- La fonction actuarielle, plaque tournante de Solvency II. - Les actuaires marocains confrontés à une contrainte majeure : les tables de mortalité utilisées sont européennes.
Le secteur de l'actuariat connait une mutation profonde depuis que les régulateurs du secteur des assurances l'ont pris sous leurs ailes. En Europe, avec Solvency II ou bientôt au Maroc avec la Solvabilité basée sur les risques (SBR), le rôle de l'actuaire n'est plus le même. C'est de cela dont ont débattu récemment à Casablanca les professionnels africains du secteur, lors du cinquième Congrès actuariel africain. Le haut patronage royal décroché par cette manifestation et la présence de tous les régulateurs du secteur financier montrent l'intérêt donné à cette profession, apparue au 18ème siècle pour accompagner le développement de l'assurance vie, mais qui ne s'est structurée que depuis une cinquantaine d'années. Ce qui a toujours rendu la fonction actuarielle indispensable, c'est la nature même du secteur des assurances. Les primes y sont encaissées avant d'enregistrer les sinistres, ce qui provoque un cycle de production inversé. «Un assureur peut connaître son chiffre d'affaires avec précision, mais ne maîtrise jamais les prestations qu'il doit servir à ses clients», explique Hassan Boubrik, président de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), qui intervenait en ouverture de ce congrès. Ceci fait de l'anticipation basée sur les statistiques, et donc le rôle de l'actuaire, un élément précieux pour piloter les risques. Selon Boubrik, ce rôle va prendre une nouvelle dimension avec la solvabilité basée sur les risques, l'équivalent de Solvency II au Maroc. Cette norme cherche à renforcer la culture des risques chez les compagnies d'assurances et demande plus d'expertise dans l'établissement des ratios de solvabilité. Surtout qu'il faudra désormais documenter et clarifier encore plus les calculs transmis à l'ACAPS dans le cadre du premier pilier de la norme relatif aux ratios prudentiels et appelé plus communément pilier quantitatif. Dans son pilier qualitatif, la SBR prévoit que la fonction actuarielle devienne une fonction «clé» dans l'organisation des compagnies, aux côtés des risques, de la conformité et du contrôle interne. L'actuaire doit coordonner le calcul des provisions et, surtout, donner des avis et recommandations aux organes de décision. Une vision partagée et appuyée par Karel Van Hulle, architecte de la directive européenne Solvency II et membre de la Commission européenne. Pour lui, l'actuaire devra de plus en plus «communiquer», insistant sur le fait que cette fonction intervient aussi dans le troisième pilier de Solvency relatif à la communication. Les nouvelles techniques (digital, big data, etc.) seront des atouts non négligeables pour la profession. D'ailleurs, le chantier sur lequel doivent se pencher rapidement les actuaires marocains est relatif au développement des tables de mortalité propres à nos compagnies et répondant à nos contraintes. Car, actuellement, les tables de mortalité utilisées sont européennes et «ne reflètent pas la réalité du marché», estime Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des assurances (FMSAR). Lors du passage à la solvabilité basée sur les risques, il faudra en effet que ces tables soient utilisées.
A lire également : Actuariat : la profession monte en régime
L'actuaire, une denrée rare
Si de par la réglementation les actuaires vont devenir de plus en plus sollicités, le profil reste rare et ne court pas les rues. «Rares sont les jeunes qui choisissent cette filière», se désole Hassan Bensalah, qui laisse entendre que le marché est en manque de profils qualifiés. Pourtant, le Maroc dispose de formations de qualité avec l'INSEA notamment, et ce depuis 1972. Mais ce n'est que depuis 1999 qu'un cursus spécialisé a été lancé pour former chaque année des ingénieurs d'Etat en actuariat-finance dans cet institut. Plus récemment, une nouvelle formation de l'Université internationale de Rabat (UIR) a vu le jour. A cela s'ajoute le fait que l'AMA (Association marocaine des actuaires), cheville ouvrière de ce congrès et de la profession actuarielle au Maroc, est membre titulaire de l'Association internationale actuarielle (AAI), organisme mondial qui regroupe 98 associations, dont 72 membres titulaires de 113 pays. Autant d'éléments qui doivent inciter les jeunes à s'orienter vers cette filière qui, par les règles de l'offre et de la demande, peut leur assurer un avenir radieux. Les actuaires marocains exercent principalement dans le secteur des assurances et de la prévoyance sociale. ■
L'actuariat en Afrique : une histoire récente En Afrique, seuls 13 pays disposent d'associations d'actuaires, dont 5 sont membres titulaires de l'Association internationale actuarielle. En 1999, s'est tenue la première réunion des dirigeants de la profession actuarielle en Afrique, à l'invitation du Ghana. La fonction demeure discrète dans les pays africains, mais la création d'un sous-comité Afrique chargé de veiller particulièrement aux besoins des pays du continent africain en matière de développement actuariel, a donné de la visibilité au métier.