Ceci dit, la relance du secteur sidérurgique au Maroc ne devrait se confirmer que durant le premier semestre 2014, où nous aurons plus de visibilité par rapport à la consommation nationale d'acier, à l'enveloppe dédiée aux investissements publics et finalement à un état des lieux quant aux mesures de sauvegarde relatives aux ronds à béton et au fil machine.